Depuis 100 000 ans, les hommes prennent soin de leurs morts. Cette attention sert à faire disparaître un corps de manière à ce qu’il ne soit pas soumis aux aléas de la nature (putréfaction, charognage). C’est également un acte qui semble compenser, pour Néandertal et sapiens, l’angoisse que génère chez eux le mystère de la mort. Ces premiers rites funéraires (projection d’ocres sur le corps et dépôt d’outils, d’os d’animaux dans la tombe) confèrent au cadavre, par le don de ces viatiques, une sorte de sacralité. Ces gestes veulent rendre le mort à un monde incompréhensible et, par là, angoissant.
Patrick Lancon, ecrétaire général de la FFC. |
Le rituel funéraire fonde notre humanité
Les anthropologues parlent de naissance de la civilisation avec l’apparition de cet univers symbolique. Chaque société l’exprimera par des formes différentes dans l’espace et dans le temps. Plus tard, la France féodale et chrétienne va, après des hésitations quant à l’utilisation de la crémation (tombes mérovingiennes à incinérations, par exemple), fixer vers les Xe - XIIe siècle une cérémonie propre à ses croyances et utiliser le bûcher pour des rituels plus politiques où le feu prend la valeur d’un châtiment contre les hérétiques (Giordano Bruno, Jeanne d’Arc) et les sorcières.
Au XIXe siècle, sous la pression des hygiénistes, et avant eux les philosophes et encyclopédistes du siècle précédent qui avaient pris conscience de l’insalubrité des lieux d’inhumation, la loi de 1887 permettra de nouveau le choix des funérailles et dépossédera la religion catholique de l’emprise systématique et totale qu’elle avait sur les corps, de la naissance à la mort, ainsi que de la gestion des rituels adaptés à chaque circonstance.
La crémation, qui renaît donc de ses cendres où l’avait jeté Charlemagne (785, capitulaire saxon), va prendre un réel essor dans les années 1980. Ce développement porté par les associations crématistes atteint aujourd’hui 35 %. Le pourcentage des français qui souhaitent être crématisés est de 50 % en 2014. Ils pensent qu’une cérémonie civile leur permettrait de mieux personnaliser leurs obsèques ; le pourcentage de ceux qui ne désirent pas de cérémonie religieuse était de 31 % en 2005 contre 41 % en 2014. Selon une enquête PFG, plus de la moitié des convois traités par elles pour une crémation, a donné lieu à une cérémonie civile contre à peine un sur cinq pour les convois de personnes inhumées. De même, selon une étude menée par les Services Funéraires Ville de Paris, 35 % des convois pris en charge en 2010 passaient par un lieu de culte contre 31 % en 2013. Ces chiffres sont en augmentation générale et constante partout en France.
Salle de cérémonie du crématorium de Besançon.
Selon une étude menée par le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie), deux tiers des français qui souhaitent une cérémonie civile pour leurs obsèques, veulent qu’elle soit confidentielle et se déroule avec peu de personnes. Toujours selon les français interrogés, cette cérémonie sert avant tout à rendre un hommage. On remarque cependant une différence générationnelle : les 40-69 ans souhaitent une prise en charge et tiennent d’abord à l’hommage rendu, au soutien et à l’accompagnement dans le processus du deuil. Les français plus âgés sont plus attachés au rassemblement des proches. Montrent-ils ainsi l’empreinte d’une tradition funéraire presque millénaire alors que les plus jeunes manifesteraient ainsi la liberté de disposer de leur corps, que leur a rendu la loi de 1887, par la maîtrise de leur cérémonie funéraire ?
À l’évidence, on ne peut que constater le recul de l’influence religieuse et une recherche permanente de personnalisation des obsèques. Certains le déplorent : "...nous avons […] quitté la solidité des identités, l’ancrage culturel, l’héritage des habitudes, l’assignation à une terre…" (Damien Le Guay, "La mort en cendres"). Débarrassée de ces contraintes, la cérémonie civile, pour celles et ceux qui la souhaitent, doit être réinventée à chaque décès pour ne pas "singer" un modèle, définitivement figé, propre à une religion. Cette cérémonie civile ne supporte pas l’à peu près ou la médiocrité qu’on peut encore y voir. Pour lui donner son véritable sens, elle doit être conduite par des bénévoles ou professionnels formés à la solennité de l’instant.
Patrick Lancon
Secrétaire général de la FFC
Résonance hors-série #1 - Spécial Crémation - Août 2015
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