Le groupe FUNECAP, dirigé par MM. Xavier Thoumieux et Thierry Gisserot, a annoncé, en août dernier, le rachat à 100 % du Groupe ROC•ECLERC. Lors d’un entretien, les deux dirigeants ont bien voulu répondre à nos questions sur les perspectives que cet événement, qui a fait grand bruit dans le secteur funéraire, laisse entrevoir au groupe FUNECAP.
Résonance : Avec l’acquisition du Groupe ROC•ECLERC, le Groupe FUNECAP représente désormais plus de 12 % de parts de marché pour un chiffre d’affaires de près de 250 millions d’euros en 2015, et affiche un taux de croissance de plus de 25 % par an. Ces chiffres, pour le moins enviables, font du groupe FUNECAP le numéro deux du secteur en termes de taille, et surtout le numéro UN en termes de croissance. Étaient-ce là vos objectifs réels pour les cinq premières années d’exercice du groupe FUNECAP (ndlr : créé en 2010), ou avez-vous été au-delà de vos prévisions ?
Xavier Thoumieux, codirigeant |
Xavier Thoumieux : Lorsque nous avons développé, avec Philippe Gentil et Luc Behra, le projet d’un groupe funéraire marchant "sur deux jambes" – le développement en propre et le développement en franchise – et visant la place de co-leader du marché à terme, nous n’imaginions ni les quelques succès que nous avons pu rencontrer, ni le nombre de difficultés à résoudre sur notre chemin…
Ce qui valait mieux, car il a fallu tout à la fois convaincre des entrepreneurs de rejoindre notre projet, en y intégrant leurs entreprises de pompes funèbres et en restant, dans la plupart des cas, à nos côtés pour constituer le comité exécutif du groupe, développer un réseau de franchise, créer les fonctions centrales du groupe, réunir les financements en capital et en dette pour soutenir la croissance, et trouver le meilleur équilibre entre autonomie des responsables régionaux et de leurs équipes, et organisation centrale permettant de gérer la très forte croissance du groupe en toute sécurité, tout en développant nos parts de marché.
Après 5 ans, nous pouvons considérer que nous avons réalisé un parcours que nous n’espérions pas à l’époque. Même si nous avons surtout tendance à regarder l’avenir et ce qui reste à faire. Et nous avons encore beaucoup à faire.
Thierry Gisserot : Mais la réussite dont nous sommes les plus fiers reste le fait qu’aucun des dirigeants qui nous ont rejoints dans l’aventure en nous cédant leur
Thierry Gisserot, codirigeant du Groupe FUNECAP. |
entreprise, et en acceptant de passer de la pure indépendance à une logique d’association au capital – avec comme objectif commun la création d’un groupe national – n’a quitté le navire depuis 5 ans.
Nous pensons que l’ambiance très "start-up" de notre groupe, une hiérarchie très plate et un esprit "commando" expliquent que la greffe ait si bien pris et que les membres de l’équipe, malgré les difficultés du quotidien, aient autant de plaisir à se retrouver et à travailler ensemble.
La très grande cohésion de notre équipe, que certains ont par exemple bien notée au récent trophée Hygéco, est notre plus grande satisfaction. Et c’est aujourd’hui notre meilleure force d’attraction vis-à-vis des entrepreneurs et des salariés qui veulent nous rejoindre.
R : Lors de votre acquisition du groupe ROC•ECLERC, M. Daniel Abittan est devenu actionnaire du groupe FUNECAP, mais aussi et surtout le président de son comité stratégique. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, car certains professionnels comme Philippe Martineau "ne croient pas à un achat de ROC•ECLERC par FUNECAP" et pensent que l’opération que vous avez réalisée "ressemble plutôt à une prise de participation" ?
XT : En effet, nous avons noté ce point, qui nous a fait sourire. Ce qui est certain, c’est que l’argent de l’acquisition n’est plus sur nos comptes bancaires. (rires).
TG : La réalité est beaucoup plus simple : Daniel Abittan a cédé 100 % de ROC•ECLERC à FUNECAP et a pris une participation de 5 % au capital de notre groupe. Ce qui en fait un partenaire tout à fait significatif, même si Xavier et moi-même conservons le contrôle de l’ensemble via une de nos sociétés communes.
L’investissement de Daniel Abittan démontre d’abord et avant tout la confiance qu’il accorde à notre stratégie et à nos équipes. Il a en outre consenti à nous accompagner dans nos réflexions stratégiques et à nous faire profiter de sa grande expérience. Nous sommes très fiers qu’un entrepreneur qui a connu autant de succès dans sa carrière en créant de nombreux groupes à partir de rien (PhotoService, Photo Station, Grand Optical, la Générale d’Optique, Acuitis, etc.) ait accepté de nous accompagner dans notre projet.
XT : Par ailleurs, Daniel Abittan – comme beaucoup de grands entrepreneurs – possède une dimension personnelle qui va bien au-delà de l’entreprise et des affaires. Ce qui fait que nous nous retrouvons la plupart du temps à discuter philosophie et histoire au lieu de business plan et politique marketing (rires).
Au-delà de cet aspect personnel, qui compte beaucoup pour nous, il est évident que les années à venir – tout en maintenant un taux de croissance élevé – seront celles de la structuration de FUNECAP, notamment au plan du marketing et de la relation-clients. Daniel Abittan étant un grand spécialiste de ces sujets, son aide nous sera précieuse à l’avenir.
D’où sa participation à notre comité stratégique que nous lui avons demandé de présider du fait de son expérience et de son dynamisme tout à fait hors du commun.
R : Les groupements coopératifs comme Le Choix Funéraire sont-ils réellement différents de forme de sociétés plus classiques comme la vôtre ?
XT : Cela dépend si l’on parle du fond ou de la forme.
Sur la forme, c’est surtout une différence de gouvernance, puisqu’il s’agit, au départ, pour les groupements coopératifs, de mettre en commun leurs moyens pour être plus efficaces – essentiellement via une centrale d’achat commune – tout en restant "farouchement" indépendants.
Sur le fond, chacun fait le même métier et tente de le faire le mieux possible au service des familles. Si "l’esprit coopératif" semble peut-être plus "doux" vis-à-vis des familles, il existe aussi plus de disparités dans un groupement entre les "meilleurs de la classe" et les plus faibles. Que ce soit en matière de qualité de service ou de prix proposés. L’entreprise unique ayant tendance à vouloir homogénéiser sa qualité et ses prix.
Mais, ce que l’on remarque avec l’évolution des marchés, c’est que ces différences ont tendance à s’estomper avec le temps, et les systèmes coopératifs à se rapprocher des sociétés classiques, car elles font face aux mêmes enjeux.
Philippe Martineau ne dit pas autre chose lorsqu’il parle de la grande distribution. Quelle différence aujourd’hui, notamment pour le client, entre Leclerc et Carrefour : chacun communique sur ses prix les moins chers et finalement tout le monde est moins cher !
Mais, au bout du compte, chacun de ces acteurs doit faire, et fait, le même type de profit que les autres. Ce qui n’est pas une si mauvaise chose car, lorsque les entreprises ne font plus de profit, elles licencient et font faillite…
Même s’il faut tenter de donner le meilleur prix aux clients, n’oublions pas que la course aux prix toujours plus bas est la plus grande cause de délocalisation des emplois… Et que la qualité des produits et des services en pâtit également.
Tout est une question d’équilibre.
TG : On pourrait ajouter que notre groupe est très "coopératif" par son mode de fonctionnement (actionnariat des principaux dirigeants, principe du consensus "dynamique", synonyme de mouvement par opposition au consensus "mou" qui fait tourner sur soi-même, dans le processus de décision, etc.) et qu’en parallèle les groupes coopératifs sont de plus en plus intégrés et vont également devoir répondre aux grands enjeux de demain.
Par exemple, comment préserver le patrimoine de leurs adhérents lorsque ceux-ci veulent vendre leur entreprise ? Si ces groupements rachètent ces entreprises et les intègrent, en quoi seront-ils différents des sociétés classiques ?
Autre exemple, comment faire monter en gamme la qualité des réseaux par le développement de complexes funéraires qui coûtent plusieurs millions d’euros ? Qui les finance ? Comment "obliger" les indépendants à monter le niveau de qualité de leurs installations ?
Toutes ces questions restent à résoudre. Ce qui promet un avenir passionnant !
Au final, nous ne devons pas être si éloignés l’un de l’autre, puisque notre projet a séduit bon nombre de membres de réseaux coopératifs qui ont également une forte identité familiale comme nous.
R : Justement, on vous décrit souvent comme des financiers qui ne penseraient qu’en termes de rendement à court terme et pour lesquels le métier et le service aux familles seraient très secondaires, qu’avez-vous à répondre à cela ?
XT : En premier lieu, que financiers n’est pas une insulte – même si, au fond, c’est un terme qui ne veut rien dire tellement il est vaste – et que les plus grands entrepreneurs français (Bernard Arnault, François Pinault, Gérard Mulliez, etc.) sont aussi les plus grands "financiers"… et accessoirement les meilleurs représentants du savoir-faire français dans le monde…
Ce qui est parfaitement logique, puisqu’on ne développe pas une entreprise sans esprit entrepreneurial, sens du client, approche terrain, et autres qualités "métier", mais qu’on ne la développe pas non plus sans capitaux et sans sens économique et financier.
