Michel Durigon et Michel Guénanten nous offrent une seconde mouture de leur guide "Pratique de la thanatopraxie", le premier opus datant de 2009. Les deux comparses l’ont mis au goût du jour, ont révisé ce qui devait l’être, ce qui a évolué du côté législatif.
De gauche à droite, Michel Guénanten et Michel Durigon. |
Michel Durigon est professeur honoraire de médecine légale, il fut aussi expert agréé par la Cour de cassation. Michel Guénanten est, lui, un personnage connu du paysage funéraire français, thanatopracteur diplômé, et surtout directeur de l’Assistance Formation Internationale Thanatopraxie Thanatoplastie (AFITT), qui dispense des formations de grande valeur. On peut donc en conclure que les deux auteurs savent de quoi ils parlent dans ce livre.
Ce manuel est certainement le seul support de cours en français de la thanatopraxie. Il est complet et très accessible, que cela soit la partie anatomie/pathologie, la médecine légale ou la thanatopraxie. Richement illustré, schémas et photos afin de mieux assimiler les textes. De plus, son nouveau format et cette couverture plastifiée, certes moins esthétique que la première, mais beaucoup plus résistante, en font un manuel qui peut traîner dans un sac, mais aussi en laboratoire. J’en conseille l’acquisition à toute personne désireuse de se lancer dans la formation de thanatopracteur.
La préface est de Jacques Marette, pionnier de la thanatopraxie en France, qui retrace l’historique de la profession en notre pays, il rappelle que Michel Guénanten fut l’un des membres éminents de son entreprise, et formateur pratique et théorique de l’IFT. Le manuel se décompose de huit grands chapitres :
- Anatomie
- Histologie – Anatomie pathologique
- Microbiologie
- Médecine légale
- Toxicologie
- Réglementation funéraire
- Science humaine de la mort
- Théorie des soins de conservation
La part belle est bien sûr faite au huitième chapitre, le plus complet et le plus détaillé, ce qui est logique, ce livre étant résolument fait pour les thanatopracteurs, mais les sept autres ne sont pas pour autant des "enfants pauvres", des sous-chapitres extrêmement détaillés. Un seul de ces chapitres est traité très rapidement, la législation, ce qui est d’ailleurs très bien, ce genre de manuel étant fait pour durer, il ne peut pas être mis à jour chaque année, nul besoin de s’encombrer de textes législatifs qui évoluent d’année en année. Chaque paragraphe est précis et net, aucune information inutile, on ne donne que ce qui est indispensable à la formation du futur thanato. Les deux auteurs ont compris que trop d’information tue l’information, et surtout empêche une bonne mémorisation de ce qui est indispensable.
Des schémas anatomiques clairs et précis, en couleurs, reliés au paragraphe qu’ils illustrent. Pour la partie thanatopraxie, c’est la photographie qui a été choisie pour illustrer les différents articles. À noter un index très complet en fin de livre pour rechercher une information sans perdre de temps à feuilleter tout le livre, de même, en départ de lecture, on trouve un dictionnaire des abréviations, très utile, car même si l’on est diplômé depuis des lustres, il nous arrive à tous d’avoir des trous de mémoire. Il faut espérer que toutes les écoles qui dispensent la formation de thanatopracteur recommandent, ou même utilisent, ce manuel dans leurs cours ; ayant moi-même fait de la formation au sein de l’EFSSM, j’aurais aimé avoir ce genre de support.
Rencontre avec les auteurs :
Sébastien Mousse : Bonjour Messieurs, nous voici donc à la seconde édition de votre guide "Pratique de la thanatopraxie", une édition révisée et améliorée. Vous vous attendiez à un tel succès ?
Michel Durigon : Le succès est relatif, car il n’existe aucun ouvrage en langue française concurrent ! Mais le fait qu’il a été nécessaire de faire une réimpression de la 1re édition épuisée m’a fait plaisir, et nous a confortés dans l’idée de cette deuxième édition.
Michel Guénanten : Avant la parution de la première édition, il existait quelques ouvrages signés de confrères : Paul Clerc, Éric Bourgeois, Mélanie Lemonnier et Karine Pesquéra. Nous avons opté pour des planches anatomiques et des photos afin que les élèves aient un support pédagogique probablement plus facile à assimiler. La première édition rapidement distribuée a nécessité un second tirage tant elle a séduit. Les acheteurs en ont fait le succès. Une grande partie des thanatopracteurs se constituent une bibliothèque thanatologique, et pour cette raison, nous avons souhaité une nouvelle version, remise à jour et plus précise que la première.
SM : Il me semble aussi que ce livre a été traduit à l’étranger, en allemand (Praxishandbuch für Thanatopraktlar und Bestatter), je crois, quelle fierté ressent-on lorsque le savoir français s’exporte ?
MD : Il est toujours agréable, pour son propre égo, de se voir traduit dans une langue étrangère. Nous n’avons pas eu de retour de l’éditeur allemand, mais j’espère qu’il a aussi un certain succès.
MG : J’ai reçu beaucoup de stagiaires du monde entier, et c’est toujours un plaisir et un honneur de partager son savoir avec des confrères. Cette nouvelle version sera peut-être lue en espagnol et en anglais, alors oui, quelle fierté d’être le relais du savoir français...
SM : Professeur Durigon, que fait un médecin légiste dans un manuel pour les thanatopracteurs ? Quel regard la médecine légale porte-t-elle sur la thanatopraxie ?
MD : Dans ce livre, le médecin légiste que je suis ou étais est d’abord un médecin, qui écrit donc tous les chapitres médicaux (les six premiers). Comme médecin légiste, ma préoccupation a toujours été de penser aux proches, en assurant une restitution de qualité, en étant à l’écoute et en acceptant, avec l’accord des magistrats, de rencontrer les familles dans ces moments particulièrement difficiles que constituent les morts brutales, violentes ou inexpliquées. Cette humanisation se complète par des soins qui permettent au mieux la confrontation au mort, atténuant les marques et autorisant une démarche de deuil plus sereine.
SM : Une question un peu hors contexte, mais j’ai remarqué que, dans le manuel, ne figurait pas au chapitre de la médecine légale ce que l’on nomme maintenant la "virtopsie", est-ce que vous pensez que c’est une technique d’avenir qui un jour pourra remplacer l’autopsie classique, une technique complémentaire ou bien inutile ?
MD : La virtopsie est une technique d’imagerie particulièrement utile, complémentaire de l’autopsie classique. Ce terme n’est pas très heureux, un malade accepterait-il de ne passer que dans des machines sans aucun examen clinique ? Les promoteurs de ces techniques d’imagerie (scanner et IRM) ont imaginé ce vocable ; l’autopsie classique restera indispensable pour les examens anapath, la toxicologie, la génétique, le recueil des projectiles... mais le futur peut apporter des progrès considérables.
SM : Michel Génanten, tu es un spécialiste de la thanatoplastie, tu dispenses d’ailleurs une formation de très haut niveau sur cette technique au sein de l’AFITT, on l’aborde quelque peu en fin de ce livre, peut-on espérer un jour un manuel de restauration ?
MG : Le manuel de restauration ou thanatoplastie est en gestation. Un chirurgien plasticien me fait l’honneur de son assistance. Ce travail plus délicat demande aussi du temps. 2018 sera sans doute l’année de naissance de cet ouvrage.
SM : Ce manuel, très riche en illustrations, pourrait faire l’objet de ce que l’on appelle un epub-3, ces livres numériques interactifs, qui peuvent contenir de l’audio et de la vidéo. Est-ce un projet qui pourrait voir le jour ?
MD : Bien sûr, la version numérique disponible n’est que le livre en l’état ; un ouvrage interactif serait formidable, mais nécessitera (ou ait) un énorme travail, et la diffusion restreinte serait certainement un frein à sa réalisation
MG : Nous avons évoqué cette possibilité qui est aussi à l’étude. Un peu de patience ?
SM : Dans ce manuel, le septième chapitre est consacré aux sciences humaines de la mort, et vous citez l’œuvre très intéressante de l’anthropologue Louis-Vincent Thomas, qui, dans "Rites de mort : pour la paix des vivants", nous explique que l’on rend de nos jours la mort et la douleur presque taboues. On meurt rarement chez soi, on ne veille plus les défunts, on voit aussi de plus en plus de gens qui laissent des volontés comme quoi il ne faut ni les préparer, ni les présenter. Qu’est-ce qu’en pensent un médecin légiste et un thanatopracteur ?
MD : Nos coutumes européennes et françaises sont tristes en matière de mort ; nous devrions prendre exemple sur les funérailles "heureuses" de nombreuses autres populations. Chez nous, le mort et la mort sont occultés, il faut être dans un cadre "politiquement" correct et cacher cet échec. Les médias sont grandement responsables, qui nous montrent à satiété les progrès qui semblent nous conduire vers l’immortalité (rester jeunes, beaux, ne pas fumer, manger cinq fruits...). Alors que la mort est un phénomène naturel, condition de la vie, et qu’il serait plus raisonnable de vivre bien et non plus longtemps. La réticence envers la préparation et la présentation des personnes décédées est le reflet de cette négation de la réalité.
MG : La politique actuelle du fonctionnement des services de santé pourrait faire accroître les décès dans les domiciles et générer une recrudescence des soins hors milieu mortuaire. Occulter le défunt en évitant les préparations existe déjà. Se donner bonne conscience en s’occupant d’un défunt le plus rapidement possible est monnaie courante. Détacher la thanatopraxie des services funéraires deviendrait la meilleure chose pour les familles et les praticiens.
SM : Messieurs, je vous remercie de m’avoir accordé un peu de votre temps pour le magazine Résonance.
Sébastien Mousse
Thanatopracteur
Directeur de publication
Éditions l’Atelier Mosésu
Résonance n°124 - Octobre 2016
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