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Évolutions législatives, jurisprudentielles et doctrinales mars / avril 2024.
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Le crématorium est-il un service public industriel et commercial ?

Un agent, titulaire d’un contrat à durée indéterminée pour un poste d’assistant funéraire à la régie des pompes funèbres municipale, affecté au crématorium, saisit la juridiction prud’homale aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail. En cours de procédure, il est admis à faire valoir ses droits à retraite. Devant la juridiction prud’homale, l’agent demande la requalification de sa mise à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement de diverses sommes.

La commune, en défense, soulève l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit des juridictions administratives. En l’espèce, pour la Cour de cassation, se pose la question de la compétence du juge judiciaire pour connaître d’un litige opposant un agent recruté par contrat pour exercer des fonctions d’assistant funéraire dans un crématorium, laquelle question suppose de savoir si un crématorium est un service public industriel et commercial ou un service public administratif. On pouvait penser que la question était tranchée, voire réglée par la loi.

Le Tribunal des conflits (TC, 20 janvier 1986, n° 02413) a jugé que compte tenu tant de son objet, que de son mode de financement et des modalités de son fonctionnement, le service extérieur des pompes funèbres présente un caractère administratif.

Et de distinguer dès lors :
• les juridictions de l’ordre administratif sont seules compétentes pour connaître des litiges entre les communes, qui assurent directement ce service, et les entreprises qui, sans être chargées de l’exécution du service public, procèdent, pour le compte des familles, à l’organisation des obsèques en recourant aux fournitures et prestations assurées par le service public ;
• qu’en revanche les contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de l’exécution des contrats de droit privé conclus entre ces entreprises et les familles relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

Mais rien sur le contrat de travail d’un agent recruté par une régie municipale.

Puis, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire, le Conseil d’État, sur demande d‘avis du Gouvernement, le 19 décembre 1995 (n° 358.102), a exprimé l’avis qu’à l’issue de la période transitoire instituée par l’art. 28 de la loi du 8 janvier 1993, le service extérieur des pompes funèbres revêtira le caractère d’un service public industriel et commercial, eu égard à l’origine de ses ressources, constituées par le prix acquitté par les familles en paiement des prestations assurées, et aux modalités de son fonctionnement, marquées par la pluralité des intervenants publics ou privés agissant dans le cadre de la loi de 1993.

Mais pour la Cour de cassation, la question reste ouverte pour un ensemble de motifs tirés de la règlementation en vigueur.

Tout d’abord, selon l’art. L. 2223-40 du CGCT :
• les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont seuls compétents pour créer et gérer les crématoriums et les sites cinéraires ;
• les crématoriums et les sites cinéraires qui leur sont contigus peuvent être gérés directement ou par voie de gestion déléguée ;
• les sites cinéraires inclus dans le périmètre d’un cimetière ou qui ne sont pas contigus à un crématorium doivent être gérés directement ;
• lorsqu’un site cinéraire contigu d’un crématorium fait l’objet d’une Délégation de Service Public (DSP), le terrain sur lequel il est implanté et les équipements qu’il comporte font l’objet d’une clause de retour à l’autorité délégante au terme de la délégation ;
• toute création ou extension de crématorium ne peut avoir lieu sans l’autorisation du représentant de l’État dans le département, accordée après enquête publique et avis de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques.

Ensuite, les régies, entreprises ou associations gestionnaires d’un crématorium doivent être habilitées (art. L. 2223-41 et L. 2223-23). Ensuite encore, les délégataires sont soumis, notamment à l’obligation de respect de tous les cultes et de l’absence de culte (art. L. 2223-26), à l’obligation d’indiquer leur qualité de délégataire dans toute communication (art. L. 2223-31), et à l’obligation d’affectation du capital versé au titre d’un contrat obsèques (art. L. 2223-34).

Si l’art. L. 2223-19 du CGCT (modifié par la loi du 26 janvier 2016) énonce que le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public (sans autre précision donc), et que cette mission peut être assurée par les communes, directement ou par voie de gestion déléguée, les communes ou leurs délégataires ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité car elle peut être également assurée par toute autre entreprise ou association habilitée.

Or, même si l’avis du Conseil d’État du 19 décembre 1995 énonce que le service des pompes funèbres revêt, à compter du 10 janvier 1998, le caractère d’un service public industriel et commercial, en revanche, les éléments suivants pourraient justifier le caractère de service public administratif et la compétence de la juridiction administrative. :
• l’art. L. 2223-40 du CGCT dispose que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont seuls compétents pour créer et gérer les crématoriums et les sites cinéraires,
• le 8° du premier alinéa de l’art. L. 2223-19 du CGCT dispose que le service extérieur des pompes funèbres a une mission de fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux crémations,
• le service public du crématorium peut, selon l’art. L. 2223-40 du même Code, être géré en régie directe ou par voie de gestion déléguée, mais sans exclusivité.

La Cour de cassation décide donc de renvoyer au Tribunal des conflits, juridiction chargée, en cas de doute, d’attribuer la compétence à l’un ou l’autre des ordres de juridictions, le soin de décider sur la question du juge compétent pour trancher le litige entre un agent et la commune.

À suivre…

À retenir
Trancher un litige entre un agent et la commune qui l’a recruté par contrat pour exercer des fonctions d’assistant funéraire dans un crématorium suppose de savoir si un crématorium est un service public industriel et commercial ou un service public administratif, car de cette qualification dépend la désignation du juge compétent. Ce qui pour la Cour de cassation n’est pas tranché…

Me Philippe Nugue
 
Source : Cour de cassation, Chambre sociale, 6 mars 2024, 22-12.477, Inédit

Résonance n° 203 - Mai 2024

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