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Lilian Delaveau, fondateur de la plateforme digitale "life-obseques.fr", s’est récemment intéressé aux répercussions et autres conséquences que la crise sanitaire et, à sa suite, le conflit russo-ukrainien ont sur le marché funéraire et son économie.
Aussi, en préambule de l’enquête qu’il a réalisée, et qu’il souhaite partager avec les lecteurs de Résonance, nous sommes allés à sa rencontre pour en savoir un peu plus sur ce qui l’a motivé, mais aussi et surtout pour savoir si ses conclusions étaient en accord avec les annonces du dernier rapport de la Banque Centrale Européenne (BCE).
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Résonance : Lilian, bien que votre activité ne subisse pas directement les conséquences qu’ont pu avoir la crise sanitaire et, plus récemment le conflit russo-ukrainien sur le marché funéraire, vous vous êtes en revanche intéressé de très près aux répercussions que ceux-ci ont eu sur d’autres acteurs de la branche… Pourquoi cet intérêt ?

Lilian Delaveau : Les crises que nous avons vécues, et que nous vivons encore, depuis 2020 et plus généralement depuis 2008, qu’elles soient financières, sanitaires ou diplomatiques, bouleversent les fondements de notre société. Et je suis convaincu que la question funéraire en général est un excellent marqueur sociétal : la façon dont on s’occupe de nos morts en dit long sur la façon dont on considère nos vivants. Les éclaireurs de cette vision, ce sont les opérateurs funéraires qui sont directement au contact des familles et de leurs préoccupations.

R : Pourquoi adresser spécifiquement le sujet de l’inflation ?

LD : L’inflation est un sujet souvent difficile à saisir parce qu’il ne touche pas au prix d’un bien ou d’un service en particulier, mais à la valeur de l’argent en général. Cela crée des effets pernicieux, et souvent à retardement. En se penchant sur ce que disent vraiment les opérateurs funéraires, pris en étau entre la hausse des prix des matières premières et la chute du pouvoir d’achat des familles, on a la chance de comprendre quelles stratégies de résilience ont été mises en place ces derniers mois, mais on se donne aussi du recul pour réagir et sauvegarder le modèle français durant cette période troublée.

R : Quel a été votre mode opératoire pour recueillir les informations et autres témoignages qui vous ont permis d’étayer votre enquête ?

LD : Nous avons proposé à nos partenaires de répondre à une enquête en ligne, ainsi qu’aux dirigeants et dirigeantes de pompes funèbres qui suivent notre entreprise sur LinkedIn. Nous avons étudié trois volets sur les coûts, les prix, et l’évolution du rapport avec les familles. Au total, nous avons recueilli 83 réponses qui nous ont permis de réaliser la partie quantitative de l’enquête, ainsi que 23 témoignages écrits qui nous ont permis de mettre en contexte les résultats de l’enquête.

R : Certains fournisseurs et autres pompes funèbres ont tenté, autant que faire se peut, de contenir au maximum, voire d’absorber, les coûts de l’augmentation des matières premières, de l’énergie et du transport… avez-vous identifié les raisons de cette posture ?

LD : Cela fait effectivement partie des attitudes que nous avons confirmées dans notre enquête. Je pense qu’il y a eu d’abord une volonté de protéger les familles d’une hausse des prix qu’on voulait espérer transitoire. Dans le même temps, le grand public a parfois une vision tordue du monde funéraire comme étant une course au profit – pour certains, cela a été l’occasion de montrer exactement l’inverse.

R : Le dernier rapport de la BCE annonce un pic d’inflation en avril/mai 2023, puis une baisse progressive des coûts des matières premières et de l’énergie d’ici la fin de l’année, avant un retour à la normale, au mieux, au printemps 2024 ou, plus raisonnablement, à la fin du premier semestre 2024. Qu’en pensez-vous, et, au regard de votre enquête et de ses conclusions, comment voyez-vous évoluer le marché funéraire et son économie d’ici là ?

LD : L’inflation, c’est une vague qui progresse à des vitesses différentes dans les différentes parties de la société qu’elle touche. Et, si les matières premières reviennent en 2024 à un prix nominal, il faudra plusieurs mois pour écouler le stock "fabriqué plus cher" des fabricants, puis des distributeurs, puis des revendeurs. Bien sûr, à un moment, la vague est passée, mais, dans la réalité du quotidien des gens et des petites entreprises, les effets sur le pouvoir d’achat ou les capacités d’investissement vont probablement s’étendre durablement. Les résultats de l’enquête montrent que, malgré la résilience des opérateurs funéraire, l’optimisme n’est pas trop de la partie sur ce sujet.

R : Avant que nos lecteurs prennent connaissance de votre enquête, avez-vous une dernière précision à nous apporter ?

LD : Les témoignages que nous avons reçus montrent la passion, la détermination et l’empathie dont font preuve les professionnels du funéraire, malgré les difficultés qu’ils ont pu rencontrer ces derniers mois. J’espère que cette enquête permettra de faire entendre leur voix, et de susciter une réflexion plus large sur la bonne santé économique des opérateurs funéraires indépendants.

I. L’impact de l’inflation sur les coûts

La première réalité de l’inflation pour toutes les TPE et PME, ce sont les coûts pratiqués, et souvent imposés, par les fournisseurs. Afin de cadrer l’enquête et son intérêt, nous avons dans un premier temps cherché à comprendre si ces hausses de prix avaient eu un impact réel sur la pérennité de l’activité des dirigeant(e)s interrogé(e)s (voir graphique 1).

