Si la pratique est bien connue des opérateurs funéraires s’agissant de la vente de cavurnes "clés en main" par les communes en complément de l’achat de concessions, la pratique consistant à vendre des caveaux avec la concession est moins courante, mais possible. Cependant, afin d’éviter tout acte de concurrence déloyale susceptible de constituer une atteinte au principe de la liberté du commerce et de l’industrie à l’encontre des opérateurs funéraires privés, les communes sont soumises à des règles strictes qu’il conviendra de respecter au risque d’engager leur responsabilité.
Le cadre juridique de la vente de caveaux
De façon expresse, l’art. L. 2223-19 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que la "marbrerie funéraire" ne constitue pas une activité du service extérieur des pompes funèbres, donc échappe à la réglementation qui lui est propre. Ainsi, bien que réalisées en régie (exploitation directe par la collectivité publique), la construction et la vente de caveaux ne sont soumises à aucune exigence d’habilitation préfectorale.
Une ancienne affaire tranchée par le Conseil d’État en 1988(1) opposait un thanatopracteur à la ville de Montpellier qui avait mis en place la vente de prestations de thanatopraxie au profit des familles (NDLR : à cette époque, l’activité de thanatopraxie ne comptait pas parmi les prestations soumises au monopole). Le requérant reprochait à la ville de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie au motif qu’elle créait un monopole de fait au détriment des thanatopracteurs privés, tant sur la captation de la clientèle que sur les faibles prix pratiqués.
Pour débouter le requérant, le Conseil d’État avait considéré que cette activité, quoique constituant une activité annexe au service des pompes funèbres, n’était pas réalisée de telle sorte qu’elle portait atteinte à la liberté des familles de choisir leur thanatopracteur, donc qu’il n’était pas porté atteinte au principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
Ainsi, c’est par un raisonnement identique que l’on peut en déduire que l’activité de marbrerie funéraire peut être exercée par une commune, dès lors que les familles demeurent libres de faire réaliser leurs travaux par l’entreprise de leur choix. Celle-ci constituant "une activité d’intérêt public connexe à l’exercice du service extérieur des pompes funèbres"(2).
Une activité encadrée par une directive ancienne
Dès 1976, une circulaire du ministre de l’Intérieur(3) en posait les règles. En premier lieu, il semble que cette activité n’a vocation à être limitée qu’à la construction de "caveaux d’avance" destinés à être vendus aux familles en même temps que la concession, dans le but de réduire les délais d’obsèques et d’éviter une éventuelle inhumation au caveau provisoire et le surcoût en découlant.
Bien qu’ancienne et non opposable au sens des dispositions du Code des relations entre le public et l’Administration, on ne peut que constater la reprise de son visa et de ses dispositions dans plusieurs réponses ministérielles dont la dernière en date a été publiée au Journal officiel du Sénat le 25 janvier 2017(4). En outre, ses dispositions semblent ne pas entrer en contradiction avec les dispositions légales et réglementaires en vigueur, ni avec l’interprétation qu’en fait la jurisprudence, de sorte que son opposabilité ne semble pas devoir être remise en question.
Pour autant, les familles doivent demeurer libres d’acquérir dans le cimetière des emplacements dépourvus de toute construction ou tout équipement, mais surtout doivent toujours demeurer libres de recourir aux services de l’entrepreneur de leur choix. Dans le texte de 1976, le ministre recommandait de laisser à disposition environ 50 % de terrains nus. Et en tout état de cause, serait illégale la décision imposant aux concessionnaires des équipements prédéfinis sur la totalité d’une catégorie de sépultures(5).
Pas de constructions de caveaux sans délibération préalable
Ainsi que le précise la circulaire de 1976, la décision de construire des caveaux ayant vocation à être vendus aux familles doit être prise par une délibération du conseil municipal. Celle-ci devra faire apparaître la faculté des familles de choisir librement leur entrepreneur, ainsi que la mise à disposition d’un nombre suffisant d’emplacements pour que celles-ci ne se trouvent pas dans une obligation de fait, d’acquérir des caveaux communaux.
Une activité pleinement commerciale
En ne se contentant pas d’attribuer un simple emplacement par voie de concession, la commune exerce une activité commerciale qui entre en concurrence avec les entreprises de marbrerie. À ce titre, cette prestation est soumise à TVA au taux normal (soit 20 %).
S’agissant de sa facturation, celle-ci doit faire apparaître de façon distincte le montant facturé à la famille au titre de la concession de terrain et celui relatif à la construction du caveau. Ces opérations commerciales ayant vocation à être retracées dans un budget annexe de la commune (art. 201 octies du Code général des impôts).
S’agissant de la fixation du prix de vente, celui-ci doit être défini en tenant compte du coût de la construction du caveau supporté par la commune (qu’elle ait procédé à sa construction elle-même ou par la passation d’un marché public) ; la circulaire de 1976, reprise par la réponse ministérielle de 2017, rappelant que la prise en compte de ce coût exclut "tout profit financier pour la commune".
S’agit-il d’une concurrence préjudiciable aux opérateurs funéraires privés ?
De prime abord, on peut penser que oui. En effet, en excluant tout profit financier pour la commune, il est évident que les prix de vente pratiqués par les communes seront nécessairement inférieurs, voire très inférieurs à ceux pratiqués par les entreprises privées qui, par essence, exercent leur activité dans le but de réaliser un profit financier.
Néanmoins, comparons ce qui est comparable. Un premier élément de comparaison doit se porter sur le type de caveau proposé. Ainsi, les caveaux proposés ne seront pas nécessairement de même nature selon qu’il s’agira d’un caveau traditionnel coulé sur place, d’un caveau constitué d’éléments préfabriqués ou d’une cuve. De même, il conviendra de comparer les types de caveaux proposés entre un caveau tête-bêche et un caveau constitué de cases simples superposées. Enfin, dans la mesure où il s’agit, pour les communes, de construire et commercialiser des caveaux d’avance, les caveaux qui seront construits ne pourront pas proposer un panel aussi large que ce que peuvent proposer les opérateurs funéraires privés à la demande, sur le nombre de places notamment.
De plus, afin de ne pas porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, les communes devront se garder de toute immixtion dans les relations commerciales établies entre l’opérateur funéraire et ses clients. Ainsi, la commune ne saurait profiter de ses prérogatives de puissance publique (attribution des concessions) pour porter atteinte à l’image de l’opérateur funéraire en faisant la promotion de ses caveaux et de leur coût inférieur à l’occasion d’un décès.
En effet, une telle pratique constituerait, à notre sens, un démarchage prohibé tel que défini à l’art. L. 2223-33 du CGCT. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la circulaire de 1976 circonscrit la construction des caveaux par les communes aux "caveaux d’avance". Néanmoins, il est évident que tant sur le terrain déontologique que sur celui de l’obligation d’information et de conseil, les opérateurs privés ne sauraient faire un silence absolu sur les prestations proposées par les communes en la matière.
En effet, face à une famille présentant de faibles ressources, il sera incontournable pour l’opérateur funéraire d’évoquer cette possibilité offerte par la commune, pour autant que cette dernière ait régulièrement communiqué sur ses offres aux opérateurs concernés.
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris
(1) CE, 10 février 1988, Mezy, n° 67019
(2) Circulaire du 12 décembre 1997 relative à la gestion municipale des pompes funèbres
(3) Circulaire n° 76-160 du 15 mars 1976
(4) Question orale n° 1564S (Question : JO Sénat du 10/11/2016 - page 4897 / Réponse : JO Sénat du 25 janvier 2017 - page 748)
(5) CE, 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute-Garonne, n° 77277
Résonance n° 184 - Octobre 2022
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :