Votre panier

Panier vide
Le décret n° 2025-53 du 17 janvier 2025 portant diverses mesures relatives à la réglementation funéraire (JO 19 janvier 2025) vient essentiellement trancher une vieille problématique : celle de la qualité de la personne compétente pour demander l’exhumation des corps des membres des congrégations et ordres religieux lorsque aucun plus proche parent du défunt n’est identifiable.


Qualité pour demander une exhumation : le principe du plus proche parent

L’art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) énonce que : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande." Cette qualité n’est exigée que pour cette opération et ne doit pas être assimilée à la notion de personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, qui ne la recoupe pas entièrement.

Le problème est que le CGCT ne donne aucune définition de cette notion de plus proche parent du défunt. En revanche, il existe une tentative de définition dans l’Instruction Générale Relative À L’état-Civil (IGREC) du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept. 1999) paragraphe 426-7, qui énonce que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation des tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs."

Le problème que les communes rencontrent, c’est qu’elles n’ont que peu de moyens de vérifier cette qualité. C’est la raison pour laquelle le juge administratif (CE 9 mai 2005, req. n° 262977) exige une attestation sur l’honneur où celui qui sollicite cette exhumation affirme qu’il est le plus proche parent du défunt ou, s’il en existe d’autres, atteste que ceux qui viennent au même rang que lui ne s’y opposent pas.

Il peut en effet y avoir plusieurs plus proches parents du défunt : sœurs et frères par exemple. Malheureusement, certaines juridictions, sous l’apparence de l’application de cette salutaire jurisprudence, ont tendance à la vider de son intérêt. Par exemple, on citera un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux (CAA Bordeaux 5 juin 2008, req. n° 07BX00828), où le juge met à mal ce seul document qui évoque la notion de plus proche parent.

Il est vrai, néanmoins, que l’IGREC n’est pas normative et prévoit qu’elle cédera devant l’appréciation des tribunaux. Cependant, cette jurisprudence, tout en reprenant scrupuleusement les motivations du raisonnement du Conseil d’État (CE) dans l’affaire du 9 mai 2005, en tire une conséquence qui, en quelque sorte, en annihile la portée.

Si, lors d’un conflit familial, le plus proche parent ne peut être contrarié dans sa demande d’exhumation que par une personne venant au même degré de parenté que lui, ce degré de parenté est une notion sur laquelle la commune ne peut avoir aucune lumière, puisque l’ordre proposé par l’IGREC ne tient pas, selon la CAA.

Ainsi, tout litige familial entraînera nécessairement le refus de délivrance de l’autorisation et la saisine du juge du tribunal judiciaire pour résolution du conflit. Or, on sait que le juge répugne alors à l’exhumation au motif que les divisions des vivants ne doivent pas perturber le repos des morts.

En effet, lorsqu’il y a conflit familial, le juge exige le plus souvent la démonstration du non-respect de la volonté du défunt ou du caractère provisoire de la sépulture (voir plus loin CA Riom 26 octobre 1999, JCP G 2000, IV, n° 1709 ; CA Toulouse 7 février 2000, JCP G 2000, IV, n° 2374).

On pourrait également citer, pour illustrer à quel point la jurisprudence peut être ondoyante, cette très étonnante décision de la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 1er février 2022, n° 20/00709) : M. Pascal M. est l’unique titulaire d’un caveau au cimetière du Montparnasse à Paris. Il souhaite réaliser des travaux d’agrandissement de ce caveau, et il sollicite donc une exhumation des deux corps s’y trouvant.

La mairie de Paris refuse sur le fondement de son absence de qualité de plus proche parent au sens de l’art. R. 2213-40 du CGCT. On ne peut que la reproduire littéralement : […] l’intervention du juge judiciaire a pour objet de déterminer s’il peut exister une autre solution, c’est-à-dire si une personne qui n’est parente ni par filiation ni par alliance peut être tenue pour un "proche parent" au sens et pour les fins de l’art. R. 2213-40 du CGCT.

Toute autre interprétation rendrait le recours au juge complètement inutile, tout en privant en outre définitivement tout titulaire d’une concession contenant des dépouilles non familiales sans descendance connue de la possibilité d’y opérer des remaniements, quelle que puisse en être la légitimité.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la justification de la solution est surprenante, puisque la cour estime qu’il lui appartient d’identifier si un parent avec le défunt peut être son plus proche parent au sens du CGCT. De même, la cour estime que, puisqu’il n’y a pas de conflit entre les plus proches parents (et pour cause), il n’y a pas lieu pour le maire de refuser cette exhumation.

Exhumations des membres des congrégations : une dérogation bienvenue

C’est dans ce contexte incertain que se pose cette problématique particulière de l’exhumation des membres des congrégations et autres associations cultuelles. En effet, il est très souvent extrêmement difficile de retrouver les plus proches parents de ces personnes qui, parfois, ont rompu tous liens avec le monde séculier.

Or, fréquemment, le besoin se fait sentir de regrouper ces sépultures par des exhumations et des réductions (cf. infra), ne serait-ce que par l’évolution de leur patrimoine immobilier ou le peu de places disponibles dans des tombeaux souvent fondés il y a longtemps et désormais exigus.

Très souvent, ces congrégations désirent ainsi libérer de la place dans les concessions dont elles sont titulaires (laissons de côté la problématique selon laquelle désormais une personne morale ne peut être concessionnaire dans un cimetière).

S’il exista par le passé une étrange "doctrine" du ministère de l’Intérieur indiquant aux communes qu’eu égard aux vœux prononcés il était possible de considérer que le supérieur de l’ordre est le plus proche parent d’un membre de celui-ci, cette position fut abandonnée lors de la parution du guide de la DGCL (Direction Générale des Collectivités Locales) de juillet 2017 relatif à la législation funéraire à l’attention des collectivités locales, p. 57.

"Le cas particulier des congrégations religieuses

La hiérarchie de la congrégation à laquelle appartient une religieuse n’est pas un "parent" au sens de ces dispositions ; a priori, il n’existe pas une autre législation se référant à la notion de "parent" et qui permettrait, par analogie, d’avoir une interprétation souple de ces dispositions.

La parenté suppose, en effet, en droit civil, des liens biologiques ou adoptifs, et non des liens d’affection. La circonstance que les termes utilisés sont ceux de "proches parents" et non seulement ceux de "proches" (terme par exemple utilisé dans le Code de la Santé Publique (CSP) pour autoriser les personnes entretenant des relations affectives stables avec un malade à prendre certaines décisions dans son intérêt lorsqu’il ne peut le faire) confirme cette analyse.

Par ailleurs, la renonciation d’une religieuse à la "vie civile", lorsqu’elle prend la décision d’entrer dans une congrégation, relève de la sphère privée et ne saurait avoir aucune incidence sur sa filiation, qui fait partie de son état civil, et à laquelle nul ne peut renoncer. Au vu de ces éléments, la hiérarchie de la congrégation ne peut donc pas se substituer au plus proche parent pour demander les exhumations de religieuses."

En effet, cette notion, comme le Gouvernement l’énonce, "s’entend au sens de l’état civil sans considération des liens d’autre nature (affectif, spirituel…) qui auraient pu unir les individus de leur vivant". "L’appartenance à une association ou congrégation religieuse ne constituant pas un lien de parenté au sens du droit civil, la faculté pour la congrégation, l’un de ses membres ou son représentant légal de demander la réduction des corps d’un autre membre de la congrégation décédé ne peut être accordée" (Rép. min. n° 13109 : JOAN, 19 mars 2024).

C’est dans ce cadre qu’intervient le décret du 17 janvier 2025 en créant un nouvel art. R. 2213-40-1 au CGCT, selon lequel :
"Lors de la dissolution d’une congrégation religieuse ou de la suppression d’un de ses établissements, de la dissolution d’une association cultuelle ou d’une association régulièrement déclarée, la demande d’exhumation prévue à l’art. R. 2213-40 ainsi que la demande de crémation des restes prévue à l’art. R. 2213-37 peut être présentée, en cas d’impossibilité d’identifier un proche parent, par la personne chargée de l’administration ou de la direction de la congrégation ou de l’association.

Les opérations visées à l’art. R. 2213-40 sont réalisées en présence de cette même personne. Il peut être également procédé de la sorte lorsque la personne morale effectue un acte d’administration ou de disposition à l’égard du bien où se situent les sépultures."

"Dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, l’alinéa précédent est également applicable aux associations inscrites de droit local et aux établissements publics du culte."
Ainsi, dorénavant, au vu de la formulation extrêmement large de cet article qui, en sus de l’hypothèse de la dissolution de la congrégation, vise tous les actes de disposition ou d’administration du bien où se situent les sépultures, permettra aisément l’exhumation de ces défunts.

Une extension aux réductions de corps ?

