Évolutions législatives, jurisprudentielles et doctrinales de janvier et février 2024.
Retrait des bijoux avant mise en bière (et crémation) : attention au respect du devoir de conseil de l’opérateur de pompes funèbres !
Les métaux associés aux opérations funéraires, et particulièrement à la crémation, ont décidément fait l’objet d’une actualité jurisprudentielle particulièrement riche en ce début d’année 2024. En témoigne l’arrêt, dont le commentaire, rendu par la cour d’appel de Rennes le 19 janvier 2024.
En l’espèce, le neveu de la défunte, décédée dans un EHPAD de Bretagne, a procédé à distance à l’organisation d’obsèques avec un opérateur de pompes funèbres, en raison de sa résidence en Allemagne. La toilette mortuaire a été effectuée par les agents de l’EHPAD.
Une fois la mise en bière et la cérémonie d’obsèques effectuées, le corps de la défunte a été admis en crémation, avec les bijoux qu’elle portait au moment de son décès... Le neveu de la défunte, par ailleurs héritier, n’a donc pu se les voir remettre.
Prétendant avoir découvert, lors de la récupération des effets personnels de sa tante après la cérémonie de dispersion des cendres, que le corps avait été crématisé avec des bagues de valeur sans qu’il ait donné son accord, ni qu’il ait été averti de ce que ces bijoux seraient détruits, le neveu a mis en demeure l’opérateur funéraire de l’indemniser. En vain. Il a donc assigné en justice l’opérateur de pompes funèbres.
En appel, ce dernier a fait valoir qu’aucune instruction particulière ne lui avait été donnée, qu’aucun soin de thanatopraxie n’avait été commandé, ou encore qu’il n’avait pas procédé à la toilette mortuaire. L’unique argument du neveu de la défunte était quant à lui fondé sur le devoir de conseil de l’opérateur de pompes funèbres, avant mise en bière : c’est cet unique argument qui a emporté la conviction de la cour d’appel.
Celle-ci a en effet considéré :
"Professionnelle de l’organisation d’obsèques, (la société de pompes funèbres) était tenue, à l’égard de son client qui n’était de surcroît pas sur place, d’un devoir d’information et de conseil qui l’obligeait notamment à se renseigner auprès de l’EHPAD pour l’informer sur le fait que sa tante décédée était porteuse de bagues, qui ne se limitaient de surcroît pas à une alliance, mais incluaient notamment un solitaire, et l’informer qu’il lui appartenait de donner toutes instructions utiles afin de faire retirer les bijoux avant la mise en bière, faute de quoi celles-ci seraient crématisées avec le corps.
[...]
Il résulte de ce qui précède qu’ayant manqué à son devoir d’information et de conseil, la société (X) a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle."
La cour a également jugé qu’il résultait de l’art. 724 du Code civil que les héritiers sont saisis de plein droit des biens du défunt, ce qui inclut les bijoux portés par celui-ci au moment de son décès.
L’arrêt rendu par la cour d’appel le 19 janvier 2024 – soit le lendemain de la désormais célèbre décision du Conseil constitutionnel ayant déclaré l’art. L. 2223-18-1-1 du CGCT conforme aux droits et libertés que la constitution garantit – vient y apporter, sans doute, un utile complément.
Pour rappel, le Conseil constitutionnel motivait notamment sa décision comme suit :
"Si les dispositions contestées font obstacle à ce que les ayants droit puissent se voir remettre les métaux issus de la crémation ou le produit de leur cession, quand bien même ils proviendraient de biens ayant appartenu au défunt, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de les priver des droits qu’ils peuvent faire valoir en temps utile sur ces biens en vertu de la loi successorale."
Une telle motivation a pu susciter l’étonnement. Mais la position prise par la cour d’appel de Rennes vient renforcer l’analyse développée dans ces colonnes (cf. RES n° 200 – mars 2024), à savoir que, pendant un instant de raison dont les contours peuvent correspondre à la période entre le décès et la crémation, les héritiers seraient en mesure de revendiquer un droit de propriété sur les métaux associés au corps du défunt, à condition de respecter les dispositions d’ordre public de l’art. 16-1-1 du Code civil.
À retenir
Le devoir de conseil de l’opérateur funéraire à l’égard des familles fait l’objet d’une lecture toujours plus exigeante par les juridictions, et l’arrêt de la cour d’appel de Rennes illustre cette tendance. Il est conseillé aux opérateurs de pompes funèbres de systématiser, parmi les questions à poser aux familles, celle du devenir des bijoux portés par le défunt au moment de son décès.
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Source : Cour d’appel de Rennes, 2e chambre, 19 janvier 2024, n° 21/03658
Me Anthony Alaimo
Résonance n° 201 - Mars 2024
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