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Une récente décision du Tribunal des conflits et un jugement de tribunal administratif viennent de se prononcer quant à la catégorie de service public d’un crematorium. Voici qui mérite quelques explications…


TA Limoges, 5 mars 2024, n° 2200007, Crématorium Arédien, T. confl., 8 juill. 2024, n° C4314, commune de Toulouse 

La crémation : un service public facultatif

La loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 a fait du crématorium un monopole public en matière de création et de gestion. Néanmoins, il n’existe aucune obligation pour les personnes publiques de créer un tel équipement. Il s’agit donc d’un service public, mais d’un service public facultatif.

Cette mission de service public comprend : la construction et l’entretien du crématorium, l’ensemble des opérations de crémation de la réception du cercueil à la remise de l’urne, la location des salons de recueillement, des salles de cérémonie, la crémation des restes exhumés à la demande des communes après la reprise des concessions et enfin l’incinération des pièces anatomiques à la demande des établissements de santé.

On y ajoutera enfin l’offre obligatoire du dépôt provisoire de l’urne pendant une durée d’un an, délai permettant aux familles de régler les modalités de la destination de l’urne. Il convient de remarquer que le législateur n’a pas précisé de quel type de service public il s’agissait.

Il n’y a pas eu de choix fait à l’origine pour le qualifier légalement de service public administratif, ou de service industriel et commercial, même si une circulaire du 12 décembre 1997 (Circ. n° 97-00211 C, 12 déc. 1997) y voyait plutôt une mission de service public industriel et commercial, sans, bien sûr, absence de valeur normative à l’époque, que ceci s’impose juridiquement.

Il faut ensuite rappeler que la commune ou l’EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunale) peut alors gérer directement ou bien indirectement cet équipement.

- Si la commune opte pour la gestion directe, elle (ou l’EPCI) peut ainsi construire elle-même le crématorium et gérer cet équipement en régie. Elle devra faire construire l’équipement dans le respect des règles relatives à la maîtrise d’ouvrage public et au Code de la commande publique aussi bien pour la construction que pour la conception.

- Si elle opte en revanche pour une gestion déléguée, c’est le mode de rémunération du cocontractant qui décidera de la forme juridique du contrat qui liera l’opérateur funéraire avec la commune. Au choix, on pourra être confronté à un marché public, si l’exploitant est rémunéré par la commune, par un prix sans lien avec l’activité déléguée.

Ce peut être le cas lorsque la commune perçoit directement les recettes liées à l’exploitation du crématorium et rémunère le cocontractant directement à partir du produit de celles-ci.

Ce peut être aussi une DSP (Délégation de Service Public), c’est en pratique le mode de gestion qui s’impose, si l’exploitant se rémunère principalement sur l’usager du service public, et assume les risques financiers de l’exploitation de l’équipement. Désormais, si un titre d’occupation du domaine public est nécessaire, il sera intégré au contrat de la commande publique.

Enfin, si une personne privée peut être délégataire, il peut advenir que des SEM (Sociétés d’Économie Mixte), voire des SPL (Sociétés Publiques Locales) soient constituées en vue de la gestion déléguée d’un crématorium.

Le crématorium : un service public, mais de quelle nature ?

Traditionnellement, le droit administratif distingue deux types d’activités de service public : les Services Publics Administratifs (SPA) et les Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC). On peut les distinguer soit grâce à la qualification que leur donnent les textes, mais c’est assez rare que le législateur utilise cette méthode, soit sur la base d’une technique jurisprudentielle appelée faisceau d’indices.

En effet, le juge se réfère alors à différents indices pour qualifier la nature de l’activité de service public en cause (CE, 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques). Pris isolément, ces indices ne veulent pas dire grand-chose, mais, en les combinant entre eux, le juge se forge une intime conviction sur la nature du service public.

Ces indices sont : l’objet du service, l’origine des ressources (si redevance payée par les usagers, c’est plutôt un SPIC, si recettes fiscales ou subventions, c’est plutôt un SPA) et les modalités de fonctionnement (le service fonctionne-t-il comme une activité privée ? Bénéfices recherchés, présence ou non d’un comptable public…).

Il est important de savoir si l’activité est un SPA ou un SPIC, car le régime juridique auquel ils sont soumis est différent.

Pour simplifier, disons que toute l’organisation et le fonctionnement d’un SPA est soumis au droit administratif et, en cas de contentieux, au juge administratif. Au contraire, si l’organisation des SPIC relève bien du droit administratif et du juge administratif, ce qui concerne son fonctionnement relève du droit privé et du juge judiciaire.

Ces rappels sommaires étant faits, intéressons-nous à nos jurisprudences

La décision du Tribunal des conflits portait sur la qualification d’un contrat de travail. Un assistant de la régie funéraire des pompes funèbres de la commune de Toulouse (donc du service public géré en direct par la collectivité) était affecté au crématorium. Il a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de résiliation de son contrat de travail et de requalification de sa mise à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le conseil se déclare incompétent au motif erroné qu’il s’agit d’un monopole public, donc d’un contrat administratif, la cour d‘appel statue en sens inverse, la Cour de cassation décide de saisir le Tribunal des conflits pour savoir si ce litige dépend du juge administratif ou du juge judiciaire.

Le tribunal applique alors les critères que nous avons présentés plus haut, et affirme que : "Compte tenu de son objet, de l’origine de ses ressources, constituées principalement du prix acquitté par les usagers en paiement des prestations, et de ses modalités de fonctionnement, marquées par la pluralité des intervenants publics ou privés, le service extérieur des pompes funèbres assuré par la régie des pompes funèbres de la commune de Toulouse présente le caractère d’un SPI.

Il en va de même pour la gestion, par la régie des pompes funèbres, du crématorium de Cornebarrieu où était affecté M. A..., sans qu’y fasse obstacle la circonstance que l’art. L. 2223-40 réserve aux communes la compétence pour créer et gérer les crématoriums.

Il s’ensuit que M. A..., employé comme agent au sein de ce crématorium, était lié à la commune de Toulouse par un contrat de droit privé. Par suite, le litige l’opposant à la commune relève de la compétence de la juridiction judiciaire."

Intéressons-nous maintenant au jugement du tribunal administratif de Limoges

Il s’agissait ici d’un recours dirigé par un exploitant de crématorium à l’encontre de la décision de la commune de Saint-Junien de créer sur son territoire un crématorium qui sera exploité en DSP. On illustre ainsi notre propos introductif en rappelant le monopole public de création de ces équipements, ainsi que la possibilité d’en confier la création et la gestion à un exploitant qui ne serait pas la commune.

Les deux motifs principaux invoqués par le requérant sont l’existence à proximité d’autres crématoriums déjà existants ou prévus, ainsi qu’une atteinte au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Le juge affirme alors sans ambages que : "La création et le fonctionnement d’un crématorium par une commune ou un EPCI relèvent d’une mission de service public de nature industrielle et commerciale."

On remarquera qu’à la différence du Tribunal des conflits, il ne justifie pas particulièrement cette assertion, et qu’il semble la déduire uniquement de la formulation de l’art. L. 2223-40 du CGCT, ce qui est quelque peu abrupt dès lors que cet article ne fait que poser le principe du monopole et prévoir qu’il peut être néanmoins géré soit directement, soit de façon déléguée.

Il se dégage l’impression que, pour le tribunal administratif, par principe, le crématorium est un SPIC sans qu’il ait besoin de recourir à la technique du faisceau d’indices. Incidemment, il rejette le recours en se fondant sur l’intérêt public local. Il faut comprendre qu’une collectivité territoriale voit ses actes administratifs examinés par le juge à cette aune.

En effet, l’art. L. 2121-29 du CGCT attribue au conseil municipal la faculté de régler par ses délibérations les affaires de la commune. Il en va de même dans le CGCT pour le Département et la Région. Le principe de cette législation est extrêmement connu, encore faut-il rappeler que le juge vérifiera alors que le conseil municipal n’a pas outrepassé ses compétences, c’est-à-dire qu’il ne s’est pas aventuré dans le domaine de compétence qui relève d’une autre personne publique ou du "marché" (pour reprendre le terme employé par le requérant), en adoptant une délibération, et c’est ce qu’il est convenu d’appeler : "l’intérêt public local".

Le juge estime alors que : "Si la société requérante soutient que les 2 crématoriums qui existent déjà à Limoges et à Saint-Yrieix-la-Perche, respectivement situés à 32 km et 58 km de Saint-Junien, ainsi que celui qui sera prochainement créé à Confolens en Charente suffisent à prendre en charge les besoins de crémation existants, elle ne justifie pas de cette assertion alors, d’une part, que les pratiques des funérailles par crémation sont en augmentation constante et peuvent encore augmenter dans les années à venir, d’autre part, qu’il n’est pas contesté que la création d’un crématorium à Saint-Junien a vocation à faciliter les déplacements de ses habitants, pour assister aux cérémonies funéraires.

Dès lors, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la mise en place d’un crématorium par la commune de Saint-Junien ne satisferait pas aux besoins de la population et ne répondrait pas à un intérêt public local suffisant." L’intérêt pour les habitants de la commune à disposer d’un crématorium proche justifie donc l’intervention de celui-ci. Au delà de la raison pour laquelle nous le commentons, ce jugement donnera indubitablement du grain à moudre à ceux qui plaident pour un schéma territorial d’implantation des crématoriums…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Lille

Résonance n° 208 - Octobre 2024

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