Interview d’un élu : Mathieu Legrand, également vice-président de l’Association NAtionale des PErsonnels de Cimetière (A.NA.PE.C).
Isabelle Prigent : Bonjour Mathieu, vous êtes à plus d’un titre un spécialiste du monde funéraire après un parcours de plus de 40 années au service des nombreux interlocuteurs rencontrés tout au long de votre carrière. Pouvez-vous nous expliquer les étapes clés de votre parcours ?
Mathieu LEGRAND : Je suis rentré aux PTT après l’obtention de mon baccalauréat et ai exercé tant dans les télécommunications qu’à La Poste de nombreuses fonctions techniques, administratives et managériales. En 2008, j’intègre la fonction publique territoriale où la Ville de Puteaux me propose la responsabilité du service état civil.
Le cimetière de Puteaux a la particularité d’être situé sur le territoire de la ville voisine de Nanterre, et se trouve de ce fait décentralisé. Je propose au maire de créer une entité funéraire à part entière in situ. Avec du personnel et un conservateur sur place, le cimetière se modernise, les évènements se multiplient, la gestion des concessions se perfectionne et l’accueil des familles est plébiscité.
Je me passionne pour le droit funéraire et, en 2011, le Syndicat Intercommunal Funéraire de la Région Parisienne (SIFUREP) me recrute comme responsable de l’activité funéraire. À la suite de la démission soudaine du conservateur du cimetière intercommunal de Joncherolles géré par le SIFUREP, il m’est demandé d’assurer l’intérim de la fonction. C’est là que je rencontre l’Association NAtionale des PErsonnels de Cimetière (A.NA.PE.C.) qui avait son siège social et ses réunions au sein de l’établissement.
En 2014, je suis élu dans ma commune et hérite bien logiquement de la délégation au funéraire. C’est ainsi que je postule auprès de l’Association des Maires de France (AMF) qui peine à désigner des élus pour la représenter au Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF). En 2016, je prends ma retraite et conserve mes activités électives, qui prendront fin ce mois-ci.
IP : Vous avez exprimé depuis peu votre souhait de ne pas renouveler votre mandat d’élu, mais je sais aussi que votre énergie de retraité actif au service du plus grand nombre ne vous éloignera jamais beaucoup du funéraire, car vous aimez le contact humain, l’échange et la transmission des connaissances. Pouvez-vous nous parler du rôle de l’élu d’aujourd’hui et nous indiquer ce qui vous a le plus passionné dans vos missions d’élu durant votre carrière ?
ML : Être élu, travailler au bien-être d’une cité, bâtir demain, est un enjeu magnifique qui ne peut que motiver un homme ou une femme soucieux(se) du service au plus grand nombre. Malheureusement, la politique, qui reste un art accessible à tous dans une démocratie, s’est considérablement altérée ces dernières années. Le peuple confond exercice du pouvoir et défense de ses intérêts personnels, et refuse de déléguer à un élu sa représentation dans l’exercice du bien commun. On en vient à revendiquer l’abstention et le vote nul comme le réel résultat d’une élection. L’élu est bafoué, dénigré et fustigé. Certains mêmes voient leurs biens et leur famille violentés.
Par ailleurs, l’élu est confronté à l’ambition légitime de réaliser un programme qui lui tient à cœur, et découvre rapidement, une fois en poste, que ses mains sont liées par des contraintes budgétaires et un mode de gestion communautaire qui entrave toute initiative. L’État contraint à l’économie de dépenses et bride les recettes. Or, une fois payées toutes les charges fixes qui évoluent chaque année, la marge de manœuvre d’un maire est excessivement réduite ; ce qui enlève beaucoup d’intérêt à la fonction. Cette dernière mandature, par diverses lois (ALUR, NOTRe MAPTAM), a largement contribué à l’altération de la fonction de maire, et c’est la raison pour laquelle de nombreux élus sortants n’ont pas souhaité se représenter.
Bien qu’ayant récemment déménagé, j’ai pris à cœur mon mandat, notamment en lançant localement le réaménagement paysager de l’ancien cimetière autour de l’église paroissiale. Mon activité au CNOF s’est révélée passionnante. Durant ces derniers mois, nous avons contribué à l’écriture de plusieurs guides à disposition du grand public, et avons commencé notre réflexion sur d’autres modes de sépulture que l’inhumation et la crémation. Nous allons réformer le système d’obtention des diplômes de conseiller funéraire et maître de cérémonie, en créant une évaluation nationale. Nous avons fait évoluer le métier de thanatopracteur en proposant des normes d’hygiène et environnementales pour tous les techniciens du funéraire. Le CNOF travaille à un glossaire censé uniformiser la terminologie pour une meilleure information du grand public.
À l’A.NA.PE.C., nous avons développé notre nombre d’adhérents en renforçant notre soutien juridique et technique. Nous mettons en valeur chaque fois que possible les réalisations de nos adhérents dans leurs lieux d’activité. Nous informons sur les progrès de gestion informatique ou sur l’évolution des techniques de rénovations architecturales (par exemple, pour les chapelles), et surtout nous encourageons une bonne gestion de nos cimetières basée d’une part sur les reprises des concessions échues, en péril, ou en constat d’abandon, et d’autre part en encourageant l’investissement paysager au détriment du minéral dans le respect des normes phytosanitaires.
Soucieux de pérenniser mon rôle d’acteur public, l’A.NA.PE.C. propose depuis quelques mois, dans les villes qui le souhaitent, une conférence à destination du grand public sur les droits et devoirs du funéraire. Je suis heureux de partager ma passion à un public néophyte empli d’idées reçues qui sort de l’hémicycle ravi d’avoir éclairci plusieurs points et d’avoir appris tant de choses.
IP : Quels sont selon vous les enjeux de demain pour un gestionnaire et/ou un élu au service du funéraire ?
ML : Malgré un grand nombre de formations proposées par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) ou d’autres écoles, le personnel affecté à la gestion des cimetières affiche encore de grosses lacunes. C’est un constat et surtout pas un reproche, tant ces agents sont noyés dans une foule d’information et d’activités. Le funéraire est encore, malheureusement, le parent pauvre de la gestion municipale. Trop rares sont encore les mairies ayant mis en place un réel service funéraire avec un responsable coordonnant à la fois les convois et la gestion des concessions, ayant aussi l’écoute des services techniques pour l’entretien des voies et des espaces verts.
Le cimetière est fréquenté chaque année par 85 % de la population d’une ville, certainement beaucoup plus que d’autres équipements. Il mérite une attention que parfois on néglige. Avec le peu de moyens évoqué plus haut, le maire doit certes faire des choix bien difficiles à arbitrer, mais la population n’acceptera jamais que ses défunts soient négligés alors qu’elle est prête, malgré tout, à tolérer d’autres défaillances de la gestion municipale. Ceux qui ont compris l’importance du lieu ont transformé leur cimetière en lieu de vie, l’ont verdi, l’ont rendu traversant par des voies piétonnes et ombragées, ont installé des bancs pour permettre des haltes ou des rencontres. Dans les métropoles fortement urbanisées, le cimetière est devenu le poumon vert indispensable à l’environnement de la cité, dernier lieu de fraîcheur recherché en cas de canicule.
Le cimetière est un enjeu politique, et sans doute certains élus l’apprendront à leurs dépens lors du prochain scrutin.
Le maire oublie trop souvent qu’il engage sa responsabilité pénale ainsi que celle de ses agents si des erreurs administratives ou juridiques sont commises. Le fait de ne pas savoir n’est pas une excuse que les tribunaux retiendront. Dans une France de plus en plus procédurière, le manque de formation ou de sérieux dans le traitement d’un dossier pourrait s’avérer très préjudiciable. Le rôle de l’élu délégué à cette fonction est de protéger son maire et les agents en étant à l’écoute de ce qui se pratique, en partageant avec ses confrères, en se déplaçant au salon des maires ou du funéraire pour apprécier les évolutions dans le domaine, en soutenant les agents dans leurs sollicitations, en motivant le conseil municipal pour des opérations d’aménagement des sites ou d’accueil des familles, en étant porteur d’initiative comme la mise en place de salles de cérémonies pour des cérémonies civiles et laïques. Ce sont tous ces souhaits qui ont motivé la mise en place du cercle d’élus à l’A.NA.PE.C.
Le gestionnaire de l’activité funéraire doit également rester informé en lisant les revues spécialisées telles que Résonance, et accompagner son élu dans le plus grand nombre de manifestations qui lui permettent de parfaire sa connaissance. Rappelons que l’A.NA.PE.C. diffuse quasi quotidiennement une veille juridique et médias à tous ses adhérents. Fort de ses acquis régulièrement mis à niveau, il doit convaincre sa hiérarchie de porter de nouveaux projets d’aménagement ou de services. Il doit veiller à l’actualisation de toutes les données régissant la gestion des concessions, et offrir un service d’accueil de qualité qui passe en tout premier lieu par un cimetière parfaitement entretenu.
IP : Quelle doit être la nature de la relation entre un élu du funéraire et le gestionnaire d’un cimetière ou d’un équipement funéraire ?
ML : Le couple élu/gestionnaire doit être soudé et porteur de la même énergie. Le gestionnaire ne pourra pas avancer sans le soutien de l’élu, et l’élu ne peut porter un projet s’il n’en a pas la connaissance que lui transmet l’agent. Permettez-moi une nouvelle fois de profiter des colonnes qui me sont offertes pour encourager les élus qui vont émerger des prochaines élections à se rapprocher de l’A.NA.PE.C. pour obtenir pour leur ville et/ou les agents en charge des cimetières le soutien de l’Association.
En conclusion, mon expérience et mon observation de cette décennie à œuvrer pour le funéraire m’amènent à résumer cette activité à la seule volonté de progresser dans la connaissance du sujet pour le bien du service public. On ne reste pas dans le funéraire sans un engagement profond. Nul ne sait vraiment pourquoi il s’y sent à sa place et se passionne tant. C’est ainsi ! L’empathie du métier, l’esprit d’équipe face aux difficultés et aux embûches, mais aussi et surtout, un sentiment du devoir accompli quand une famille vous remercie avec une chaleur toute démesurée en rapport au travail fourni vous rappelant ainsi la juste mesure de chacun de vos actes. Peu de métiers vous offrent sans doute cette chance de constater objectivement et rapidement le résultat de votre travail, avec la particularité, et pas la moindre, de toucher l’intimité profonde de l’humain.
Isabelle Prigent
Présidente de l’A.NA.PE.C.
Résonance n° 157 - Février 2020
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :