Face à la crise sanitaire et à la hausse de la mortalité, le Groupe OGF a dû faire face à des problématiques inédites et démontrer sa capacité à s’adapter et innover. Le Groupe a su réorganiser ses activités, tant dans sa production que dans l’accompagnement des familles ou dans ses relations avec les collectivités locales. Pour OGF, cette crise sanitaire est riche d’enseignements et préfigure de nouvelles façons d’exercer les métiers du funéraire. Échange avec Philippe Lerouge, président-directeur général du Groupe.
Résonance : Comment, dans les conditions exceptionnelles imposées par la pandémie de Covid-19, peut-on maintenir l’activité d’un Groupe comme OGF ?
Philippe Lerouge : Nous avons dû faire face à des enjeux inédits et nous confronter à des questionnements majeurs pour concilier la sécurité des collaborateurs, les attentes des familles, la continuité de service public et le respect de la réglementation. Si l’enjeu de beaucoup d’entreprises était de gérer la baisse, voire l’arrêt de leurs activités (fermeture d’établissements, demandes d’aides, chômage partiel, etc.), nous étions dans une situation inverse.
Les équipes des fonctions support ont pu s’organiser pour travailler de chez elles grâce aux différentes solutions techniques de travail à distance, ce qui n’était pas le cas de la majorité de nos collaborateurs qui ont continué à être mobilisés sur le terrain et particulièrement exposés. L’enjeu a donc été de les équiper, de les rassurer et de les informer.
Toutes les régions n’ayant pas été impactées de la même manière, nous avons pu organiser une mobilité géographique volontaire des équipes. Les collaborateurs des secteurs moins touchés ont pu venir en renfort, là où l’on avait vraiment besoin d’eux. De nombreux salariés – près d’une centaine – sont ainsi venus prêter main-forte en région parisienne. Tous les corps de métiers ont répondu présents : conseillers, agents de crématorium, porteurs, chauffeurs, etc. Je suis d’ailleurs particulièrement fier de la solidarité dont les équipes ont fait preuve.
R : Dans cette situation singulière, y a-t-il eu des différences de niveau d’intervention entre les enseignes du Groupe, notamment en fonction du maillage sur le territoire national – très fort historiquement pour PFG – ou non, compte tenu de la capacité de synergie du Groupe ?
PL : Nous n’avons pas analysé la situation du point de vue des enseignes. En revanche, en prenant en compte notre couverture nationale, nous avons pu constater des déséquilibres entre les différentes régions. Pour celles qui ont été moins touchées, l’activité était normale, voire en léger retrait.
Le Nord, l’Est de la France et plus particulièrement l’Île-de-France ont été en revanche très impactés. Dans certains de nos secteurs, il y a eu une véritable tension sur les délais de crémation qui pouvaient atteindre deux semaines en région parisienne. Sur les territoires concernés, nous avons donc dû faire preuve de souplesse et de réactivité. Nous avons par exemple étendu les horaires de fonctionnement des crématoriums au maximum des capacités de leurs équipements. Comme les crémations se déroulaient – de façon exceptionnelle et avec l’accord des autorités délégantes – sans la présence des familles, nous pouvions les réaliser en dehors des heures habituelles. L’ajout de ces créneaux a permis de répondre aux besoins tout en respectant une journée d’inactivité, indispensable au refroidissement des fours.
R : Comment cela s’est-il passé pour vous au niveau des équipements de protection individuelle (EPI), masques et autres fournitures ?
PL : L’approvisionnement en équipements de protection individuelle a été notre priorité. Nous disposions d’un stock suffisant pour protéger les équipes qui partaient en intervention pour les cas à risques infectieux ou les cas avérés de Covid-19. Nous avons par ailleurs lancé très rapidement des commandes massives d’équipements complémentaires, notamment de masques chirurgicaux pour équiper l’ensemble des équipes mobilisées sur le terrain. Grâce à ces commandes anticipées, et alors que, n’étant pas considérés comme profession prioritaire, nous ne pouvions pas recourir aux stocks stratégiques de l’État, nous avons été parmi les premiers servis.
Concernant la protection des collaborateurs et des familles en agence, nous avons pris très tôt des dispositions pour que soient installées des parois en plexiglas (type hygiaphone ou pare-postillons). En plus de ces protections, une modification rigoureuse des circulations a été mise en place. Nous avons également privilégié l’accompagnement des familles à distance et encouragé les prises de contact par téléphone ou par Internet.
R : En matière de logistique, au niveau de la distribution et de la répartition, comment avez-vous procédé ?
PL : Au début, nous nous sommes appuyés sur un réseau de distribution classique via une plateforme centralisée. Constatant que la région Grand-Est avait des difficultés à recevoir tous ses masques – notamment à cause de vols durant le transport – nous avons pris la décision de nous organiser en interne pour assurer nous-mêmes les flux logistiques. C’est là la force d’un grand Groupe comme OGF. Nous avons pu faire intervenir des collaborateurs des différents secteurs géographiques pour apporter les masques au centre névralgique de chaque région avant la ventilation des équipements sur le terrain.
R : Connaissant votre réactivité et votre capacité à innover, avez-vous également utilisé la visioconférence ou d’autres accompagnements pour adoucir les restrictions en vigueur concernant les cérémonies et les obsèques en général ?
PL : Nous l’avons fait de manière indirecte au travers de l’association "Mieux Traverser le Deuil" que nous soutenons via la Fondation PFG. L’association est à l’origine du site du même nom, qui propose des contenus pour accompagner les personnes en deuil, leur entourage et les professionnels confrontés à ce sujet.
Durant la crise sanitaire, l’association a mis en place une solution gratuite de retransmission des cérémonies en direct. Les familles pouvaient créer en quelques clics un espace privatisé pour y diffuser la cérémonie mais aussi publier des informations sur les obsèques, la photo du défunt, des condoléances, des textes de soutien... Ce système présentait plusieurs avantages : sa gratuité bien sûr, mais également la possibilité de diffuser et de partager l’hommage avec un nombre illimité de proches (via un mot de passe sécurisé). Nous avons donc assuré la promotion de cette plateforme auprès des familles afin qu’elles puissent en bénéficier le plus largement possible.
R : Abordons si vous le voulez bien le domaine industriel d’OGF avec la fabrication de cercueils, qui est la plus importante d’Europe pour ce qui est des cercueils en bois massif. Avez-vous connu un accroissement de production ?
PL : Grâce à la maîtrise complète de notre outil de production de cercueils, nous avons en effet pu nous organiser dès les premiers signaux pour augmenter la cadence de manière très significative et répondre aux besoins des agences. Pour cela, nous avons choisi d’orienter la fabrication sur un certain nombre de modèles, les plus choisis par nos familles, et nos deux usines de Reyrieux (Ain) et Jussey (Haute-Saône) ont fonctionné à plein régime sur des créneaux horaires élargis. Ainsi, près de 30 000 cercueils sont sortis de nos usines pour les seuls mois d’avril et mai ! Je tiens d’ailleurs à féliciter les équipes qui, malgré le contexte, ont toujours répondu présentes et nous ont permis d’atteindre ce niveau de production tout en maintenant la qualité des produits.
À l’heure où la crise sanitaire compliquait fortement le transport de marchandises, le circuit court a par ailleurs été un atout indéniable. Cette proximité nous a permis d’approvisionner très rapidement nos agences, et nous avons également pu fournir de nombreux cercueils à des confrères qui connaissaient des ruptures ou des difficultés d’approvisionnement.
R : Concernant votre activité dédiée aux collectivités locales, elle a dû aussi connaître quelques bouleversements, notamment du côté des cimetières. Comment cela s’est-il passé ?
PL : Avec les mesures sanitaires, du jour au lendemain, certaines de nos activités ont été stoppées, comme la pose de monuments. Il n’était en effet plus possible de travailler dans les cimetières, hormis pour des travaux urgents et/ou obligatoires. Le confinement des Français a également eu un impact sur les ventes de monuments et des contrats de prévoyance.
Depuis le 11 mai, la reprise concernant ces pans de notre activité est là et va se reporter sur les mois à venir. Cette situation nous a permis de nous questionner. Pour le granit, par exemple, comme tout le monde, une partie des achats se faisait sur des produits issus de l’importation, Chine, Inde, Afrique... Dans "le monde d’après", ces importations, qui représentent le tiers de nos ventes, vont sûrement se réduire au profit de filières françaises, auxquelles les familles, je le souhaite, seront plus sensibles.
Je pense que l’ensemble de la profession et nos interlocuteurs clés vont tirer les enseignements de cette crise. On peut déjà le constater avec de nombreuses mairies, où les démarches et les documents se sont digitalisés et sont maintenant admis en transmission numérique. C’est une avancée significative et tous les acteurs de la filière ont prouvé que cela pouvait fonctionner. C’est un des points essentiels à retenir de cette période critique que nous venons de vivre.
R : Un autre bouleversement majeur pour le Groupe est celui de votre départ, que vous avez annoncé le 16 juin à vos collaborateurs. Que retenez-vous de ces vingt dernières années passées à la tête d’OGF ?
PL : Il y a vingt ans, OGF était très différent de ce qu’il est devenu. Le Groupe était déficitaire et devait se réinventer pour affronter la libéralisation du secteur. Pour dynamiser l’entreprise, il a fallu par ailleurs adapter l’offre aux évolutions majeures des pratiques funéraires et à la digitalisation des usages. OGF est ainsi devenu précurseur dans le domaine du digital, par la conception de nouveaux parcours clients en ligne et la création de l’agence centrale.
Tout au long de ma présidence, je suis resté fidèle à mes convictions. J’ai défendu des choix stratégiques forts en matière financière mais également en matières sociale et environnementale. J’ai toujours privilégié les investissements à long terme, comme le maintien de nos usines de production en France. Les récents évènements ont d’ailleurs prouvé les vertus de ce modèle intégré.
Tous les fondamentaux d’une nouvelle séquence de réussite sont là. Je quitte un groupe sain, bénéficiaire, financièrement serein, leader et ambitieux pour l’avenir. La période va être exaltante, mais il faut savoir passer le relais. Au terme de deux décennies, et à l’âge symbolique de 60 ans, j’ai le sentiment d’un devoir accompli. Mes fonctions au sein du Groupe prendront fin en novembre 2020. Le conseil d’administration travaille actuellement au plan de succession.
Je garderai en mémoire le plaisir que j’ai eu à travailler pour OGF pendant toutes ces années. J’ai un profond attachement à cette entreprise et à ceux qui la font vivre au quotidien. Parce que depuis 176 ans, elle fédère des femmes et des hommes animés par le même désir : celui de servir des familles en deuil. La vraie richesse du Groupe est là.
Steve La Richarderie
Résonance n° 161 - Juin 2020
Résonance n° 161 - Juin 2020
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