Après l’entrée en vigueur de la loi du 8 janvier 1993, qui mettait fin au monopole communal et instaurait l’habilitation de portée nationale, la France connaissait une révolution dans ses pratiques funéraires : l’augmentation exponentielle de la crémation. En effet, si la crémation ne représentait que 10 % des décès en 1993, elle représentait 23,5 % en 2004, et affichait déjà des perspectives de croissance susceptible d’atteindre les 50 % à moyen terme. Il y avait donc une certaine urgence à adopter une législation sur la destination des cendres. Mais, si cette question constituait l’ossature centrale du texte, la loi du 19 décembre 2008 avait également à cœur de "renforcer les conditions d’exercice des opérateurs funéraires" et de "simplifier et sécuriser les démarches des familles".
Une loi fruit d’une longue maturation
Après le dépôt d’une première proposition de loi au cours de la session extraordinaire 2004-2005 (n° 464), c’est à la suite du dépôt d’une seconde proposition de loi (n° 375), pendant la session parlementaire suivante, que ces deux textes seront examinés par la commission des lois du Sénat le 13 juin 2006. Né de la fusion de ces deux textes, le projet initial, qui avait pour objet principal de légiférer sur la nature et la destination des cendres, entendait également intervenir dans d’autres domaines :
- exiger des opérateurs funéraires des garanties plus strictes de professionnalisme : en créant, auprès du préfet, une "commission départementale des opérations funéraires devant être consultée lors de la délivrance, du renouvellement, du retrait ou de la suspension de toute habilitation", et en sanctionnant les formations à certains métiers funéraires par des diplômes;
- simplifier et sécuriser les démarches des familles : en permettant au maire de "surseoir à la délivrance des autorisations administratives relatives aux obsèques lorsque l’opérateur funéraire ne justifie pas être en situation régulière au regard de l’habilitation", en réduisant "le nombre des opérations funéraires devant être effectuées sous la surveillance de personnes habilitées", en fixant un montant minimum et un montant maximum aux vacations de police, en instaurant des devis-types déposés en mairie dans les communes de plus de 10 000 habitants, en fixant une durée pendant laquelle le démarchage commercial est interdit et en confirmant "l’obligation de neutralité qui s’impose aux établissements de santé en matière d’obsèques";
- appliquer "le taux réduit de TVA à l’ensemble des prestations funéraires : relevant du service extérieur des pompes funèbres";
- conférer aux conseils municipaux le pouvoir de prendre "toute disposition de nature à assurer la mise en valeur architecturale et paysagère du cimetière ou du site cinéraire".
Les travaux parlementaires se poursuivront pendant deux ans et demi pour aboutir au texte final, la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire. Si la plupart des dispositions initiales de la proposition de loi ont été adoptées, certaines, qui ont été écartées, conservent malgré tout encore aujourd’hui toute leur pertinence, et mériteraient sans doute que l’on s’y intéresse à nouveau.
Les apports de la loi de 2008 en matière cinéraire
Ainsi que l’indiquait le rapport de la commission des lois du Sénat, à cette époque "l’urne cinéraire [ne faisait l’objet] que d’un statut esquissé par la jurisprudence. Comme la dépouille mortelle, elle a ainsi été assimilée à un objet d’une copropriété familiale, inviolable et sacrée (CA Bordeaux, 14 janvier 2003), tout changement du lieu de sépulture devant en conséquence obtenir l’assentiment de l’ensemble des coindivisaires. Se fondant sur cette jurisprudence, le ministère de l’Intérieur a lui aussi estimé, dans une réponse à une question écrite, que l’urne cinéraire faisait l’objet d’une copropriété familiale, inviolable et sacrée, et semblait devoir se rattacher à la catégorie des souvenirs de famille que la jurisprudence fait échapper aux règles habituelles du partage (Réponse ministérielle n° 30945 – JOAN, 27 mars 2000, p. 2023-2024)". Quant aux cendres, la législation ne les assimilait nullement aux produits du corps humain.
C’est ainsi qu’a été créé, par la loi de 2008 (art. 11), l’art. 16-1-1 du Code civil, aux termes duquel : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence." De même, la portée l’art. 225-17 du Code pénal a été étendue aux urnes cinéraires (art. 13).
