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Benarab Mezziane 2024 1C’est une question qui divise profondément les professionnels du funéraire : comment inciter la banque-assurance à partager la valeur ajoutée issue de la gestion des produits obsèques ? Face à un secteur de donneurs d’ordre très concentré et concurrentiel, les prestataires funéraires - en dehors des grands groupes - éprouvent d’énormes difficultés à faire face à cette situation. L’occasion de tenter, à travers l’analyse qui suit, d’ébaucher l’amorce d’un nouveau modèle économique à même de positionner durablement les prestataires funéraires face aux donneurs d’ordre.


Résoudre cette équation, c’est tenter de trouver le bon équilibre entre les deux acteurs d’un marché qui ne manquera pas de connaître d’importants développements à l’avenir. C’est en s’inspirant de l’expérience des autres secteurs d’activité que la solution viendra. Mais avant d’explorer les solutions possibles, il est utile de rappeler aux prestataires funéraires de gérer une contradiction.

Mieux comprendre les aspirations de la banque-assurance

Il ne peut y avoir d’alliance avec la banque-assurance sans cette phase préalable. En effet, les prestataires ne peuvent continuer à utiliser l’argumentation de la financiarisation des obsèques pour faire face à la situation et reprocher à ses acteurs de ne pas les associer au partage de la valeur issue du développement des produits obsèques.

Lors de la conception et du développement de la gamme de ses produits obsèques, une banque-assureur a le souci de leur dénouement, notamment au moment de la survenance du sinistre. Dans cette situation, il a besoin de s’appuyer sur un partenaire structuré, organisé et disposant d’un maillage territorial national. D’où les partenariats avec certains groupes de la filière funéraire.
Néanmoins, la préoccupation de la banque-assurance dépasse le simple cadre de la bonne exécution des engagements souscrits auprès de ses assurés. En effet, elle se situe au niveau du contrôle de l’évolution des prix de la prestation exécutée, afin d’éviter que les dérapages tarifaires ne la poussent à augmenter les primes de cotisation aux produits distribués. En clair, la banque-assurance est très attentive et attachée à la modération tarifaire.

La modération tarifaire est l’équation la plus délicate à résoudre pour les prestataires funéraires. Apporter un début de solution à l’équation, c’est poser deux interrogations : d’abord, comment s’organiser et tisser un véritable réseau d’exécution, ensuite comment garantir la modération tarifaire attendue ?

En somme, les prestataires funéraires se retrouveraient dans la même situation que celle des garagistes ou des prestataires de santé. Dans les deux cas, les prestataires se sont retrouvés face à des donneurs d’ordre influents et devenus apporteurs d’affaires. Si, dans la situation des garagistes, les réseaux de prestataires se sont organisés sous la pression des donneurs d’ordre, il n’en est pas de même pour les professionnels de santé.

S’inspirer des réseaux de soins ?

Les réseaux de soins ont été initiés par la loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014, dite loi Le Roux (art. L. 112-1 du Code de la mutualité et art. L. 863-8 du Code de la Sécurité sociale), qui encadre l’action des réseaux de soins. 

Ils reposent sur des conventions conclues entre des plateformes de services santé pour le compte d’organismes d’assurance maladie complémentaire et des professionnels de santé, dans lesquelles ces derniers s’engagent à respecter des tarifs pour une série de produits ou de prestations donnés, avec des garanties de qualité ou de service.

La loi précise que l’adhésion des professionnels de santé aux réseaux de soins doit s’effectuer sur la base de critères objectifs, transparents et non discriminatoires.

Comment fonctionne un réseau de soins pour les assurés ? Pour les assurés, le fonctionnement d’un réseau de soins est simple : ils peuvent s’adresser à un professionnel sélectionné par les équipes de la plateforme. Cette dernière communique leurs coordonnées, souvent via des outils de géolocalisation.

L’accès à un réseau de soins doit être inclus dans la complémentaire santé du salarié. Pour savoir s’il dispose d’un réseau de soins, celui-ci peut contacter sa mutuelle, son organisme assureur, son courtier ou sa plateforme gestionnaire de son contrat santé. Souvent, cette information figure aussi sur la carte de tiers payant de l’assuré.

Utiliser les services de son réseau de soins peut se révéler intéressant pour l’assuré qui bénéficiera :
• Du tiers payant ;
• De tarifs négociés modérés permettant de baisser son reste à charge ;
• De critères de qualité contrôlés par les équipes du réseau de soins ;
• De services d’accompagnement et de prévention ;
• De garanties d’assurance annexes (exemple : garantie casse pour les verres et montures ou garantie permettant de changer les verres ou les lentilles en cas d’inadaptation).

Répondre à l’attente de la banque-assurance par une stratégie de réseaux de prestataires

Créer un réseau de prestataires funéraires n’est pas aisé. Il ne s’agit pas d’additionner des agences pour répondre aux attentes de la banque-assurance. Un tel réseau devrait avoir du sens et être construit sur la base de valeurs éthiques partagées par le trio : assuré-prestataire-payeur.

Parmi les principes conducteurs concernant les assurés, il convient de citer trois indicateurs :
• Faciliter l’accès de l’assuré à la protection obsèques ;
• Garantir l’absence de tiers à charge ;
• Assurer une prestation de qualité conforme aux volontés enregistrées lors de la souscription.

De son côté, l’assureur attend du professionnel prestataire référencé dans le cadre du réseau la satisfaction également de trois paramètres :
• La réactivité instantanée fondée sur l’utilisation des nouvelles technologies de communication ;
• Le retour d’expérience sur la qualité de la prestation exécutée ;
• La pratique de la modération tarifaire à même de garantir la pérennité des produits distribués. Elle est la contrepartie au volume de dossiers dont l’exécution est déléguée au prestataire.

Enfin, le prestataire affilié à un réseau en quête de rattachement à un modèle économique le connectant avec les grands comptes aspire à la réalisation de ces attentes :
• Un référencement sur des bases transparentes, objectives et non discriminatoires ;
• Un volume d’activités à hauteur de ses attentes ;
• Une liberté de choix du prestataire par les assurés et leurs familles ;
• Une sécurisation des règlements des sinistres, notamment sur le plan des délais de traitement et de règlement des sinistres.

C’est en combinant les attentes de ce trio que la solution liée à un équilibre consenti de la valeur ajoutée induite par les produits obsèques découlera. Il est plus aisé de l’affirmer que de le réaliser. En réalité, l’enjeu dépasse le cadre de la filière funéraire et de l’assurance. Il s’agit en quelque sorte d’une grande cause nationale qui ne peut être que portée par une initiative législative.

L’objectif de cette initiative serait de renforcer la concurrence entre grands comptes tout en s’appuyant sur des réseaux de prestataires à même de consacrer la liberté de choix des assurés pour telle ou telle entité. Mais pour y arriver, il faut revenir à l’esprit de la loi relative aux réseaux de soins.

Pour une initiative législative fondatrice des réseaux de prestataires funéraires

L’initiative législative suggérée doit poursuivre la réalisation de trois objectifs : d’abord marquer la fin des accords de partenariats exclusifs, ensuite consacrer la liberté de choix par l’assuré de son prestataire et enfin instaurer la modération tarifaire des prestataires.

- La fin des partenariats exclusifs
Cette nouvelle étape dans la gestion des produits obsèques ne signifie pas que les partenariats existants sont contestables sur le plan du droit de la concurrence. Dans un passé lointain, le Conseil de la concurrence, saisi de cette question, n’a pas jugé nécessaire d’intervenir en raison de la faible proportion des contrats mis en cause. Néanmoins, une initiative législative consacrant la fin des accords exclusifs serait de nature à lancer effectivement le modèle économique des réseaux de prestataires funéraires, à les stimuler afin d’ouvrir une nouvelle ère dans la coopération entre la banque-assurance et les professionnels.

- La liberté de choix de l’assuré et… du professionnel
Dans le cadre de l’initiative législative suggérée, il conviendra de prendre en considération le principe de la liberté de choix sous une double perception. D’abord, la liberté de l’assuré de choisir le prestataire en toute indépendance, ni recommandation ; ensuite, la liberté du prestataire de rejoindre un réseau ou plusieurs réseaux mis en place. À l’image de ce qui existe dans les réseaux de soins ou de garagistes, un professionnel peut être labellisé par un ou plusieurs assureurs, si telle était sa volonté.

- La modération tarifaire des prestataires affiliés à un réseau
Préoccupation fondamentale de la banque-assurance, la modération tarifaire des prestataires est un enjeu déterminant. Il convient de rappeler la portée de la modération tarifaire. Il ne s’agit nullement de rogner les marges bénéficiaires du prestataire, mais de les consolider à travers l’apport d’un volume d’affaires conséquent. Un tel apport trouverait alors sa contrepartie dans la volonté des prestataires de contenir l’évolution de leurs tarifs.

En matière de produits obsèques, les intérêts des assureurs et des professionnels sont intimement liés. L’un ne va pas sans l’autre. Mieux encore, l’un n’existerait pas sans l’autre. Que vaudraient des garanties obsèques qui ne seraient pas exécutées ou seraient mal assurées ? De l’autre côté, que vaudrait un prestataire sans l’apport d’un grand compte, d’autant plus que les décès couverts par une garantie obsèques sont en très nette augmentation ?

L’équité recommande d’adopter une synergie active, sous la forme d’un parallélisme entre deux indicateurs : la revalorisation des garanties diffusées par l’assureur et la progression des prix des prestations funéraires.

Vision prospective de ce que seraient les futurs réseaux de prestataires funéraires

Dans le cadre des réseaux de soins, il existe deux types de réseaux : ouverts ou fermés.

Leurs différences sont les suivantes :
• Les réseaux de soins ouverts peuvent accueillir tout professionnel de santé demandeur auprès des assureurs et plateformes de santé privés dès lors qu’ils s’engagent à appliquer les critères qualitatifs et tarifaires du réseau.
• Les réseaux de soins fermés limitent leur accès à un nombre limité de professionnels (numerus clausus) par zone géographique, choisis selon des critères qualitatifs et tarifaires.

L’avantage est donné au réseau ouvert qui favorise un fort maillage territorial et permet de garantir une offre d’accès aux soins de proximité plus importante pour les assurés. Partant du principe qu’un même réseau n’est pas nécessairement affilié à une seule mutuelle. L’autre intérêt de ce réseau est de permettre à l’assuré de ne pas passer par le réseau de professionnels mis en place par la mutuelle. Néanmoins, si tel était le cas, il perd :
• L’avantage du tiers payant ;
• L’absence de tiers à charge ;
• La possibilité de bénéficier des remboursements majorés.

Pour donner un exemple précis, il faut se référer au coût d’un spécialiste membre d’un réseau de soins partenaire d’une mutuelle qui coûte en moyenne 20 à 40 % moins élevé qu’un praticien libéral non membre du réseau.
Ramener ce modèle économique aux prestataires funéraires équivaudrait à promouvoir la création de ces réseaux afin d’apporter aux assurés de la banque-assurance les avantages suivants :
• Le bénéfice d’un panier de prestations sans tiers à charge ;
• L’assurance de prix de prestations compétitifs négociés avec les donneurs d’ordre ;
• La qualité du service d’exécution des volontés ;
• La cohérence de la tarification en lien avec la revalorisation des produits d’assurance.

Si on applique la dynamique des réseaux de soins au domaine funéraire, cela se traduira par l’éclosion de nouveaux réseaux dont les modalités de création seront définies dans le texte de l’initiative législative suggérée.

Les grands axes de la norme législative porteront sur les aspects qui suivent :
• Création des réseaux de prestataires indépendants ou à l’initiative des assureurs ;
• Définition de leurs objectifs ;
• Détermination des formes juridiques ;
• Faciliter l’accès aux produits obsèques ;
• Donner à la liberté une triple consonance : la liberté pour l’assuré de choisir son réseau, la liberté de l’assureur de nouer un partenariat avec un ou plusieurs réseaux de prestataires, la liberté du prestataire de rejoindre un réseau ou un autre ;
• Les réseaux de prestataires doivent satisfaire à des critères de qualité ainsi qu’à des conditions d’organisation, de fonctionnement et d’évaluation fixés par une disposition de nature réglementaire.

S’agissant de la forme juridique, le modèle associatif pourrait être encouragé avec pour mission principale de favoriser l’accès aux produits d’assurance obsèques. L’expérience des réseaux de soins a conduit à des résultats appréciables.

L’apparition de ces réseaux ne manquera pas d’initier une réelle coordination entre les professionnels agréés et de fluidifier la relation avec les grands comptes. Sur le plan concurrentiel, ces réseaux ouvriront une nouvelle ère fondée sur la liberté de choix de l’assuré quant à s’adresser à tel ou tel réseau, et sur la liberté du prestataire de faire partie d’un ou plusieurs réseaux. Ces réseaux garantiront leur fiabilité à travers leur capacité à négocier avec les grands des avantages pour les assurés et les futurs prospects. Néanmoins, les réseaux devront également se distinguer par leur aptitude à contenir l’inflation des tarifs des prestations, gage que le grand compte prend largement en considération.

Des réseaux de prestataires oui, mais avec un encadrement et une évaluation annuelle

L’initiative législative suggérée doit intégrer un dispositif d’encadrement des réseaux de prestataires à la fois sur le plan de leur mise en œuvre et des objectifs attendus, mais également de l’évaluation de leur impact sur le plan concurrentiel, notamment quant à la modération tarifaire obtenue pour le compte des assurés ou prospects recourant à leurs services et plateformes.

C’est toute la philosophie des réseaux de soins qu’il convient de reprendre. Autrement, l’échec est assuré et sans aucune perspective.

L’évaluation des réseaux pourrait être engagée à travers l’obligation pour chaque réseau de publier annuellement un rapport d’activité intégrant un indice de mesure de la pratique de la modération tarifaire.

Déverrouiller la situation actuelle par une initiative législative constitue une réelle attente des prestataires indépendants. Elle pourrait leur donner l’occasion de constituer des réseaux à même de servir de contrepoids pour les grands comptes. Intellectuellement, la perspective est exaltante, tout comme elle dresse la réalité de prestataires atomisés et mal préparés à la coopération avec les institutionnels, qui, de leur côté, aspirent à la constitution de pools de prestataires structurés, organisés et réactifs, capables d’apporter de l’innovation pouvant contribuer à la fois aux contenus des produits d’assurance distribués, mais d’apporter également des solutions inédites en matière de traitement des sinistres. Des efforts certains ont été accomplis ces dernières années. Il ne reste plus qu’à transformer l’essai.
 
Méziane Benarab

Résonance n° 211 - Janvier 2025

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