
Tribunal administratif de Rouen, 26 septembre 2024, n° 2201718
Le jugement rappelle utilement que c’est le concessionnaire qui est, comme le précise le juge, le régulateur du droit à inhumation dans la concession (Cass. 1re civ., 17 décembre 2008, n° 07-17.596 JCP A 2009, 2049, note D. Dutrieux). Cette typologie est le fruit de la jurisprudence, et le Gouvernement n’entend pas la réglementer (réponse ministérielle n° 12069, JO S du 22 septembre 2011).
Dès lors, à tout moment, il peut en changer la nature. En l’espèce, une concession familiale est transformée en concession collective, c’est-à-dire en une concession où ceux qui ont le droit à inhumation sont toujours limitativement énumérés.
Ainsi, certains membres de la famille peuvent y perdre leur droit à inhumation :
5. Il ressort des pièces du dossier que, par acte modificatif de concession en date du 6 septembre 1979, lequel ne peut être regardé comme une simple "actualisation", contrairement à ce que font valoir les requérants, feu M. E K a désigné nommément et limitativement les personnes devant être inhumées au sein de la concession perpétuelle n° 403, à savoir, lui-même, son épouse, Mme I G épouse K, M. F A et Mme H K.
Ce faisant, le concessionnaire a conféré à cette concession, qui présentait initialement le caractère d’une concession "familiale", accordée à son titulaire pour y fonder une sépulture de famille sans que les bénéficiaires soient nommément désignés, le caractère d’une concession funéraire dite "collective" pour l’inhumation de personnes nommément et limitativement énumérées dans l’acte de concession.
Dans ces conditions, alors, d’une part, que les requérants ne peuvent valablement se prévaloir de la règle dite du "primo mourant", qui s’applique aux concessions dites "familiales", et d’autre part, que même un accord des co-concessionnaires indivis ne pouvait modifier le régime de cette concession, le maire de P… était tenu de refuser l’inhumation de l’urne funéraire de Mme B K épouse J au sein de la concession funéraire n° 403 du cimetière communal.
II. La place de la seconde épouse dans la concession familiale
Tribunal administratif de Lille, 24 septembre 2024, n° 2107640
Dans une concession familiale, le principe est que les membres de la famille du fondateur y disposent du droit à inhumation, sauf si celui-ci les en a explicitement écartés en les mentionnant dans l’acte de concession comme n’y disposant pas du droit à inhumation (CAA Bordeaux 3 novembre 1997, M. Gilbert Lavé, req. n° 96BX01838).
Dès lors, une épouse en secondes noces du fondateur y dispose bien d’un droit à inhumation :
4. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 25 janvier 1977, le maire de la commune de T… a accordé à M. C A une concession perpétuelle à l’effet d’y fonder la sépulture de sa famille. Or, il ne ressort d’aucune des pièces du dossier et il n’est pas soutenu que M. A aurait manifesté la volonté expresse de s’opposer à l’inhumation au sein du caveau familial de sa seconde épouse, Mme E D.
Par suite, alors même que Mme A, fille de M. A, se serait opposée à l’inhumation de Mme D dans le caveau familial et que l’inhumation aurait été demandée par une personne n’étant pas co-concessionnaire indivis à la suite du décès de M. A en 1995, le maire de la commune de T… n’a pas entaché d’illégalité sa décision par laquelle il a autorisé d’inhumer Mme E D dans la concession funéraire de M. C A.
III. Règlement de cimetière : l’interdiction des interdictions générales et absolues
Tribunal administratif de Nancy, 17 octobre 2024, n° 2200873
Un règlement de cimetière interdisait l’installation de chapiteaux dans le cimetière. Le tribunal estima que cette disposition était illégale. En effet, le juge l’analyse comme une interdiction générale et absolue. On sait que le règlement de cimetière est un acte de police, or, qui dit mesures de police administrative, dit nécessairement contrôle du juge administratif.
Ce contrôle est guidé traditionnellement par certains principes. Parmi eux, il y a l’idée que la mesure de police doit être nécessaire, c’est-à-dire que la restriction posée par la mesure de police doit être proportionnée aux faits qui l’ont motivée. Une mesure de police disproportionnée aux faits qu’elle entend circonvenir ne pourra être qu’illégale.
Le corollaire de ce principe est que les mesures de police ne doivent être ni générales ni absolues. Il faut entendre par là que, pour être valable, une mesure de police doit, par exemple, être circonscrite tant dans le temps que dans l’espace.
Ainsi, il est possible d’interdire l’installation de chapiteaux dans un cimetière, à certains endroits ou à certains moments, voire de réglementer leur taille, leur couleur, mais il est impossible de les interdire de principe ; c’est ce que rappelle opportunément le jugement, qui est bien entendu applicable à d’autres problématiques analogues :
3. Aux termes de l’art. L. 2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) : "La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques." Aux termes de l’art. L. 2213-8 du même Code : "Le maire assure la police des funérailles et des cimetières."