Enfin, elle crée (art. 16) l’art. L. 2223-18-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, dont l’alinéa 1 dispose qu’"après la crémation, les cendres sont pulvérisées et recueillies dans une urne cinéraire munie extérieurement d’une plaque portant l’identité du défunt et le nom du crématorium", et la destination des cendres est désormais limitée par le nouvel art. L. 2223-18-2 qu’elle crée également : "À la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont en leur totalité :
- soit conservées dans l’urne cinéraire, qui peut être inhumée dans une sépulture ou déposée dans une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire […];
- soit dispersées dans un espace aménagé à cet effet d’un cimetière ou d’un site cinéraire […];
- soit dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques."
Ainsi, par l’emploi de l’expression "en leur totalité", le texte de 2008 mettait fin à toute possibilité de partage des cendres, couramment pratiqué avant son entrée en vigueur. De même, en limitant les possibilités de destination des cendres, la conservation de l’urne au domicile des proches du défunt devenait interdite, sous peine d’une amende de 15 000 € (art. L. 2223-18-4).
Afin de permettre aux communes de répondre aux demandes toujours plus nombreuses des familles, la loi de 2008 (art. 14) instaure de nouvelles obligations d’aménagements cinéraires dans les cimetières des communes de plus de 2 000 habitants en modifiant l’art. L. 2223-1, qui depuis lors dispose, dans son alinéa 1er : que "chaque commune ou chaque Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) compétent en matière de cimetières dispose d’au moins un cimetière comprenant un terrain consacré à l’inhumation des morts et, dans les communes de 2 000 habitants et plus ou les EPCI de 2 000 habitants et plus compétents en matière de cimetières, d’au moins un site cinéraire destiné à l’accueil des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation."
Les autres apports de la loi de 2008
Si l’on a couramment retenu le volet cinéraire de la loi du 19 décembre 2008, celui-ci ne doit pour autant pas faire d’ombre aux autres dispositions de la loi. En effet, de nombreuses dispositions sont venues tirer les conséquences des premières années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi de 1993 en apportant divers ajustements :
- Art. 1er : limitation aux seuls personnels des régies non dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière de l’obligation de justifier des capacités professionnelles (art. L. 2223-23-1 du CGCT);
- Art. 2 : obligation pour les agents qui assurent leurs fonctions en contact direct avec les familles ou qui participent personnellement à la conclusion ou à l’exécution des prestations funéraires d’être titulaires d’un diplôme national (art. L. 2223-25-1 du GCT);
- Art. 3 : élargissement du droit à inhumation dans le cimetière de la commune "aux Français établis hors de France n’ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci" (art. L. 2223-3 4° du CGCT);
- Art. 5 : fixation du montant des vacations de police dans une fourchette de 20 à 25 € (art. L. 2213-15 du CGCT);
- Art. 6 : création de la notion de devis-modèles (art. L. 2223-21-1 du CGCT);
- Art. 7 : fixation d’un délai de deux mois après le décès pendant lequel le démarchage est interdit (art. L. 2223-33 du CGCT);
- Art. 8 : obligation de rémunérer le capital versé par le souscripteur d’un contrat obsèques (art. L. 2223-34-1 du CGCT);
- Art. 9 : instauration d’un fichier national destiné à centraliser les contrats obsèques (art. L. 2223-34-2, du CGCT);
- Art. 10 : limitation aux seuls transports de corps avant mise en bière des missions du service extérieur des pompes funèbres susceptibles d’être réalisés par les établissements de santé publics ou privés (art. L. 2223-43 du CGCT);
- Art. 18 : pouvoir donné aux maires de fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les concessions (art. L. 2223-12-1 du CGCT);
- Art. 19 : possibilité de crématiser les restes exhumés dans le cadre de reprises administratives en l’absence d’opposition connue, attestée ou présumée du défunt (art. L. 2223-4 du CGCT);
- Art. 20 : obligation de procéder à la crémation des corps dont les obsèques sont prises en charge par la commune, lorsque le défunt en avait exprimé la volonté (art. L. 2223-27 du CGCT);
- Art. 21 : instauration d’une procédure conférant au maire le pouvoir de prendre diverses mesures lorsqu’un monument funéraire menace ruine (art. L. 511-4-1, Code de la construction et de l’habitation);
- Art. 22 : ratification de l’ordonnance n° 2005-855 du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires.
Les dispositions de la proposition de loi non reprises dans le texte définitif
- création d’une commission départementale des opérations funéraires
L’instauration d’une telle institution avait pour objectif de ne pas limiter les compétences de l’autorité préfectorale à une simple compétence liée dans la délivrance des arrêtés portant habilitation dans le domaine funéraire, ni d’être seul décideur dans la prise de sanction de retrait ou de suspension d’habilitation. Cependant, lors de la présentation du texte sénatorial en commission des lois de l’Assemblée nationale, cette dernière a adopté un amendement tendant au rejet de cette proposition, considérant que l’instauration d’une telle commission allait "à l’encontre des efforts de simplification des procédures administratives".
- création d’un schéma régional des crématoriums
Une des principales problématiques à laquelle se heurtait le développement de la crémation en France résidait dans la grande hétérogénéité de l’implantation des crématoriums. Rappelons en effet que la création d’un crématorium relève encore aujourd’hui de la seule initiative communale ou intercommunale. À l’époque, nombreuses étaient les régions sous-dotées, voire non dotées de crématoriums. Outre les régions les plus rurales, tel était également le cas de la Corse et de l’outre-mer.
Bien que toujours réclamée par la Fédération Française de Crémation (FFC), l’instauration d’un schéma régional des crématoriums est peut-être un peu moins pertinente aujourd’hui qu’en 2008. Néanmoins, un tel schéma, impliquant nécessairement une concertation avec les acteurs locaux, aurait le mérite d'équiper en crématorium les régions encore sous-dotées, de dimensionner les nouveaux crématoriums aux réels besoins locaux, et d’éviter d’éventuelles concentrations de crématoriums susceptibles d’affecter leur rentabilité et donc d’entraîner corrélativement une augmentation des prix.
Cependant, considérant que "l’institution d’un tel schéma [paraissait] être un moyen assez complexe de réguler les créations de crématoriums", l’Assemblée nationale n’a pas retenu la proposition.
- abaissement du taux de TVA à l’ensemble des prestations du service extérieur des pompes funèbres
L’application d’un taux de TVA réduit à l’ensemble des prestations du service extérieur des pompes funèbres poursuivait l’objectif de réduction du prix des obsèques. Néanmoins, invoquant l’art. 40 de la Constitution, aux termes duquel : "les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique", le Gouvernement invoquait son irrecevabilité, rappelant que cet abaissement du taux de TVA aurait eu pour conséquence de priver le budget de l’État d’une recette de 180 millions d’euros.
La commission des lois de l’Assemblée nationale devait suivre la position du Gouvernement, ajoutant, sans doute en ayant en mémoire l’échec sur la baisse des prix de l’abaissement du taux de TVA dans la restauration, que cet abaissement n’apportait aucune "garantie que la réduction des frais des opérateurs funéraires soit répercutée sur les familles".
- conférer aux conseils municipaux le pouvoir de prendre "toute disposition de nature à assurer la mise en valeur architecturale et paysagère du cimetière ou du site cinéraire"
De longue date, le Conseil d’État considère que l’esthétique n’entre pas dans les pouvoirs de police du maire et que lui conférer cette compétence "constitue une atteinte trop importante aux droits des titulaires des concessions" (CE, 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute-Garonne). Conscients de cette jurisprudence raisonnable, les rédacteurs de la proposition de loi entendaient néanmoins traiter cette question, considérant que maintenir une harmonie architecturale dans les cimetières était une nécessité, et proposaient de conférer aux conseils municipaux le soin de prendre par délibération un "plan de mise en valeur architecturale et paysagère" du cimetière.
La commission des lois de l’Assemblée nationale devait cependant rejeter cette proposition, considérant que l’esthétique constituait une notion trop subjective, et préférait s’en tenir aux règles en vigueur en matière de classement des sites remarquables et historiques.
Si la question de l’esthétique des cimetières constitue une limite sans doute indépassable s’agissant d’imposer aux concessionnaires des travaux sur ce seul fondement, une réflexion mériterait d’être engagée non plus dans une perspective esthétique, mais dans une perspective environnementale. En effet, quinze ans après la loi de 2008, on constate aujourd’hui une demande de plus en plus pressante des usagers des cimetières, relayée par les élus, de renforcer la dimension écologique des cimetières. Or, la mise en œuvre de telles mesures se heurte aujourd’hui à la liberté totale d’aménagement des concessions consacrée à l’art. L. 2223-12 du CGCT aux termes duquel : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture."
Ainsi, la légalité de restrictions d’aménagement des sépultures édictées par le maire, même pour les motifs environnementaux, interroge. C’est la raison pour laquelle il apparaît qu’une modification législative intégrant la dimension environnementale dans les pouvoirs de police spéciale du maire en matière de cimetière s’impose, pour permettre le déploiement en toute sécurité juridique des initiatives environnementales, pour certaines déjà initiées par de nombreuses communes à travers la France.
Me Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris
Résonance n° 197 - Novembre 2023
Résonance n° 197 - Novembre 2023
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