Dernier opus en date des aventures du "flic" corse, créé par Elena Piacentini : Pierre-Arsène Leoni ; enfin, quand je dis "flic", ex-commandant de police.
Elena nous emmène faire un tour sous terre ; claustrophobe s’abstenir, nous allons plonger au coeur des carrières de Lezennes, et aussi au coeur de la folie de l’homme qui veut arriver au pouvoir suprême. On y retrouve les mêmes personnages, mémé Angèle, Ange et les "flics" de son équipe que l’on a déjà pu croiser dans ses livres précédents : "Un Corse à Lille", "Art Brut", "Vendetta chez les Ch’tis".
La marque de fabrique d’Elena, c’est sa façon d’écrire, dedans il y a "l’âme corse" (la Corse, on la quitte parfois, on s'en éloigne de temps en temps, mais on y revient toujours. Ici, la terre, le village, la langue sont des mots qui n'ont pas la même signification qu'ailleurs. "Anonyme") Et c’est ça, Leoni, il a beau être dans le nord de la France, il reste plus qu’attaché à SON île, il nous la conte entre deux moments de son enquête.
Une histoire bien ciselée, avec des croisements sur deux enquêtes, et puis surtout il se dégage, de ce polar, une très grande sensibilité, car l’amour y est omniprésent, tendresse fraternelle entre les deux mômes, amitié loyale entre Leoni et ses hommes, camaraderie entre les trois femmes. C’est impressionnant de voir comme Elena arrive à faire transpirer à travers son livre la beauté, la pureté des sentiments, de tous les sentiments et des traits de caractères, que ce soit la haine, la morgue, le cynisme de certains, ou la gentillesse, la bonhomie d’autres. Tout est merveilleusement reproduit, il y a une sorte de sincérité dans l’écriture. Ce livre c’est quand même pas mal de cabossés de la vie, avec les peines et leurs espoirs, leurs rancunes, leurs désillusions… Entre "Carrières Noires" d’Elena, "le Crépuscule des Gueux" d’Hervé Sard, "Calais Jungle" de Michel Vigneron, la nouvelle vague du polar français se lancerait-elle dans le polar humaniste?
Il y a aussi, bien sûr, une trame, une enquête, il ne faut pas oublier que c’est un polar, et un bon polar. Des bons rebondissements, on ne connaît vraiment les tenants et les aboutissants que dans les dernières pages du livre.
Résumé du roman :
Leoni n’est plus commandant de police, il est retourné en Corse après la mort brutale de sa compagne. Un soir, à Lille où il est venu régler une dernière affaire personnelle, il découvre le corps sans vie d’une femme, ancien sénateur influent, tante d’un futur candidat à la présidentielle. Malgré l’insistance d’Éliane Ducatel, médecin légiste, son remplaçant rechigne à ouvrir une enquête qui pourrait être gênante pour la carrière du neveu, et pour la sienne. Alors, le Corse et le médecin légiste se lancent sur la piste de leur instinct, laquelle croise un trio de vieilles filles, un politicien en campagne, beaucoup de mal-aimés et une fouine. Mobilisés par la disparition de deux enfants, les membres de la PJ tentent malgré tout d’aider Leoni, qu’ils considèrent toujours comme leur patron. Mais les deux affaires se ramifient, se croisent et s’enfoncent dans les carrières souterraines de Lezennes, où se perdent bêtes et hommes, corps et âmes. Dans cette galerie de personnages agités par les meilleurs sentiments, et les pires aussi, chacun tente d’atteindre l’inaccessible ou d’enterrer l’inavouable. Trésors et ignominies scellés.
Elena Piacentini.
Entretien avec Elena :
Sébastien Mousse : Bonjour Elena, tout d’abord un grand merci de bien vouloir répondre à mes quelques questions. Tous tes personnages dans tes romans, sont bien trempés, on ne peut les oublier. On a parfois l’impression d’avoir quelqu’un comme ça dans notre entourage, tout particulièrement pour mémé Angèle ; on ressent une véritable affection pour elle, elle existe ?
Elena Piacentini : Oui, elle a existé, et elle existe encore en moi. C’est ma grand-mère maternelle et j’ai eu la chance et le bonheur d’avoir été aimée d’elle. Elle est le plus beau personnage de roman qu’il m’ait été donné de croiser dans la vraie vie, c’est la raison pour laquelle j’affirme, très modestement, que si elle a réussi à se faire aimer de mes lecteurs, elle ne le doit qu’à ses immenses qualités. Je n’ai rien retouché en elle. Comment aurais-je pu ? Elle appartenait à la race des géantes, de cette espèce rare, capable de tenir tout un monde à bout de bras sans en tirer la moindre vanité, d’une générosité simple et absolue qui n’attend rien en retour. Elle m’a bercée, consolée, soignée, encouragée et même grondée parfois, mais même alors, ses yeux pétillaient de tendresse. Elle a pu lire les premiers pas de Leoni à Lille et elle en a tiré une immense fierté. Pas pour elle-même, bien sûr. Et puis, elle s’en est allée. J’ai toujours à mon doigt l’alliance qu’elle m’a donnée. D’une certaine façon, et bien au-delà des liens du sang, nous nous sommes choisies. Elle fait partie de moi. La faire évoluer dans les romans de Leoni, c’est ma manière de la garder, vivante et bien au chaud. Nous nous parlons entre les lignes. Une correspondance qui n’en finira pas. Je le dis tout net, et tant pis pour le suspense, mémé Angèle est immortelle. Elle est déjà morte une fois. C’est bien assez. Le monde est moins beau sans elle. Ou plus moche, je ne sais pas. Mais elle reste ma petite lumière et mon aller vers la Corse.
SM : Un personnage comme Josy, au premier abord pourrait prêter à rire, mais dès que l’on entre un peu plus dans le livre, on se rend compte que c’est une femme, une vraie, avec de grandes qualités humaines, il te faut combien de temps pour le créer ? Lui donner un véritable caractère ? La question peut paraître stupide, mais lorsqu’on croise autant de tempéraments différents et si finement ciselés, je me demande si quand tu commences à décrire Josy, tu as déjà tout ce qu’elle est ?
EP : Je ne démarre jamais l’écriture tant que je ne "tiens" pas mes personnages. Lorsque je les vois se déplacer, que je les entends parler, c’est qu’ils ont acquis leur autonomie. Alors je peux les plonger dans l’histoire que j’ai imaginée pour eux. De cette trame, je n’ai que les grandes lignes. Ce sont mes personnages qui la portent et la font évoluer selon l’intensité qu’ils ont prise dans mon imaginaire. Josy a tout de suite su trouver sa place. Elle a sa petite musique singulière, un arrangement entre le sifflement du merle moqueur, les grandes cymbales et l’air doux et un peu naïf de la flûte en roseau. Elle est tout de suite et assez vite devenue "quelqu’un", en quelques heures, je crois. C’est elle qui m’a permis d’écrire le premier chapitre de présentation de ma "dream team". Et je crois même qu’elle pourrait porter un roman à elle toute seule. En tout cas, une chose est sûre : elle ne m’a pas quittée.
SM : Pierre-Arsène Leoni est le héros de tous tes romans, aurons-nous encore la joie de lire ses aventures ?
EP : Oui. Je suis en train d’écrire le cinquième. Mais tu m’en demandes beaucoup avec tes indices, là ! L’ambiance sera sombre et neigeuse. Il y sera question d’une histoire d’amitié passionnelle entre deux adolescentes, d’un personnage dévoré par des ambitions qui trouvent leur racine dans le besoin de reconnaissance d’un petit garçon, d’un étrange gardien de cimetière, d’un chat aussi… Tout cela sur fond "d’affaires", de "réseaux" et d’histoires surgies du passé. Leoni y retrouvera Eliane et toute son équipe. Mémé Angèle sera là, elle aussi, pour veiller sur son arrière-petite-fille avec la vigilance d’une louve.
SM : J’ai la joie et l’honneur de te compter parmi les auteurs qui vont faire un opus de "l’Embaumeur", dans les mois à venir. Qu’est-ce qui t’attire, t’inspire, dans un personnage comme Luc Mandoline ?
EP : Je ne savais pas grand-chose de Luc avant de donner un accord de principe et un délai élastique. J’ai accepté l’aventure parce que je t’apprécie ainsi que les auteurs que tu as sollicités en premier. Du coup, avec un équipage pareil, le voyage promet d’être mouvementé. Pour tout te dire, la contrainte de "composer" avec un personnage déjà construit me gêne un peu. Je déteste les contraintes ! Et puis un ancien légionnaire… Les mecs avec le couteau entre les dents, ce n’est pas trop ma came, tu vois… Alors, je me dis qu’avec un baroudeur pareil, ça pourrait être un défi de le faire pleurer ton Luc, de lui claquer sa part féminine en pleine figure. Eliane saurait y faire, mais Leoni est un grand possessif. Je vais réfléchir à un personnage qui sera taillé sur mesure pour lui. Mais d’abord j’ai un engagement envers mon Corse. Et ensuite je découvrirai, en tant que lectrice, les premiers pas de "l’embaumeur". Vivement !
SM : Elena je te remercie d’avoir consacré un peu de ton temps afin de répondre à mes questions pour les lecteurs de Résonance. Au plaisir de se revoir lors d’un salon.
EP : Bises, croco, plaisir partagé prochainement, j’espère. Au fait, "l’Embaumeur", il est chauve, il se rase le crâne ou les deux ?
Sébastien Mousse,
thanatopracteur.
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