Les pouvoirs publics ont successivement apporté des précisions en matière de protection de la santé, de 2007 à aujourd’hui, sans qu’il y ait eu de grandes répercussions dans le quotidien des entreprises funéraires. Au-delà d’une simple reproduction exhaustive des règles à respecter, quand bien même le tout serait commenté avec force explications, je vous propose plutôt dans cet article une évolution dans notre manière d’aborder ces questions. Le sanitaire va plus loin qu’une question de microbes…
"Si votre mentalité n’évolue pas, la lecture des Codes de la santé et du travail ne changera pas grand-chose". Vous trouverez en conclusion de ce dossier une compilation d’articles tirés du Code du travail et datant de ces dernières années.
En lisant cette source juridique, vous toucherez du bout du doigt l’expression d’une logique récente en matière sanitaire.
Vous pouvez choisir de vivre mal cette accélération des obligations s’imposant à vous ou, au contraire, utiliser celles-ci comme un tremplin d’évolution dans votre métier. Pour vous accompagner dans cette démarche, je vous présente ci-après une petite réflexion succincte sur la question. J’enfonce des portes ouvertes ? À vous d’en juger. Je m’attache en tout premier lieu à décrire le contexte dans lequel sont abordées les questions d’hygiène dans les pompes funèbres.
Un secteur inconnu pendant très longtemps
Le funéraire représente près de 0,5 travailleur pour mille comparé à la population active en France. En outre il touche à un grand tabou. De fait, même beaucoup de médecins n’ont qu’une connaissance très limitée de ce qui se passe après la mort. Témoin le ministère de la Santé qui a découvert ce qu’est en réalité la pratique d’une thanatopraxie en progressant à petits pas sur le sujet depuis vingt ans.
Autre évidence reflétant l’approche sociétale de la mort et du funéraire, le parcours psychologique des endeuillés fut considéré comme relevant uniquement de l’intime sans que le coût social du deuil soit évalué.
"Terra incognita" par ailleurs : la statistique des pathologies touchant la population des travailleurs du secteur. Quid des cancers, des hépatites, des atteintes du dos, des crises cardiaques, des suicides, des dermatoses etc. ? Aux USA, il est prouvé que des embaumeurs ont été atteints de l’hépatites B, sans compter les nombreux cas d’hépatites A (virus possiblement présent dans les urines qui peuvent infecter les vêtements du défunt, par exemple).
Enfin, voici une anecdote reflétant la situation toujours actuelle : il y a plusieurs années, la veille sanitaire française a traité l’information qu’un fossoyeur avait été contaminé par un germe sporulé de la maladie du charbon (département 13). Mais détient-elle, pour traiter de la question, des études biologiques portant sur les terres en fond de fosse ? À part la DDASS du Rhône (ou le bureau d’hygiène de la Ville de Lyon) qui détiendrait un document de ce type, nous ne connaissons aucune information similaire sur le sujet. Il y a bien l’étude de la DDASS de Saône-et-Loire portant sur les rejets de chambres funéraires dans le réseau des eaux usagées et qui nous apprend un surdosage chimique uniquement, sans se pencher sur l’aspect biologique de la question (des études similaires portant sur les effluents en sortie d’hôpitaux nous auraient apporté des conclusions identiques…).
Bref, à observer le fonds documentaire national, le quotidien du funéraire serait un long fleuve tranquille et sans surprises, apparemment tout du moins. Quelques ingénieurs sanitaires savent cependant bien que le risque biologique ne s’arrête pas au décès. Par exemple le bacille de Koch, responsable de la tuberculose, peut survivre au défunt jusqu’à 15 jours après le décès. Dispersé par voie aérienne, il concrétise une menace présente sur les surfaces du matériel de laboratoire, dans l’attente potentielle d’être ensuite manuporté.
De même beaucoup de microbes tapis en zone basse des poumons ou dans le système digestif se sont adaptés aux antibiotiques en développant une résistance aux traitements. Ils ont vocation à sortir du corps dès que le décès est survenu (arrêt des défenses immunitaires d’un corps vivant).
Enfin, le réservoir potentiel de microbes pathogènes s’est agrandi et diversifié. Les brassages internationaux de population et le retour de la pauvreté et de la précarité de vie sont ainsi en passe de ressusciter des maladies qui étaient disparues (peste, charbon, variole, tuberculose, pour ne citer qu’elles).
Non je n’essaye pas de vous faire peur ! Admettez que le funéraire n’attire pas toute l’attention qu’il mérite et que le risque est beaucoup plus compliqué qu’on ne le croit généralement. Dans l’affirmative, vous pouvez passer à la lecture du paragraphe suivant.
Nos défenses naturelles s’affaiblissent et le risque de judiciarisation des maladies augmente
Toutes les entreprises funéraires sont exposées à des situations spécifiques de risques. Certaines ne sont pas nouvelles comme les soins en laboratoire post-mortem ou les interventions en milieux difficiles (terrassements, enlèvements de corps sur réquisitions, exhumations). D’autres sont récentes comme la garde des corps en chambre funéraire pendant des durées d’attente d’une importance inédite en cas de crémation.
On évoque aussi de plus en plus les situations de mortalité aussi subite qu’élevée (canicule, grippe épidémique, catastrophes diverses). Le personnel funéraire est plus exposé aujourd’hui qu’auparavant à des situations risquées et cette tendance augmentera durablement. Sommes-nous à la hauteur des nouveaux défis ? (n’oublions pas le terrorisme qui pourrait aussi compliquer la donne).
Parallèlement à cette aggravation des situations à risques, nous nous sommes tous, petit à petit, affaiblis face aux microbes du fait de nos habitudes domestiques (trop d’aseptisation alimentaire via des additifs, trop de désinfectants dans les produits ménagers). Nous avons également abusé des antibiotiques, notamment pour éviter une durée jugée trop importante des arrêts de travail.
C’est dans cette situation globale que la filière funéraire a semble-t-il insuffisamment progressé dans ses pratiques face au risque sanitaire global. Mais le pouvait-elle vraiment ? Ne faut-il pas intégrer dans ce constat une importante évolution des carrières dans la filière depuis 1993 ? Les enjeux de la concurrence ont déstabilisé l’emploi stable en le rendant souvent précaire, partiel ou temporaire. Cet état de fait pèse en matière de sécurisation des interventions (motivation des salariés, niveaux de formation, cohésion des équipes, expérience sur les savoir-faire). Paradoxalement, faut-il le regretter, c’est dans ce contexte de plus en plus tendu - risques aggravés/précarité croissante du personnel - que les règles sanitaires se sont accentuées avec une inflation de lois, décrets et arrêtés.
Ce phénomène contradictoire, opposant nécessités pratiques et contraintes juridiques, met sous pression l’entreprise funéraire
Les règles juridiques deviennent de plus en plus exigeantes quand les circonstances nécessiteraient beaucoup plus de souplesse. La responsabilité pénale des dirigeants est engagée par principe alors que la santé des travailleurs est de plus en plus exposée du fait de l’environnement fortement concurrentiel et des circonstances dans lesquelles ils interviennent. Témoin la thanatopraxie, activité dont l’encadrement actuel a dissuadé plus d’un employeur à salarier un praticien diplômé (il y a moins de risques à sous-traiter).
Avez-vous compris qu’il va falloir évoluer dans la gestion sanitaire des entreprises funéraires ? Dans l’affirmative passez au chapitre suivant. Dans la négative, si vous n’êtes pas convaincu, prenez des renseignements, documentez-vous sur les points cités plus haut.
L’entreprise de pompes funèbres ne peut plus s’en sortir toute seule
Les opérateurs funéraires sont soumis à une réglementation particulière touchant leurs activités. Pour autant, comme dans n’importe quelle activité économique, ils doivent satisfaire à des exigences sanitaires qui ont valeur normative en matière de sécurité : hygiène, vigilance, normes de fonctionnement, traçabilité des pratiques, formation des personnels, suivi médical des salariés. De multiples personnes contribuent dans l’entreprise au résultat recherché : les administratifs, les conseillers funéraires, les chefs d’équipe, les chauffeurs, l’encadrement à tous ses niveaux, bien entendu.
Concernant des pratiques dans les laboratoires post-mortem, certaines vigilances sont fortement prises en compte : maintien des lieux sous le seuil de toxicité, sécurité des gestes accomplis sur les défunts, optimisation des efforts physiques, limitation des accès en laboratoire et architecture des locaux conçue pour séparer rigoureusement la partie technique.
Certains risques sont en revanche moins bien identifiés, comme j’ai pu le constater tout au long de ma précédente carrière de journaliste spécialisé dans le funéraire (plusieurs entreprises analysées par mois et ce pendant 26 ans) :
- la saturation des filtres d’aération qui pollue de manière potentiellement dangereuse l’air intérieur des laboratoires,
- la transmission manu-portée des germes sur les accessoires (bénitiers et goupillons), poignées de portes, volants de corbillards, cordes souillées au cimetière, table réfrigérante non désinfectée etc.,
- l’état et l’entretien des cellules réfrigérées, souffrant souvent d’une détérioration des joints d’étanchéité,
- la difficulté d’accès du fond des corbillards pour une décontamination/désinfection satisfaisante.
