Un récent arrêt de la Cour de cassation, rendu le 22 janvier 2025 par la chambre sociale, nous rappelle combien il est délicat pour un employeur de sanctionner un salarié lorsque son permis de conduire a été suspendu. Si l’employeur est contraint de prendre des mesures lorsque les fonctions du salarié impliquent la conduite d’un véhicule, ces mesures ne devront pas être nécessairement prises sur le terrain disciplinaire.
En la matière, et selon une jurisprudence très ancienne, l’employeur ne pourra user de son pouvoir disciplinaire qu’en présence d’un salarié ayant commis une faute (infraction routière) dans le cadre de l’exercice de ses fonctions (Cass. soc., 24 janvier 1991, n° 88-45.022 ; Cass. soc., 3 décembre 1992, n° 91-45.692).
En effet, une infraction ayant entraîné la suspension du permis de conduire commise dans la vie personnelle du salarié exclut toute possibilité de sanction disciplinaire de l’employeur ; celle-ci ne constituant pas "une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail" (Cass. soc., 5 février 2014 ; Cass. soc., n° 12-28.897 ; Cass. soc., 24 octobre 2018, n° 17-16.099, n° 17-16.099).
Est-ce à dire que l’employeur ne peut pas prendre de mesures lorsque la suspension du permis de conduire trouve son origine dans la vie personnelle du salarié ? De toute évidence, non. En effet, dès lors que les fonctions du salarié impliquent nécessairement la conduite d’un véhicule, celui-ci se trouve empêché d’accomplir les tâches que lui a confiées son contrat de travail.
L’entreprise se trouve, de facto, désorganisée. À cet égard, lorsque les conséquences de l’impossibilité de conduire du salarié causent un "trouble objectif" au fonctionnement de l’entreprise, un licenciement peut alors être envisagé, mais en dehors de tout fondement disciplinaire (Cass. soc., 15 janvier 2014, n° 12-22.117).
Cependant, lorsqu’il est possible, sans désorganiser l’entreprise, de confier au salarié d’autres tâches ne nécessitant pas la conduite d’un véhicule, le critère du "trouble objectif" n’est alors pas constitué. Un licenciement, même en dehors du champ disciplinaire, devra donc être exclu.
La récente décision rendue par la Cour de cassation (Cass. soc., 22 janvier 2025, n° 23-20.792), modère la relative sécurité des employeurs à licencier pour faute grave un salarié ayant commis une infraction dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail et ayant abouti à la suspension de son permis de conduire.
Dans cette affaire, un salarié "étant conducteur d’un véhicule de l’entreprise dans l’exercice de son activité professionnelle, a été contrôlé en excès de vitesse et a fait l’objet d’une suspension administrative du permis de conduire pour 3 mois".
Après en avoir informé son employeur, il a été convoqué à un entretien préalable, mis à pied à titre conservatoire et enfin, licencié pour faute grave.
Contestant son licenciement devant la juridiction prud’homale, la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, a finalement conclu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Pour aboutir à cette solution, la cour d’appel a notamment retenu les éléments suivants, en ce que le salarié :
- avait immédiatement avisé sa hiérarchie,
- avait assumé la responsabilité de ses actes,
- avait proposé à son employeur plusieurs solutions alternatives,
- n’avait commis aucune infraction à la vitesse pendant 8 années au sein de l’entreprise,
- disposait de ses 12 points avant la commission de l’infraction ayant entraîné la suspension de son permis de conduire.
En outre, la cour d’appel relevait que "la société ne pouvait se prévaloir de sa particulière vigilance en matière de prévention des risques routiers alors qu’elle ne justifiait pas avoir sensibilisé particulièrement ses salariés".
C’est ainsi que "si l’excès de vitesse commis par le salarié méritait une sanction compte tenu de sa fonction de technico-commercial itinérant, il ne rendait pas impossible son maintien dans l’entreprise durant le préavis", et qu’à ce titre "il ne pouvait constituer une cause sérieuse de licenciement".
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a posé un nombre relativement important et précis de critères que les employeurs devront, à l’avenir, prendre en compte en pareilles circonstances, afin de proportionner la sanction prise à l’encontre du salarié.
Le choix du licenciement pour faute grave ne devant ainsi pas avoir un caractère automatique.
Social
Durcissement des règles d’embauche de salariés étrangers
Arrêté du 3 janvier 2025 modifiant l’arrêté du 1er avril 2021 fixant la liste des pièces à fournir à l’appui d’une demande d’autorisation de travail
Ce nouvel arrêté s’inscrit dans le durcissement des règles relatives à la délivrance des autorisations de travail, consécutive à la mise en œuvre de la "loi immigration" du 26 janvier 2024. Un arrêté de 2021 fixait les pièces à fournir par l’employeur à l’appui de la demande d’autorisation de travail préalable à l’embauche d’un salarié étranger. L’arrêté du 3 janvier 2025 en ajoute de nouvelles. Ces exigences supplémentaires portent essentiellement sur les recrutements à des postes "soumis à l’opposabilité de l’emploi".
L’opposabilité de l’emploi
Lorsqu’un métier ne figure pas sur la liste des métiers en tension (ndlr : arrêté du 1er avril 2021 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l’emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse), la délivrance de l’autorisation de travail est désormais conditionnée à la production des documents suivants :
- Une copie de l’offre d’emploi déposée auprès d’un organisme concourant au service public de l’emploi ;
- Un document attestant du dépôt de l’offre d’emploi auprès d’un organisme concourant au service public de l’emploi et de sa publication pendant 3 semaines consécutives dans les 6 mois précédant le dépôt de la demande ;
- Un document établi par l’employeur mentionnant le nombre de candidatures reçues et attestant de l’absence de candidat répondant aux caractéristiques du poste de travail proposé.
Et dans tous les cas, le nouvel arrêté ajoute la pièce suivante, dans un souci de prévention de la fraude sociale et du travail dissimulé :
- L’attestation de versement des cotisations et contributions sociales de l’employeur à l’organisme chargé de leur recouvrement, datant de moins de 6 mois.
Notons que le recrutement de salariés étrangers est assez répandu dans le secteur funéraire, en particulier dans les grandes agglomérations pour des emplois de porteurs et d’ouvriers de travaux de cimetières. Or ces postes ne figurent pas sur la liste des métiers en tension et sont, de ce fait, soumis à l’opposabilité.
Vie des entreprises
Hausse des "arnaques au Kbis"
Une fiche pratique intitulée "Arnaque au Kbis : soyez vigilants face au risque de fraude” et publiée sur le site institutionnel francenum.gouv.fr, incite les entreprises à la plus grande vigilance.
Le Kbis contient les principales informations relatives à l’entreprise et à son dirigeant. Nécessaire notamment pour l’ouverture d’un compte bancaire, contracter une relation d’affaire ou répondre à un marché public, il a une durée de validité de 3 mois.
Infogreffe, le GIE centralisant divers services des greffes de tribunaux de commerce, constate une augmentation des fraudes pouvant consister, par exemple, dans des prises de contrôle frauduleuses d’entreprises, l’obtention de prêts bancaires ou de locations longue durée de véhicules.
Les fraudeurs utilisent divers stratagèmes, tels que le vol de documents d’identité et de données personnelles du dirigeant. Le produit de ces vols est ensuite croisé avec les informations publiques des entreprises. En fabriquant de faux documents tels que de faux procès-verbaux d’assemblées générales, les fraudeurs disposent alors de l’ensemble des documents nécessaires à la réalisation de formalités pour le compte de l’entreprise, de nature à obtenir un "vrai" faux Kbis.
Ces Kbis frauduleux sont alors utilisés pour effectuer des achats, conclure des contrats de location ou des prêts bancaires en toute légalité apparente.
Pour se protéger, les entreprises sont vivement incitées à surveiller les données de leurs entreprises figurant sur les sites publics tels qu’Infogreffe, société.com ou encore pappers.fr, en souscrivant des services de veille. Ces services permettent d’être alerté par mail, dès qu’un événement se produit dans leur entreprise. En étant informé en temps réel, le dirigeant sera en mesure d’intervenir au plus vite pour faire cesser l’usurpation d’identité dont il est victime.
Un dépôt de plainte et une prise de contact avec le greffe du tribunal de commerce constitueront les premières mesures à prendre de toute urgence.
Me Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Résonance n° 212 - Février 2025
Résonance n° 212 - Février 2025
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