Graphique1La réalité de l’impact des hausses de prix est confirmée par 89 % des répondants, et 31 % jugent même l’impact "sérieux et préoccupant" ou "très préoccupant".

Mais, derrière ce premier indicateur, tous les postes de dépenses ne sont pas identiquement concernés (voir graphique 2).

Graphique2Sans surprise, on retrouve la hausse des frais de transport, portés par l’évolution du prix du carburant, notamment depuis le début de la crise russo-ukrainienne. Mais cette hausse des prix se retrouve aussi dans les achats spécifiques aux métiers du funéraire : la hausse des prix des fournitures, obligatoires ou optionnelles, est montrée quasi unanimement du doigt dans les hausses de prix de 2022.

Si les coûts de l’énergie, des loyers et des assurances font figure de (très relatifs) bons élèves, grâce à des contrats à terme sur 2022, l’optimisme n’est pas de mise : interrogés sur leurs perspectives pour les 12 mois à venir, l’hypothèse reste à l’augmentation généralisée et indistincte des prix (voir graphique 3).

Graphique3Pour 2023, les hypothèses vont à une accentuation des coûts pour tous les postes de dépenses. Une vision assez en phase avec les prévisions de la BCE évoquée plus tôt, qui tablent sur un contexte largement inflationniste sur tout 2023. Avec ou sans inflexion en milieu d’année, d’ailleurs : moins d’inflation, ça reste de l’inflation.

Interrogés sur leur vision de ces hausses de coût, les opérateurs funéraires ne cachent pas un vécu de plus en plus difficile : "De plus en plus difficile et gérable, mais on tient le coup" ; "C’est très compliqué, ça abîme directement nos marges".

II. L’impact de l’inflation sur les attentes des familles

La hausse généralisée des prix touche autant les entreprises que les citoyens français. Et, face à un quotidien de plus en plus cher, et à un pouvoir d’achat qui s’effrite, l’arrivée (pas toujours anticipée) d’obsèques à financer risque de se faire ressentir dans leurs choix.

L’importance du prix dans l’organisation des obsèques date cependant d’avant les crises, bien que la tendance semble se renforcer (graphique 4).

Graphique4Cette tendance peut s’expliquer par une prise de conscience de la part des familles de la nécessité de maîtriser leur budget, face à une conjoncture économique difficile.

Dans le même temps, les incidents de paiement (retards, impayés, des familles ou des banques) semblent se multiplier peu à peu (voir graphique 5).
Graphique5D’ailleurs, les comportements des familles en magasin semblent témoigner d’une dynamique d’allègement de tous les frais "annexes". Les témoignages que nous avons recueillis en font état : "Beaucoup de prestations de base et moins de ventes additionnelles" ; "On vend de moins en moins d’articles magasin !".

À l’inverse, pour certains, l’impact direct sur les familles est encore réduit aujourd’hui : "L’impact ne se fait pas encore ressentir dans les décisions obsèques" ; "La plupart des personnes dont nous prenons soin sont des personnes ayant quand même des ressources. Je pense que dans dix ans ce ne sera pas pareil."

III. La stratégie des pompes funèbres envers les familles

Toute entreprise qui subit une hausse de ses coûts peut mener quatre grandes stratégies :
• répercuter l’ensemble des variations de coût sur les clients, au risque de voir sa compétitivité réduite ;
• protéger le client en absorbant seule les variations de coût, ce qui dans le contexte actuel peut affaiblir considérablement la marge de l’activité ;
• chercher à arbitrer en répercutant une partie des coûts, mais pas tous, en baissant un peu sa marge ;
• profiter de la situation pour justifier une hausse des prix au-delà de l’inflation afin d’accroître sa marge.

D’ailleurs, la dernière stratégie, qui s’apparente à un opportunisme malsain, a déjà été observé chez certains acteurs dans le service ou l’énergie. Qu’en est-il des pompes funèbres ? (voir graphique 6).

Graphique6La réponse massive des dirigeant(e)s de pompes funèbres indépendantes a été de choisir de réduire leur marge en ne répercutant pas, ou que partiellement, les augmentations de coût subies, sur les familles.

À la même question mais pour l’année à venir, la tendance se confirme, avec un consensus qui se renforce autour du partage de la hausse des coûts entre familles et entreprises (voir graphique 7).

Graphique7En parallèle de cet effort, la demande est croissante pour aider les familles à comprendre, et à gérer, le budget obsèques : "Les familles n’hésitent plus à demander des remises" ; "Des devis sont comparés à la concurrence au centime près" ; "On doit proposer plus souvent des paiements en plusieurs fois".

Conclusion

Cette enquête montre clairement que le marché funéraire a été touché de plein fouet par les conséquences des crises récentes et de l’inflation. Les hausses de prix des matières premières et de l’énergie ont un impact sérieux et préoccupant sur les coûts pour les opérateurs funéraires, qui se retrouvent en difficulté pour maintenir leurs marges et protéger les familles d’une hausse des prix. Toutefois, les résultats montrent que la majorité des acteurs du marché ont choisi de ne pas répercuter entièrement les hausses de coûts sur les familles, mais plutôt de partager cette hausse avec elles.

En somme, le secteur funéraire a été mis à rude épreuve, mais les opérateurs funéraires ont fait preuve de résilience et d’adaptabilité face à ces défis économiques. Cette enquête est donc une alerte sur l’importance de préserver le modèle français de la mission de service public pour garantir une offre funéraire de qualité et accessible pour tous.
 
Steve La Richarderie

Résonance n° 189 - Mars 2023

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations