Dirigeant accompli ayant déjà œuvré dans divers secteurs d’activité, Alain Cottet a succédé, fin 2020, à Philippe Lerouge à la tête du Groupe OGF. Depuis sa prise de fonction, c’est en chef d’entreprise averti qu’il a pris le temps d’observer et d’analyser l’écosystème funéraire.
Ses premières conclusions laissent peu de place au doute. Les évolutions à court et moyen terme du marché ainsi que la digitalisation, pour ne citer qu’elles, vont entraîner un bouleversement de l’ensemble des métiers de la branche… Explications !
Résonance : Monsieur Cottet, pour ceux qui, durant cette crise sanitaire, n’auraient pas eu l’occasion de consulter les divers communiqués du Groupe OGF, auriez-vous l’obligeance de vous présenter en quelques mots ?
Alain Cottet : 53 ans en cette fin d’année, diplômé de l’École supérieure d’Agriculture d’Angers, j’ai vécu un an et demi en Angleterre pour valider mes stages en entreprise et en ferme agricole, une Coopération en Ouganda pendant 18 mois avec Médecins du Monde, je commence pour des raisons personnelles ma carrière chez Décathlon, où je passe 7 ans dont 4 en tant que directeur de magasin, puis enchaîne directeur régional, directeur des ventes, directeur commercial, puis PDG de diverses enseignes depuis maintenant 15 ans. Différents domaines d’activité, puisque du sport en passant par le textile, puis la lingerie et l’optique, pour actuellement opérer dans les services funéraires.
Une culture du terrain, du produit et de l’humain très ancrée par l’expérience professionnelle.
R : Maintenant, entrons dans le vif du sujet. En vous appuyant sur votre œil neuf et votre expérience certaine liée à vos vies professionnelles antérieures, quels sont, selon vous, les points forts et les lacunes du secteur funéraire dans son fonctionnement actuel ?
AC : Les points forts du secteur du funéraires sont incontestablement le sens que ce métier porte, le dévouement de tous les hommes et femmes des entreprises au service des familles, la mission portée par notre secteur d’activité est d’une noblesse rare et enfin un marché d’une résilience peu courante compte tenu de sa nature.
Ceci amène, à contrario, nos axes de développement naturels, plutôt que lacunes, sur l’image vis-à-vis du grand public et des autorités, car nous sommes souvent assimilés au croque-mort, dont nous avons tous en tête les images caricaturales, que nous croisons dans nos chemins de vie.
Le métier des pompes funèbres et marbrerie, encore très fragmenté malgré l’émergence de groupes, de coopératives, de franchises, subit néanmoins une organisation de l’amont et de l’aval relativement dispersée, et la concentration qu’ont vécue les autres marchés n’a pas encore eu lieu.
Le schéma international est peu possible, car les synergies de pays à pays existent peu, pour ne pas dire pas – notamment au niveau de la réglementation – et la dispersion des fournisseurs, en nombre, permet d’avoir des entreprises à taille humaine mais peu de capacités de production centrale. C’est un marché où il existe peu de références, le cher, le beau, le moins beau, le bien ou le pas bien n’ont pas d’étalonnage, et donc peu de repères.
Une chose en revanche unit notre profession, c’est bien la mission de "service public" qui nous occupe tous au quotidien. Enfin, le monde funéraire pense peut-être que la digitalisation du parcours famille n’a toujours pas d’intérêt en 2021. On constate que cela est contradictoire car, évidemment, le e-commerce tel qu’il est entendu dans d’autres industries n’a aucun sens dans notre métier, encore que le monde de la prévoyance y fasse déjà ses armes, mais surtout la digitalisation du parcours des familles a un vrai sens.
R : Au regard de ce qui se produit dans d’autres secteurs d’activité, les professionnels funéraires, Groupe OGF y compris, sont-ils prêts pour la digitalisation du parcours client ?
AC : Oui, il faut juste adapter le principe de digitalisation à la maturité de notre marché, et non vouloir prétendre que nous devons faire comme tout le reste des marchés. Il y a toujours moyen de digitaliser, de dématérialiser, et nous avons déjà des zones très précises où nous sommes prêts : configurateur de cercueil et/ou de monument, sites Web interactifs en drive to store, vente en ligne de contrats de prévoyance obsèques sont des sujets où la maturité est suffisante pour se développer, l’important pour nous tous n’étant jamais d’opposer le digital au physique, ou de substituer l’un par l’autre, mais plutôt d’agir en complément de l’un pour l’autre.
R : Pour autant, l’humain doit rester prépondérant dans l’accompagnement des familles… est-ce pour cela que, lors de votre intervention à l’Assemblée générale de la Chambre Syndicale Nationale de l’Art Funéraire (CSNAF), vous avez replacé le conseiller funéraire au "centre du village" ?
AC : Le métier que nous opérons pour chacune des familles et pour chaque défunt nécessite à chaque étape l’intervention humaine. Le conseiller funéraire n’est pas plus important que nos métiers d’agent de funérarium, de crématorium, ou les métiers de chauffeur, de porteur, de marbrier ou de maître de cérémonie, mais, le premier contact étant souvent opéré par nos conseillers funéraires, ils restent prépondérants dans la confiance que les familles nous accordent et dans notre capacité à écouter les attentes des familles pour l’organisation des obsèques ou la réalisation d’un monument.
R : Outre son activité de pompes funèbres avec, en fer de lance, l’enseigne PFG, le Groupe OGF est également fabricant de fournitures funéraires. Comparé à d’autres secteurs, qu’est-ce qui peut ou doit-être amélioré dans la filière fournisseurs et qui aurait des répercussions directes sur les performances des distributeurs (PF) et sur le service aux familles ?
AC : Nous avons une filière peu organisée pour la planification, et pour cause, notre prévisionnel pour organiser les obsèques est souvent de l’ordre de 4 à 6 jours. La filière étant très fragmentée, il est donc très difficile pour l’ensemble de nos fournisseurs de prévoir, car beaucoup de nos prestations sont réalisées sur commande, de plus, la personnalisation des obsèques engage d’abord les choix par les volontés mais aussi les attentes de la famille.
Nous avons donc une prévision des volumes très mal documentée ne permettant pas à la chaîne amont de produire selon le principe de l’offre et de la demande. Le métier des pompes funèbres et marbrerie ne consolide pas ou peu les capacités, et l’anticipation est très difficile, alors la maîtrise du "leadtime", la production des quantités exactes par produit, la définition de besoin des gammes est mal documentée de l’aval vers l’amont, empêchant ainsi un gros travail sur les marges, la localisation des approvisionnements et des garanties de production en temps et en heure.
Nous avons donc tous un besoin chronique de documenter les données et d’apprendre à planifier, car nous ne sommes pas les seuls dans ces logiques, la restauration s’est organisée par exemple pour avoir des filières d’approvisionnement permettant la flexibilité tout en garantissant le service. Les fleuristes ont engagé depuis longtemps la transformation de la filière amont alors que la distribution reste très fragmentée.
Nos délais d’approvisionnement doivent chroniquement changer si nous voulons franchir les prochaines étapes, les familles à juste titre veulent le choix et ont besoin des produits et des services tout de suite.
Les renouvellements des propositions doivent aussi faire partie des transformations attendues, des articles ne doivent plus rester dans des gammes pendant des années sans évoluer. Enfin, de plus en plus de familles attendent de la personnalisation des hommages et des produits, alors nous devons engager des réflexions sur nos capacités à les accompagner.
R : À échéance, quels sont les risques encourus par les fabricants au regard des évolutions potentielles du marché – regroupements, intrusions annoncées des mutuelles – et comment peuvent-ils s’en prémunir ?
AC : Notre métier est très spécifique, et toutes les personnes qui auraient tenté de s’inventer pompes funèbres et marbrerie voient à quel point la législation est complexe, le savoir-faire ne s’acquiert pas en deux minutes et la disruption digitale effectuée dans d’autres domaines d’activité est loin de révolutionner le secteur aujourd’hui.
Pour autant, la tentation des assureurs ou des mutuelles pourrait être l’intégration verticale, et, venant du monde de l’optique, je mesure à quel point cela a pu perturber la filière optique. Cela étant, n’oublions pas qu’il y a un monde d’écart entre un marché drivé par la sécurité sociale et les mutuelles que sont tous les filières médicales, où il aura fallu 50 ans pour que cela se ressente dans la filière, et notre secteur qui, aujourd’hui, n’ayant pas de lien avec les organes directs type sécurité sociale ou autre, ne devrait pas subir les mêmes effets à court terme. En toute humilité, je ne suis ni dans le secret des dieux, ni devin.
En ce qui concerne nos métiers, il y aura naturellement des phénomènes de concentrations comme tous les domaines d’activité ont eu leur lot de concentrations à des étapes données. Ce qui influera sur nos concentrations sera surtout lié à l’évolution de la mortalité nationale, à la pression sur les marges liées aux effets post Covid-19 qui pour certains d’entre nous pèseront sur la rentabilité, et donc, engagera des concentrations.
La seule façon de ne pas subir ce que d’autres voudraient ingérer, c’est de former un organe unique à même de mobiliser l’ensemble la filière funéraire pour défendre à chaque instant les grandes causes de notre métier, et c’est pour cela que je souhaiterais vraiment rappeler à tous ceux qui le souhaitent, que la réunion de toutes les instances représentantes de nos métiers en une seule et même entité serait un très grand pas en avant, avec un unique but : "défendre les intérêts des métiers du funéraire".
R : La crise sanitaire a mis en exergue un certain manque de cohésion des différents acteurs de la branche dans leur capacité à parler d’une seule voix, notamment auprès des pouvoirs publics… selon vous, là aussi, il y a nécessité ?
AC : Comme je viens tout juste de l’évoquer, nous devons parvenir à faire front commun, non seulement pour défendre efficacement nos métiers, mais aussi pour être entendus des pouvoirs publics. Nous avons beaucoup à y gagner, sans pour autant sacrifier nos identités respectives… j’en suis convaincu !
R : Pour conclure, y a-t-il un dernier sujet que vous souhaitiez aborder pour les lecteurs de Résonance ?
AC : Je souhaiterais d’abord remercier toutes les personnes qui m’ont permis de découvrir notre monde funéraire et son marché, par les échanges avec nos confrères, nos fournisseurs, les équipes d’OGF, les élus mais aussi nos partenaires. Mes réponses sont à prendre avec beaucoup de recul et d’humilité, car je ne prétends pas détenir la vérité.
Je vous remercie également de m’avoir permis de m’exprimer dans votre magazine, que j’apprécie particulièrement pour son objectivité journalistique.
Steve La Richarderie
Résonance n° 175 - Novembre 2021
Résonance n° 175 - Novembre 2021
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