L’art. L. 2213-9 du même Code précise : "Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort."
4. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des écritures de la commune de M…, que l’interdiction d’installer des chapiteaux au sein du cimetière est motivée par des considérations tenant à la tranquillité et à la sécurité publiques, ainsi qu’à la décence du cimetière.
5. Il est vrai que la prévention d’une atteinte à ces intérêts est de nature à justifier l’édiction de règles encadrant la mise en place de ces structures. En particulier, alors même qu’il n’est pas établi que l’interdiction des chapiteaux, qui ne génèrent pas de bruit, serait adaptée à la protection de la tranquillité des usagers du cimetière, la protection de la décence peut justifier un encadrement des structures susceptibles d’être admises, en termes de coloris, de taille, d’implantation, de configuration ou de durée d’installation.
Quant à elles, les considérations tenant à la sécurité sont de nature à rendre nécessaire l’édiction de règles d’usage, par exemple des restrictions en cas d’alerte météorologique, ou de prescriptions visant à garantir la solidité des dispositifs. Pour autant, l’interdiction générale et absolue des chapiteaux n’est pas proportionnée à la protection de ces intérêts. Il suit de là, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la société requérante est fondée à demander l’annulation du refus implicite d’abroger le dernier alinéa de l’art. 10 du règlement du cimetière de M…
IV. La portée de l’interdiction du démarchage au domicile
Tribunal judiciaire de Paris, 1er octobre, RG n° 22/03390
L’art. L. 2223-33 du CGCT dispose que : "À l’exception des formules de financement d’obsèques, sont interdites les offres de services faites en prévision d’obsèques ou pendant un délai de deux mois à compter du décès en vue d’obtenir ou de faire obtenir, soit directement, soit à titre d’intermédiaire, la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès. Sont interdites les démarches à domicile ainsi que toutes les démarches effectuées dans le même but sur la voie publique ou dans un lieu ou édifice public ou ouvert au public."
Le respect de ces dispositions est fondamental, puisque le CGCT (L. 2223-35 et suivants) punit de peines de prison et d’amende sévères les infractions en la matière. Naturellement, de surcroît, le contrat sera nul. Le jugement opère une lecture stricte de ces dispositions, même si le démarchage a été opéré à la demande du démarché et que le contrat est signé de façon dématérialisée.
En l’espèce, les parties s’accordent sur un rendez-vous au domicile de la famille (M) dans la matinée du 16 août 2021, en lien avec la disparition d’(Y) (M) durant la nuit, la SPDM déclarant avoir obtenu à cette occasion la signature physique par M. (M) d’un pouvoir l’autorisant à accomplir toute démarche nécessaire aux obsèques. Elle verse aux débats ce mandat ainsi que l’acte de décès d’(Y) (M) dressé par les services de la mairie le 16 août 2021 à 14 heures 10, sur la déclaration de M. (Z) (J), conseiller funéraire et dirigeant de la SPDM.
Au surplus, le tribunal observe d’une part que la SPDM ne conteste pas le fait avancé en demande qu’elle ne dispose pas d’une agence ou d’un local commercial et, d’autre part, que son site Internet, dont des extraits sont produits, ne mentionne en effet aucune adresse physique pour la contacter, ce dont il se déduit que toute rencontre en présentiel avec ses clients se déroule au domicile de ces derniers.
Si la SPDM souligne que ce rendez-vous s’est fait à la demande de M. (M), ce moyen est en toute hypothèse inopérant, étant constant – sauf à rendre vaine l’interdiction posée par l’art. L. 2223-33 du CGCT – que constituent également un démarchage à domicile, au sens de cet article, les visites pratiquées à l’invitation de la personne. […] intéressée.
Du tout, il y a lieu de retenir que, le 16 août 2021, le conseiller funéraire de la SPDM s’est rendu au domicile de M. (M) afin de proposer ses services en lien avec le décès de son frère survenu le jour en question, et qu’il a obtenu à cette occasion son accord pour les prestations listées au sein du devis n° 2020D0184, peu important que la formalisation de cet accord se soit faite par voie dématérialisée. La SPDM ne fait au demeurant que reconnaître cette situation dans son courrier du 31 août 2021, contestant toute formation du contrat "par correspondance ou par Internet".
L’ensemble de ces circonstances caractérise donc un démarchage au domicile du client pour des offres de services funéraires alors qu’un délai de deux mois ne s’était pas écoulé depuis le décès et, partant, une violation des dispositions de l’art. L. 2223-33 du CGCT.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Lille
Résonance n° 211 - Janvier 2025
Résonance n° 211 - Janvier 2025
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :