Au cœur de la Bourgogne, et plus précisément au centre du célèbre vignoble de Nuits-Saint-Georges, la société Manzini Granit, spécialisée dans la transformation de granits de toute provenance, exerce son activité au milieu des vignes, créant et réalisant chaque jour une large gamme d’articles funéraires, avec la même passion que les vignerons voisins pour leurs nectars bourguignons.
Marc Manzini. |
Homme d’opinion et entrepreneur dynamique du funéraire, Marc Manzini dirige, depuis 1973, Manzini Granit, société spécialisée dans la fabrication d’objets funéraires. Le modèle industriel établi par celui-ci fait référence dans le milieu funéraire par sa politique commerciale, construite sur le "2/3 national-1/3 export", et sa capacité de création de nouveaux modèles, gérée en interne.
Son dynamisme et ses convictions l’ont conduit à s’investir dès 1980 au sein de la Chambre Syndicale Nationale de l’Art Funéraire (CSNAF/Salon Funéraire) qu’il dirigea et dont il reste président honoraire et membre très actif.
Notre rencontre avec ce dirigeant haut en couleur, et riche d’un savoir entrepreneurial réel, nous a permis d’appréhender la complexité et la performance, tant qualitative que quantitative, de cette entreprise leader dans son secteur d’activité.
Bienvenue dans la visite des établissements Manzini... Et n’oubliez pas le guide !
Lanterne Corolla.
Résonance : Après avoir abandonné des études prometteuses par désir du labeur concret, vous avez pris la succession de votre père artisan qui travaillait, entre autres, la pierre de Comblanchien. Vous êtes maintenant à la tête d’une entreprise importante du secteur funéraire, mais également présente à l’échelle régionale dans le secteur de à la marbrerie décorative et du bâtiment. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Marc Manzini : J’ai commencé à travailler en 1966 à l’âge de 15 ans comme apprenti chez mon père. En 1975, j’avais alors 24 ans, un BEPC et un CAP de tailleur de pierre et j’ai repris l’affaire artisanale de mon père, spécialisée dans la fabrication de vases funéraires.
Année après année, nous avons acquis un savoir-faire incontesté dans la fabrication d’articles d’ornementation, de monuments funéraires et cinéraires en pierre et marbre uniquement. Aujourd’hui, nous sommes un effectif total de 65 personnes (filiales comprises), dont un réseau commercial de 12 personnes.
J’ai l’avantage d’être entouré de personnes compétentes. Certains salariés ont été à l’école avec moi, puis ont fait leur carrière chez nous. Ils partent prochainement à la retraite après avoir construit leur vie avec Manzini Granit. C’est important, car je pense que l’entrepreneur doit avoir un rôle économique mais aussi une fonction sociale. De plus, mes employés savent d’où je viens, c’est-à-dire de la même extraction ouvrière. Il y a de ce fait une relation de confiance et de proximité. Cela génère une émulation saine où le personnel est motivé pour faire avancer l’entreprise et en retirer les bénéfices.
R : Pouvez-vous nous parler de votre savoir-faire dans la fabrication d’articles d’ornementation funéraire et de monuments, sachant que cette transformation de la matière résulte de deux cycles industriels différents se déroulant sur deux sites principaux, Comblanchien et Ladoix-Serrigny ?
MM : Tout d’abord, je voudrais parler des opérations de début de cycle, qui sont toutes réalisées sur le site de Comblanchien : débit des blocs, polissage des tranches, sciage des pièces semi-finies. En effet, notre savoir-faire consiste à traiter des pièces massives de taille moyenne (vases et vasques, jardinières, lanternes, plaques, urnes, etc.) avec les mêmes techniques que celles employées par les granitiers. Elles permettent de transformer un bloc de granit en un parpaing avec des faces polies.
Ici (ainsi que sur l’autre site), nous avons un processus en "U". En effet, les matières doivent toujours avancer et ne pas revenir en arrière. Il faut que l’organisation soit optimisée en matière de logistique afin que, une fois la qualité du matériau validée, il puisse suivre son chemin de fabrication. Cela se fait dès que la commande du client est entrée dans le système informatique. C’est elle qui "tire" la matière pour arriver au produit fini.
Monuments en pierre naturelle.
R : Quels granits utilisez-vous et quelles sont les techniques mises en œuvre pour les transformer ?
MM : Les granits que nous utilisons ont plusieurs provenances : France, Brésil, Inde, Scandinavie, Afrique du Sud. Nous ne les achetons pas en direct, mais nous passons par des plates-formes de revendeurs. La première chose que nous faisons à l’arrivée de ceux-ci est une vérification stricte de la qualité et de la correspondance avec la commande que nous avons effectuée (quantité, origine, régularité et aspect du matériau).
Je voudrais ajouter qu’en plus du façonnage du granit, nous fabriquons aussi des monuments en pierre et en marbre de Carrare. Il faut savoir que nous sommes dans le principal bassin calcaire français, donnant ce qu’on appelle la pierre de "Comblanchien".
Quand le bloc a été certifié, on lui donne un numéro pour son identification, enregistré sur nos ordinateurs. Ensuite, il peut être découpé à l’aide du fil diamant ou de grands disques, puis avec une débiteuse. Au fil de la chaîne de découpe, les morceaux deviennent de plus en plus petits, en fonction des besoins.
Le polissage et le débit des pièces se font ensuite avec des machines automatiques programmables (longueur, largeur, épaisseur, pression) qui traitent de grandes quantités de pièces, comme des séries de jardinières à assembler (bordures et fond).
Une fois ces actions opérées, on peut passer à la deuxième phase. Les pièces ayant été profilées, elles prennent diverses formes et tailles, et sont rangées sur des chariots dans la zone de départ. La navette les charge et les emmène à l’unité de finition de Ladoix-Serrigny (départ quotidien). La phase numéro un est terminée. On appelle ça le processus de début de cycle. À Ladoix, nous faisons le produit fini, et c’est là que se trouve le magasin pour le stockage temporaire avant l’expédition.
R : À ce moment-là du process, ces "parpaings" plus ou moins gros vont devenir des produits semi-ouvrés ou être provisoirement stockés (peu de temps), car vous usinez à flux tendu. Est-ce exact ?
MM : Oui, nous essayons de tendre les flux, de faire que le cheminement devienne le plus fluide possible, et d’une grande cohérence. Donc ces blocs sont soit transformés en objets commandés, soit stockés pour une utilisation ultérieure. Mais ils seront déjà dans un format adapté. Il faut préciser que les "préparations" en pierre, qui sont débitées et profilées à Comblanchien, partent, elles, pour finalisation (pour devenir notamment des monuments funéraires) dans notre filiale (SARL Devillard) dédiée à la pierre et au marbre à Saint-Laurent-sur-Saône (Mâcon).
R : Parlons maintenant de la fin de cycle, là où l’article funéraire va prendre forme, être finalisé avant de partir chez le client. Tout est fait à l’usine de Ladoix-Serrigny, où se trouve également le service expédition, je crois ?
MM : Oui, c’est là que se déroule ce que nous appelons la "seconde transformation". On va passer du "parpaing" au produit fini, grâce notamment aux opérations d’alésage, de perçage, de fraisage, etc. ; puis à l’expédition de celui-ci. Le parc de machines est vaste, composé de robots de tournage, d’un combiné fraiseuse polisseuse multifonction, de débiteuses programmées, de polissoirs à chants, de tourets, etc. À Ladoix comme à Comblanchien, nous avons un processus en "U", avec un produit qui toujours avance pour arriver à l’aspect final.
Les différentes actions sont issues d’un vrai savoir-faire détenu par nos ouvriers. Que ce soit le perçage d’une urne, d’un vase ou l’élaboration d’un livre ouvert, chacun maîtrise à la fois la rapidité d’exécution et une irréprochable finition. Chaque article fait l’objet de beaucoup de soin et l’objectif qualité est toujours atteint. De plus, nous voulons être responsables et sérieux jusqu’au bout. Par exemple, pour les cendriers d’urne, nous utilisons le PEHD (Polyéthylène Haute Densité) qui est d’une étanchéité parfaite. C’est ce matériau qui est utilisé pour les bouteilles de lait. Le cendrier possède en plus une capsule dans le bouchon qui se soude automatiquement à la fermeture.
Les polissages que nous effectuons permettent aussi de donner différents "brillants" ou "mats". Nos machines-outils offrent beaucoup de précision. C’est très important pour certaines pièces, comme les parchemins en marbre ou en granit. En matière de chiffres, pour vous donner une idée, nous fabriquons environ 15 000 produits tournés et à peu près 20 000 carrés.
Enfin, nous avons le magasin où va être stocké l’ensemble de la production. Mais ce n’est qu’un stock intermédiaire, car 250 à 300 articles funéraires partent de chez nous tous les jours. Cela représente 55 000 expéditions par an, qui se décomposent en 35 000 fabrications "Manzini" et 20 000 exemplaires "négoce". Afin d’être le plus réactifs possible, un petit stock est entretenu dans l’arrière-magasin. Celui-ci est géré automatiquement sur informatique pour des mises à jour rapides. Nous devons pouvoir répondre dans des délais très courts, c’est obligatoire tant à l’export que pour nos clients hexagonaux.
R : Si le marché français est votre priorité commerciale, vous avez néanmoins cherché de nouveaux débouchés à l’export et vous travaillez maintenant depuis plusieurs années avec de nombreux pays en Europe, notamment l’Allemagne. Est-ce juste ?
MM : Tout à fait. Notre entreprise se caractérise aussi par son ouverture à l’export. Cela représente 37 % du chiffre d’affaires 2015 (hors filiales). Principalement avec l’Allemagne, pays avec lequel nous avons développé de fortes relations commerciales à partir des années quatre-vingt-dix. À l’époque, j’ai senti que les marchés allaient évoluer avec la concurrence des importateurs, la montée de la crémation. Je me suis dit qu’il fallait aller voir du côté du marché allemand. On exportait déjà vers la Belgique et les Pays-Bas, mais il était nécessaire d’aller conquérir ce nouveau débouché.
Je ne regrette pas de l’avoir fait, même si cela a coûté cher au début. En effet, nous pensions leur vendre nos vases, nos vasques, mais ils n’en voulaient pas, ils n’avaient rien à faire du savoir-faire Manzini. Nous devions nous adapter à leurs attentes. Nous avons un peu ramé au début, mais nous avons compris leurs valeurs, leur attachement au cimetière et à la beauté des articles du souvenir. Chez eux, il n’y a pas de grands monuments, simplement une stèle, un petit entourage. D’où l’idée de produire des lanternes (alliant élégance et harmonie) et des "livres ouverts à graver" en granit. Ce sont des produits de valeur personnalisables qui ont beaucoup de succès avec eux. Sur ce type de gamme, nous avons un stock intermédiaire afin d’être très réactifs, car il ne faut pas dépasser trois semaines pour la livraison.
R : Pour une PME industrielle familiale comme la vôtre, la partie gestion administrative et commerciale est essentielle. J’imagine qu’en plus de vos dispositifs "physiques" et purement manufacturiers, vous avez dû imaginer une organisation plus "virtuelle", numérique et informatique, efficiente et performante, n’est-ce pas ?
MM : Oui, l’un des autres points primordiaux d’une PME comme la nôtre est incontestablement l’organisation administrative. Les bureaux sont installés au-dessus des ateliers de l’établissement principal, siège de la société (Comblanchien). Tout d’abord, il faut savoir que les flux physiques sont pilotés par des flux d’informations. On peut dire que les pierres avancent grâce aux différentes circulations des instructions et des communications documentaires.
L’administration détermine ce que chacun doit faire. Au sein de celle-ci, il y a un service client (en "open space" et réunissant les secteurs "Achat" et "Vente" pour une efficacité maximum) par lequel transitent toutes les informations en provenance des clients ou des commerciaux. Six personnes y sont affectées, bilingues ou trilingues pour certaines, s’occupant de l’export ou des réseaux français, par exemple.
Nous avons également un service dédié aux devis et un bureau d’études. Ce dernier s’occupe de la conception des articles funéraires, de la création pure à la simple modification ou évolution. En effet, dans le funéraire, on est dans la tradition, mais il faut de la nouveauté en permanence. C’est donc un poste indispensable, et j’y consacre beaucoup de temps en travaillant avec Patrick, notre concepteur maison. Dans ce domaine, l’Allemagne est un exemple significatif en matière de nouveautés, car très demandeuse d’innovation et de création. Elle nous oblige à repousser nos limites en permanence, à être réactifs et imaginatifs.
Les activités industrielles abordées ici avec Marc Manzini ne sont qu’une partie de ses occupations. Passionné par son métier, il est aussi un transmetteur de savoir et un chef d’entreprise engagé, militant qui œuvre activement au sein de la CSNAF… mais nous aurons sans aucun doute l’occasion très prochainement d’en reparler.
Gil Chauveau
Résonance n°121 - Juin 2016
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