Des failles de comportements dans l’entreprise existent également :
- rupture de stock des produits adaptés,
- matériel défectueux, cassé ou inadapté,
- mauvais protocole d’emploi des produits (erreur sur leurs propriétés, ignorance à propos des bonnes pratiques, notamment vis-à-vis du chariot Faubert),
- mauvais entretien des siphons au sol.
Ces divers facteurs d’inefficacité sont d’autant plus fréquents dans les situations de gestion cloisonnée : chacun estime être en droit de défendre son pré carré. L’entreprise est alors pénalisée par une maîtrise sectorielle et fragmentée des risques quand chacun se défie ou se méfie de l’autre. Convenez que, dans cette situation, les microbes n’y sont pour rien…
Une approche nouvelle de l’entreprise de pompes funèbres est nécessaire pour prendre en compte la globalité des risques et la complexité des précautions nécessaires. Au-delà de la seule réponse à un contexte réglementaire de plus en plus contraignant, au renforcement des droits des salariés et leur possibilité de recours, notamment suite à un accident de travail, les dirigeants de pompes funèbres doivent s’attacher à définir une stratégie de diminution des risques encourus par leur personnel d’une part et par les familles usagères des locaux funéraires d’autre part.
Il va falloir aborder globalement sécurité, compétitivité, pérennité et productivité. Facile à dire mais pas à faire.
Manque de repères, manque d’expertise, manque de suivi
L’une des problématiques qui se présente à la filière dans le domaine de l’hygiène est que nous ne pouvons pas nous référer à un document normatif spécifiquement adapté aux activités funéraires et reconnu comme tel par les autorités publiques. Il y a bien des formations conçues pour des spécialités dans la branche, celle de thanatopracteur étant la plus poussée dans le domaine de l’hygiène. Mais à ma connaissance, il n’y a pas de référentiel officiellement reconnu et concernant la gestion globale des impératifs sanitaires dans la conduite d’une entreprise de pompes funèbres.
Si l’entreprise de pompes funèbres est complexe, quelle que soit sa taille, par la diversité des dysfonctionnements possibles dans l’accomplissement de missions de nature très variée, c’est aussi un système où la logique de prévention des risques peut être efficace.
Deux conditions interviennent pour cela :
- animer des objectifs communs et partagés avec une communication interne donnant satisfaction (si les manières peuvent varier selon la taille de l’entreprise, le résultat doit tendre inévitablement aux partages de valeurs communes pour servir des objectifs facilement identifiables),
- développer en interne une culture du risque et de la prévention.
Néanmoins, dans la situation actuelle, il y a loin de la "coupe aux lèvres".
Nos professionnels funéraires sont insuffisamment formés en matière sanitaire. C’est pourquoi je me permets de formuler deux suggestions dictées par l’urgence :
- Il faudra valider des formations très opérationnelles et réalistes permettant d’atteindre les objectifs légaux et réglementaires dans les activités funéraires. Cette résolution ne sera possible qu’en mobilisant les travaux du CNOF (Conseil National des Opérations Funéraires) tout comme le dialogue de branche concernant le patronat et les salariés. L’affectation des crédits de formation devra correspondre aux objectifs d’évolution tandis que la qualification obtenue par le salarié devra compter dans la valorisation de son parcours de carrière.
- Le rapport entre le fournisseur en équipements d’hygiène post-mortem et son client de pompes funèbres devra singulièrement évoluer. On peut (et on doit) imaginer à terme un fournisseur assurant des visites techniques régulières chez son client pour le conseiller en matière d’entretien, de service ou de remplacement de son matériel. Ce service aura un coût et les pompes funèbres devront accepter d’en assumer la charge.
Cette mission de conseil pourrait également être prolongée par des actions de formation. Partez du principe que l’entreprise de pompes funèbres ne peut pas détenir toutes les compétences. Quand j’évoque la globalisation des efforts pour atteindre un objectif sanitaire, j’unis dans cet esprit le fournisseur et l’entreprise cliente très au-delà d’une mobilisation des seuls salariés de pompes funèbres.
Envisager et définir le sanitaire avec les salariés
On peut rencontrer deux écueils dans ce domaine :
- La surestimation du risque
Dès que le risque est abordé avec le salarié, il faut veiller à ce que ce dernier ne le prenne pas comme un danger. Un danger est une propriété ou une capacité par laquelle une chose est susceptible de causer des dommages aux personnes. Le risque est différent. C’est une situation où des évènements simultanés ou consécutifs, à probabilité incertaine, peuvent entraîner divers dommages.
Toucher un mort engendre un risque mais ne relève pas d’un danger. Quelle différence ? me direz-vous… Elle est énorme pourtant. On doit éviter un danger mais on se prémunit méthodiquement d’un risque. La mort fait peur et surtout chez le débutant, le contact avec un mort génère une appréhension naturelle. Il faut donc insister sur la valeur protectrice des techniques et des équipements permettant de faire face aux risques en toute sécurité.
- La sous-estimation du risque
Le salarié ancien dans l’exercice s’habitue au risque et peut l’oublier au profit d’autres critères comme l’exigence d’intervenir rapidement. À cela s’ajoute la volonté d’impressionner les autres en bravant ce qui est perçu comme un danger. Témoin l’exemple du thanatopracteur travaillant sans gants.
Au-delà de ces deux excès, il faut concevoir en commun le risque comme une composante incontournable de la vie. Chaque situation, chaque incident doit se mesurer selon deux critères différents et complémentaires, à savoir son caractère exceptionnel ou fréquent et son importance de nuisance. Il ne suffit pas de définir le risque, il faut immédiatement le situer dans un contexte : circonstances, comportement, lieux et méthodes de travail.
Par exemple, les gestes de la mise en bière doivent être enseignés en situant la particularité de cette opération : présence ou non de la famille, estimation sommaire de l’état du corps, situation du corps devant être placé dans le cercueil, répartition des rôles entre les trois personnes effectuant le transfert à l’intérieur du cercueil, particularités à envisager avant et pendant l’acte de soulever, accessoires de protection individuelle, élimination des déchets après intervention, position et synchronisation des efforts à réaliser etc. Ce qui peut faire peur a priori devient simple à exécuter avec de la méthode.
Travailler en pompes funèbres signifie donc d’accepter d’affronter un risque. Celui-ci est qualifié par le groupe humain travaillant au quotidien en commun. C’est un jeu de cache-cache entre le faire et le pas faire. Témoin la suture de bouche, acte de toilette funéraire qui est enseigné et pratiqué systématiquement par tous les salariés dans certaines entreprises et qui est refusé de pratique générale dans d’autres au motif que cela expose tout un chacun à un niveau de risque qui doit être réservé aux personnes habilitées pour le prendre (thanatopracteurs), sans compter la dimension psychologique de l’acte.
Voilà un exemple qui prouve que la perception d’un risque dépend de référentiels sociaux et personnels. Elle n’est acceptable que si la probabilité d’accident est estimée à un niveau admissible pour ceux qui doivent assumer la prise de risque et si les éventuelles conséquences accidentelles sont maîtrisables dans leurs effets.
Dans le funéraire, le critère du salaire n’est pas prépondérant dans l’acception d’une prise de risque sanitaire. L’argument déterminant dans nos activités reste l’objectif de qualité du service rendu au défunt et à ses proches. La présentation du corps et l’organisation du dernier hommage sont des critères dont l’importance est admise par tous, professionnels et particuliers. Le risque n’est considéré inacceptable que lorsque l’exigence de l’entreprise ou celle de la famille sur le salarié déborde des critères objectifs, logiques, nécessaires et maîtrisés. Dans ce cas de figure, le salarié peut recourir à son droit de retrait en faisant valoir que la prise normale de risque s’est transformée dans cette situation précise en exposition anormale ou déraisonnable face à un danger...
Fin provisoire. Je reviendrai auprès de vous ultérieurement pour aborder la mise en œuvre concrète des dispositions juridiques encadrant la gestion sanitaires de vos entreprises.
Dans l’attente, voici quelques articles du code du travail méritant toute votre attention.
Olivier Gehin
Professionnel funéraire
Journaliste
Extraits du Code du travail Créé par décret n° 2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V) Art. R. 4424-3 Art. R. 4424-5 Art. R. 4424-11 Art. R. 4425-4 Art. R. 4425-5 Art. R. 4425-6 Art. R. 4425-1 Art. R. 4425-2 Art. R. 4425-3 Art. R. 4425-4 Art. R. 4425-5 Art. R. 4425-6 Art. R. 4425-7 Art. R. 4426-1 Art. R. 4426-2 Art. R. 4426-3 Art. R. 4426-4 |
Résonance n° 154 - Octobre 2019
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