Ce que tous les entrepreneurs de pompes funèbres qui gèrent de belles sociétés savent parfaitement !
Pour revenir à nous, ce thème récurrent n’est que le reflet d’une certaine incapacité à critiquer autre chose que notre petite personne, puisque notre stratégie est cohérente, nos résultats parlent pour nous et toute la profession a bien conscience que nous allons dans le sens de l’évolution du secteur.
Et qu’il faut bien trouver des réponses pratiques aux grandes forces qui vont profondément modifier le marché funéraire dans les années à venir, notamment l’Internet, le poids de la bancassurance et… l’impérieuse nécessité pour un grand nombre d’entrepreneurs de céder leur entreprise (souvent par défaut de succession familiale), de la voir leur survivre, dans son identité, sa marque et sa culture, et se développer afin de protéger leurs salariés !
Lors de notre arrivée dans ce marché en 2010, on a commencé à dire que nous n’avions aucune chance de réussir quoi que ce soit puisque nous ne venions pas de ce métier et que d’autres, bien plus anciens que nous, s’étaient souvent cassé les dents à vouloir racheter des entreprises et à les intégrer.
Puis on a dit que notre situation financière ne nous permettait pas de payer les salaires ou les loyers ; argument "massue" pour convaincre certains professionnels de ne pas nous rejoindre ou de ne pas s’associer avec nous.
Puis on a dit que nous repartirions dans les trois ans qui suivraient car nous étions forcément court-termistes.
Aujourd’hui, "on" n’a plus grand-chose à dire sur ces thèmes, donc "on" dit simplement que nous sommes des "financiers".
Mais tout cela n’est que l’écume des choses, au final comme le disait Aristote, "nous sommes ce que nous faisons". À chacun de juger.
TG : Après avoir discuté avec nous quand même (rires) !
Nous sommes d’ailleurs très accessibles et nous nous déplaçons en personne là où nous sommes invités…
Pour conclure sur ce thème, Xavier et moi avons été durant 20 ans des investisseurs en capital. Ce qui est un peu plus précis que "financiers" et qui signifie que notre métier consistait à apporter du capital aux entreprises afin qu’elles puissent se développer et que les familles d’entrepreneurs qui les possédaient puissent gérer leurs successions en cédant leur entreprise la plupart du temps en associant les cadres internes à l’opération.
Puis, après avoir travaillé pour plusieurs sociétés d’investissement, nous avons décidé de passer à l’entrepreneuriat en développant nos propres projets, en y investissant la majeure partie de notre patrimoine personnel dans une perspective de long terme.
La création et le développement de FUNECAP est le résultat de ce choix entrepreneurial et patrimonial et de la rencontre avec des professionnels aguerris que nous avons convaincus de rejoindre le projet et qui lui ont apporté leur expérience et leur savoir-faire. C’est grâce à cette complémentarité que notre groupe se développe si bien.
Quant à notre horizon de temps, nous raisonnons à 10 ans dans la construction de notre groupe. Des investissements comme celui du complexe funéraire de Valence, dont nous avons acquis le terrain et le bâtiment en sachant que, pour des raisons juridiques, nous ne pourrions achever la construction avant 3-4 ans ni rentabiliser l’exploitation avant 7-8 ans, le démontrent amplement.
Dans chaque région où nous investissons, en plus de la croissance externe, nous avons une politique systématique de développement de complexes funéraires afin d’augmenter le niveau de qualité de notre offre par rapport à celle de nos concurrents. Nous investissons également beaucoup en matériels et dans la formation du personnel, afin d’atteindre la meilleure qualité de service.
R : Le groupe FUNECAP regroupe les enseignes ROC•ECLERC et Pompes Funèbres PASCAL LECLERC®. Seront-elles toujours distinctes, ou bien des rapprochements stratégiques pourraient-ils voir le jour à plus ou moins court terme ?
XT : Nous considérons que, comme dans beaucoup de groupes de franchise qui réunissent plusieurs marques, ROC•ECLERC et Pompes Funèbres PASCAL LECLERC® peuvent parfaitement coexister, comme c’est le cas, par exemple, à Nice, où nous les exploitons en complément l’une de l’autre depuis plusieurs années.
Bien entendu, il y aura un certain nombre de questions à régler en affinant la segmentation et leur plan de développement respectifs. Nous voyons beaucoup de franchisés ROC•ECLERC et Pompes Funébres PASCAL LECLERC® en ce moment afin de pouvoir préciser les stratégies et de gérer les situations particulières.
TG : Ce qui est certain, c’est que notre rapprochement avec ROC•ECLERC devait se faire en 2015, car, à plus long terme, nos groupes et nos développements auraient trop divergé pour être facilement compatibles et gérables.
C’est ce dont nous sommes parvenus à convaincre Daniel Abittan en juillet dernier.
R : L’autre vocation du groupe FUNECAP est la gestion de crématoriums et autres chambres funéraires. Au vu de la couverture nationale accrue que vous octroie l’acquisition de ROC•ECLERC, quels sont vos objectifs dans ce domaine ?
XT : Notre filiale, la Société des crématoriums de France (SCF), présidée par Frank Dinneweth, a deux objectifs principaux : mener à bien avant début 2018 (délai réglementaire) la mise en place des filtrations dans environ la moitié des crématoriums qu’elle gère, et conquérir deux ou trois nouveaux contrats de Délégation de Service Public ("DSP") par an.
La mise en place des filtrations et la renégociation en parallèle des contrats de DSP est un très gros travail que SCF a eu heureusement plusieurs années pour préparer et qu’elle est confiante de pouvoir mener à bien dans les délais requis.
Quant à la conquête de nouvelles DSP, elle s’y attèle de façon ambitieuse et espère pouvoir annoncer plusieurs bonnes nouvelles avant la fin de l’année.
De son côté, la partie "services funéraires" de FUNECAP gérait plusieurs crématoriums, qui ont tous été mis aux normes de filtration, et a participé à quelques appels d’offres, seule ou en partenariat, qui devraient déboucher positivement dans les semaines à venir.
TG : Au total, nous devrions gérer deux ou trois crématoriums de plus qu’en début d’année et bénéficier d’une durée moyenne plus longue de DSP, ce qui est assez satisfaisant…
En outre, étant donné la qualité de nos crématoriums, souvent très supérieure à la concurrence, nous sommes confiants que le niveau de fréquentation va continuer à croître auprès de tous les acteurs du funéraire qui souhaitent que les familles bénéficient du meilleur service. .
Nous gérons nos crématoriums en toute neutralité vis-à-vis des différents opérateurs de pompes funèbres (internes et externes au groupe) et sommes très attachés à ce principe.
Quant à nos autres infrastructures funéraires, comme nous l’avons dit précédemment, nous avons comme stratégie de promouvoir la construction de complexes funéraires que nous appelons de "3e génération" (après l’agence simple, puis la chambre funéraire classique, le complexe funéraire avec également salle de cérémonie, espace de convivialité, etc.) et qui permettent d’apporter une véritable rupture de qualité aux familles que nous recevons, et ainsi de gagner des parts de marché. Nous l’avons fait à Toulon, Nice, Valence, Liévin, Dole, Nantes et Rennes notamment et avons plusieurs autres projets de ce type en cours d’étude qui ne passeront pas inaperçus.
R : Le groupe ROC•ECLERC disposait de produits et services propres tels que contrats de prévoyance, centre de formation (ndlr : ROC•ECLERC ACADÉMIE), ou encore rénovation et entretien de sépultures classées (ndlr : ROC•ECLERC Funéraire & Patrimoine). Ces offres et structures vont-elles faire l’objet d’une mutualisation de moyens au profit du groupe FUNECAP ?
XT : Il est évident, qu’avec plus de 20 000 convois qui seront réalisés en 2015, en croissance de 15 à 20 % par an, la puissance d’achat en propre du groupe est forte et pourra être mise en partie au service des franchisés ROC•ECLERC et des Pompes Funèbres PASCAL LECLERC®.
Il nous faut, bien entendu, un temps d’adaptation pour mettre ces sujets en place, mais c’est un objectif clair du groupe.
De même que nous souhaitons apporter plus d’expertise à nos franchisés en nous appuyant sur l’expérience terrain de nos 200 points de vente en propre répartis sur toute la France, et sur un certain nombre de professionnels expérimentés que nous souhaitons "mettre à disposition" des franchisés à l’avenir.
TG : Rappelons aussi que c’est Rebillon, qui fait partie de notre groupe depuis 2012, en la personne de son ex-dirigeant, Philippe Caillarec, qui a "inventé", ou plutôt adapté de façon particulièrement astucieuse, le système de rénovation bénéficiant du régime fiscal des "monuments historiques" pour les monuments funéraires des cimetières parisiens notamment.
Nous sommes donc très sensibles au développement de ce type de rénovation, qui participe, en outre, à la préservation du patrimoine culturel français.
Propos recueillis par
Steve La Richarderie
Résonance n°113 - Septembre 2015
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :