Votre panier

Panier vide
Nous reproduisons ce jugement, dont nous ne partageons pas la solution, car il est singulier en ce qu’il énonce que l’exhumation d’un défunt peut être refusé dès lors que celui-ci aurait lorsqu’il était vivant manifesté son souhait de demeurer inhumé dans un cimetière bien précis.


Tribunal administratif, Melun, 2e chambre, 11 avril 2024 – n° 2108371

Refus d’exhumation motivé par la volonté du défunt

Les faits sont extrêmement simples : le requérant demande l’exhumation de son père qui lui est refusé par la commune de G… au motif que celui-ci avait exprimé sa volonté d’y être inhumé.

La commune produit 19 attestations d’habitants en ce sens. Le juge énonce alors la conclusion selon laquelle : "Il résulte des dispositions de l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887 combinées avec celles de l’art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) que, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’exhumation faite par le plus proche parent du défunt, l’autorité administrative compétente doit s’assurer, au vu des pièces fournies par le pétitionnaire, que le défunt n’a pas exprimé une volonté relative à sa sépulture qui s’opposerait à l’exhumation".

Or, l’art. R. 2213-40 du CGCT ne fait que mentionner les conditions de demande de l’autorisation d’exhumation : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande". Il faut rappeler que cette qualité n’est exigée que pour cette opération et ne doit pas être assimilée à la notion de personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles qui ne la recoupe pas entièrement.

Le problème est que le CGCT ne donne aucune définition de cette notion de "plus proche parent du défunt". En revanche il existe une tentative de définition dans l’Instruction Générale Relative à l’État Civil (IGREC) du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept. 1999) paragraphe 426-7 qui énonce que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation des tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs".

Le dilemme que les communes rencontrent c’est qu’elles n’ont que peu de moyens de vérifier cette qualité. C’est la raison pour laquelle (CE 9 mai 2005, req. n° 262977), le juge administratif exige une attestation sur l’honneur où celui qui sollicite cette exhumation affirme qu’il est le plus proche parent du défunt, ou s’il en existe d’autres, atteste que ceux qui viennent au même rang que lui ne s’y opposent pas. Il peut en effet y avoir plusieurs plus proches parents du défunt : sœurs et frères par exemple.

Le juge rappelle ensuite qu’aux termes de l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions. Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu’une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation.

Il combine alors ces dispositions pour en tirer la conséquence que la commune, saisie d’une demande d’exhumation par le plus proche parent du défunt, doit s’assurer, au vu des pièces fournies par le pétitionnaire "que le défunt n’a pas exprimé une volonté relative à sa sépulture qui s’opposerait à l’exhumation". Enfin, ce demandeur doit : "attester sur l’honneur que le défunt n’a pas exprimé une telle volonté, ou bien qu’il l’ait ensuite révoquée".

Le juge affirme alors étrangement au vu des précédentes affirmations que l’Administration n’a pas à vérifier l’exactitude de cette attestation ni la validité de l’expression du défunt mais qu’elle doit en revanche s’opposer à l’exhumation en attendant le cas échéant que l’autorité judiciaire se prononce, en cas de volonté contraire du défunt.

Nous avouons ne pas comprendre la logique intrinsèque de cette affirmation finale car comment saisir un juge judiciaire alors qu’il n’existe pas de conflit familial ? De surcroît, c’est la décision administrative de refus qui sera contestée et le juge judiciaire n’est pas compétent pour en apprécier la légalité…

L’exhumation : un droit opposable à la commune

Par le passé, déjà, certains maires ont refusé de pratiquer une exhumation lorsqu’ils connaissaient une volonté contraire du défunt. Ils s’opposaient alors à l’opération d’exhumation alors même qu’il n’y avait aucun conflit familial qui aurait pu légitimer une telle position. Ces refus de délivrance d’autorisation d’exhumation ont même pu être confortés par quelques décisions où le juge administratif a accepté ces comportements.

Ces décisions sont néanmoins la résultante d’une méconnaissance du droit (comme en l’espèce) par certaines juridictions administratives car le Conseil d’État lui-même invalide ce genre de raisonnement (CE 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE p. 391). En effet, l’exhumation d’un défunt est un acte de police et comme tel, la volonté d’un particulier, fût-elle protégée par le respect dû aux dernières volontés d’un défunt, ne peut lier le pouvoir de police (pour illustration : TA d’Amiens 23 mai 2005, M. Marquet, req. n° 0400344 ; TA de Toulouse 2 juin 2005, Mlle Toulze, req. n° 0303916).

Dans l’une de ces affaires, par exemple, le maire refusait l’exhumation d’un défunt qui avait été le desservant de la paroisse de la commune et dont la sœur demandait l’exhumation afin d’être plus proche de lui. Cette femme remplissait la qualité de plus proche parent du défunt, et c’est donc tout logiquement que le juge sanctionna la commune pour avoir refusé l’exhumation. En quelque sorte, l’exhumation, en absence de tout conflit familial, est ainsi pour reprendre l’heureuse expression de Marie-Thérése Viel, ("Droit funéraire et gestion des cimetières", Berger-Levrault, 1999, p. 262) un droit opposable à l’Administration.

Si une personne remplit les conditions de plus proche parent et qu’il n’y a pas de conflit au sein de la famille, l’Administration doit autoriser l’exhumation. Il n’est donc pas possible d’écarter par son testament toute exhumation de sa dépouille mortelle, pas plus que par des attestations produites à l’appui du refus d’exhumer. Cette opération est en effet prévue à l’art. R. 2213-40 du CGCT, article inclus dans le chapitre relatif à la police des funérailles et des lieux de sépulture.

L’exhumation est donc une autorisation que le maire délivre dans le cadre de ses pouvoirs de police, or il est impossible de renoncer à exercer un pouvoir de police sauf pour des motifs tirés eux-mêmes du respect de l’ordre public. Si l’on préfère, un individu n’a pas le droit de revendiquer la non-application d’une règle de droit. Il est évident que la responsabilité de la commune pourra être recherchée sur le terrain de la faute dans le cadre d’un refus d’exhumation (sur le terrain de la faute simple : CAA Nantes, 30 septembre 1998, Mme Marie-Agnés Mordellet, req ; n° 96NT01061).

Enfonçons le clou : le maire doit accepter d’exhumer, lorsque la personne qui sollicite cette autorisation est le plus proche parent du défunt, et ce, même si le maire a connaissance d’une volonté autre du défunt. Il sursoit à l’exhumation uniquement en cas de conflit familial et attend pour trancher définitivement la notification du jugement du juge judiciaire…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 203 - Mai 2024

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations