Du 9 au 11 septembre dernier, se tenait, dans la ville québécoise de Gatineau, le 68e Congrès de la Corporation des thanatologues du Québec (CTQ). Le mot "thanatologue" est un terme générique désignant les professionnels du funéraire, et plus spécialement ceux en charge de l’organisation des obsèques. Fondée en 1956, la CTQ constitue ce que l’on appelle en France une fédération professionnelle. Elle regroupe 500 membres, entreprises du secteur funéraire, "afin de veiller au développement ainsi qu’à l’évolution du domaine funéraire au Québec". Deux thèmes centraux, qui ne manqueront pas de trouver en écho en France, ont été au cœur des conférences-formations du Congrès : le développement durable et les rituels d’avenir.
L’Institut de la statistique du Québec évalue le nombre de décès enregistrés dans la province pour l’année 2023 à environ 77 550 (soit environ 8 fois moins qu’en France). Contrairement à la France, où la progression constante de la crémation se mesure depuis une trentaine d’années pour avoisiner les 40 % aujourd’hui, le Québec a connu une progression fulgurante de la crémation, qui est aujourd’hui évaluée à environ 80 %.
Ce modèle dominant, doublé d’une évolution des rituels vers un recul également de la "pompe", aboutit aujourd’hui à une diminution extrêmement importante des cérémonies en présence du corps, au profit de cérémonies en présence de l’urne après crémation.
Ces cérémonies autour de l’urne constituent aujourd’hui le rituel le plus courant, avec, notons-le, une part de plus en plus significative d’obsèques sans cérémonie, avec, au mieux, une collation organisée par les proches du défunt. Cette domination de la crémation, doublée d’un recul des rites, fait de la question de la destination des cendres un enjeu économique majeur pour les opérateurs funéraires, dans un pays où les columbariums privés sont la norme.
L’explosion du taux de crémation et le recul des cérémonies obligent aujourd’hui le marché à "se réinventer" en proposant de nouveaux services : diversification des offres de cérémonies vers plus de personnalisation, à l’instar des "funérailles champêtres", retransmission vidéo des cérémonies, création de columbariums privés, souvent vitrés, et de salles pour accueillir des collations dans les salons funéraires.
De façon encore très limitée, le Québec a autorisé l’installation d’appareils d’aquamation. Aujourd’hui, seule une entreprise propose ce service dans toute la province.
La crémation, modèle central de l’économie funéraire du Québec
Avec un taux de 80 %, la crémation est devenue le mode de sépulture central au Québec. Le recul de la présentation des corps et des cérémonies en présence du corps en salon funéraire ou à l’église, a placé l’urne au centre des rituels funéraires, puisque la majorité des cérémonies se font aujourd’hui en présence de l’urne, et non du corps.
Précisons, et c’est une différence de taille avec la France, qu'en matière de crémation, l’utilisation d’un cercueil n’est pas obligatoire. Ainsi, les corps peuvent être crématisés sur un plateau de bois (ressemblant à un fond de cercueil) recouvert d’un sarcophage en carton. Et, lorsque la crémation est précédée d’une présentation du corps, celui-ci peut être disposé dans un cercueil proposé à la location à la famille et qui aura vocation à être réutilisé pour d’autres cérémonies.
Contrairement à la législation française, il n’existe aucun monopole public sur les cimetières et les lieux de dépôt des urnes. C’est ainsi qu’ont pu se développer autour des grandes villes de grands cimetières privés proposant un panel de services particulièrement larges, à l’instar du cimetière de la Souvenance (Lépine-Cloutier – Athos), qui propose, outre des terrains d’inhumation classiques et des columbariums fermés, un jardin écologique permettant d’inhumer des urnes, une forêt sauvage aménagée jouxtant le cimetière pour y organiser des dispersions en pleine nature, un salon funéraire permettant l’organisation des obsèques et la tenue de cérémonies, et enfin un mausolée.
Les mausolées sont des bâtiments fermés équipés de cases pouvant accueillir des cercueils et des urnes, et permettant aux proches des défunts de se recueillir à l’abri de la chaleur, du froid et des intempéries. Des columbariums de plus petites tailles sont également implantés au cœur de salons funéraires, dans des entreprises familiales plus modestes. Souvent construits à l’intérieur des bâtiments, les columbariums se caractérisent au Québec par une forte présence de cases vitrées permettant une visibilité permanente de l’urne (possibilité limitée en France au scellement sur monument).
Cette option vitrée permet à la famille d’accéder à une offre plus large de matériaux pour le choix de l’urne, y compris des matériaux fragiles, puisque l’urne ne sera pas exposée aux intempéries. La case peut ensuite être personnalisée avec des photos et des objets ayant appartenu au défunt. Ainsi, à la différence des columbariums fermés, les columbariums vitrés sont des espaces de recueillement sereins et chaleureux, qui laissent toute sa place à la personnalisation de ces lieux de mémoire.
Le modèle des coopératives funéraires
Si un rapprochement peut être fait avec la France sur la prédominance de deux acteurs principaux – les grandes entreprises et les entreprises familiales –, le marché funéraire du Québec se caractérise par la place importante occupée par les coopératives funéraires. La première coopérative du genre a vu le jour en 1942, pour en compter plus de 40 à la fin des années 1970. Aujourd’hui, une vingtaine d’entre elles se sont réunies au sein de la Fédération des coopératives du Québec.
En 2023, les coopératives funéraires représentaient environ 20 % du marché. Cette proportion n’est pas sans rappeler le poids croissant de la branche de l’économie sociale et solidaire au sens large du marché français, constitué du funéraire public, du funéraire mutualiste et du funéraire coopératif, si l’on inclut UDIFE, devenue une société coopérative d’intérêt collectif à l’automne 2023.
Rappelons enfin que les coopératives funéraires du Québec, ont servi, et continuent de servir, de modèles aux coopératives funéraires françaises qui y font largement référence dans leur communication institutionnelle, à l’instar de celles de Rennes ou de Nantes.
L’aquamation, alternative à la crémation
C’est à Granby (80 km à l’est de Montréal) que se trouve l’unique centre d’aquamation du Québec. Propriété de la Maison Le Sieur, famille présente dans le domaine funéraire depuis 1920, le centre d’aquamation se situe au cœur d’un salon funéraire créé en 1987 qui propose l’ensemble des services, et non uniquement l’aquamation.
Pionnière dans l’innovation, la Maison Le Sieur a été la première, dès 2005, à proposer aux familles un service de retransmission vidéo gratuit des cérémonies. Installé au cœur du complexe funéraire, l’appareil d’aquamation de la Maison Le Sieur est en service depuis 2015.
Dans le processus d’aquamation, le corps est placé dans un cylindre métallique après avoir été débarrassé de ses vêtements, puis immergé dans une substance alcaline qui sera chauffée à 96 ° pendant une durée d’environ 12 h. À l’issue de l’aquamation, les chairs étant entièrement dissoutes, les ossements blanchis sont recueillis comme après une crémation. Ils sont alors pulvérisés en cendres prêtes à être placées dans une urne ou à être dispersées.
Le Centre reçoit des corps de l’ensemble du Québec. Les motivations à recourir à l’aquamation sont multiples : engagement pour l'environnement, sentiment de douceur du procédé, mais souvent l’aquamation est vue comme une "troisième voie" pour les personnes hostiles autant à l’inhumation qu’à la crémation.
Un modèle d’inspiration pour le marché français
Si le marché québécois se différencie à bien des égards du marché français, force est de constater qu’ils partagent de nombreuses similitudes. Ainsi, par exemple, la gestion des cimetières est aujourd’hui contrainte de se repenser pour intégrer une dimension nouvelle : la dimension environnementale.
L’accroissement important de la crémation qu’a connu le Québec au cours des dernières décennies a eu pour effet d’obliger les opérateurs funéraires à redimensionner, mais surtout à diversifier, le panel de possibilités proposées aux familles pour la destination des cendres.
De même, le développement de la crémation et le recul des rituels d’obsèques ont eu pour conséquence de réduire la part des articles funéraires dans le modèle économique des entreprises, les obligeant à développer de nouveaux services pour renforcer l’attractivité des salons funéraires et de leurs prestations : personnalisation des obsèques, création de salles de convivialité, implantation de nouveaux columbariums vitrés, retransmission vidéo des cérémonies, organisation de cérémonies champêtres et aménagement de forêts pour la dispersion des cendres en pleine nature n’en sont que quelques exemples.
Me Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Résonance n° 208 - Octobre 2024
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