Nous pensons également que cette nouvelle possibilité s’étend aux opérations de réduction de corps, dès lors qu’au moins pour le juge judiciaire une réduction de corps est une forme d’exhumation. En effet, la pratique française des concessions funéraires, qu’elles soient collectives ou familiales, conduit à ce que, bien souvent, des personnes aient un droit à inhumation dans une sépulture, mais que celle-ci ne puisse plus les accueillir matériellement.

La pratique administrative s’est alors développée de réunir les restes mortels d’un défunt ou même de plusieurs (on parlera alors de réunion de corps), consumés par leur séjour en terre, et de les déposer dans une boîte à ossements ("reliquaire"), qui, tout en demeurant dans le caveau, permet néanmoins l’introduction de nouveaux cercueils.

Si le CGCT continue de ne pas prévoir cette opération, l’Administration la valide néanmoins, tout en ne la démarquant pas explicitement de l’exhumation : "Aucun texte spécifique ne réglemente l’opération de réduction de corps qui consiste à recueillir, à la suite d’une exhumation, les restes mortels dans une boîte à ossements pour la déposer dans la même sépulture."

L’art. R. 361-17 du Code des communes (CGCT, art. R. 2213-42) dispose toutefois que : "Lorsque le cercueil est trouvé en bon état de conservation au moment de l’exhumation, il ne peut être ouvert que s’il s’est écoulé 5 ans après le décès. Lorsque le cercueil est trouvé détérioré, le corps est placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements." (Rép. min. n° 5187, JO Sénat Q 14 avril 1994, p. 873).

Le principe de l’opération de réduction de corps a d’ailleurs été validé par le juge administratif (CE, 11 déc. 1987, n° 72998, Cne Contes c/ Cristini : Rec. CE 1987, p. 413 ; D. 1988, somm. p. 378, obs. F. Moderne et P. Bon). Dans le même arrêt, le Conseil d’État, de surcroît, distingue explicitement la réduction de corps d’une exhumation 

Longtemps, la position des juges judiciaires ne fut pas différente de celle de la juridiction administrative (CA Caen 1re chambre, section civile et commerciale, 19 mai 2005, RG n° 03/03750 ; CA Dijon, Chambre civile, n° 274A, RG n° 08/01394, 17 novembre 2009). Néanmoins, la Cour de cassation (Cour de cassation, 16 juin 2011, pourvoi n° 10-13.58) opéra un revirement et la qualifia d’exhumation.

Il apparaît dès lors que les communes ne peuvent prendre le risque qu’un requérant les attaque devant le juge judiciaire qui leur donnerait tort si elles n’appliquent pas aux réductions de corps le régime juridique des exhumations. Aussi, en dépit de la position plus souple du Conseil d’État, il leur faut s’aligner sur le régime le plus sévère.

Modalités pratiques

- Lieux concernés 
En effet, le texte vise des actes de disposition ou d’administration à l’égard du bien où se situent les sépultures. Cette formule est assez large pour englober les sépultures des cimetières publics, mais également celles des cimetières privés congrégatifs (le juge administratif ne les prohiba qu’en 1846), voire de multiples inhumations opérées dans les propriétés de ces congrégations, et qui, avec le temps, laissent à voir des regroupements qui, s’ils n’obéissent pas au régime juridique du cimetière, en ont tout moins l’apparence…

- Surveillance des opérations
Il est étonnant de constater que le texte oblige le responsable de la congrégation à assister à l’exhumation. En effet, dès lors que cette exhumation s’apparente à celle prévue à la demande de la famille, il n’était pas évident que cette disposition s’impose dès lors que l’art. L. 2213-14 du CGCT ne prévoit plus de surveillance des exhumations administratives par les familles.

- Demande de crémation
Plus logiquement, le responsable de la congrégation sera l’autorité compétente pour demander, à la suite de l’exhumation, la crémation des restes présents dans la sépulture. En effet, l’art. R. 2213-37 du CGCT dispose bien que : "La crémation des restes des corps exhumés est autorisée, à la demande du plus proche parent, par le maire de la commune du lieu d’exhumation." L’assimilation au plus proche parent s’impose donc dans ce cas. Il conviendra pour cette opération que soient sollicitées d’une part une exhumation et d’autre part l’autorisation de crématiser les restes des corps exhumés.

Un nouveau questionnement

On oublierait presque que la rédaction de l’article ne lui donne qu’une valeur supplétive ; en effet, c’est seulement "en cas d’impossibilité d’identifier un proche parent" que le responsable devient l’autorité compétente.

Deux éléments doivent alors retenir notre attention :

Premièrement, le texte ne vise pas le "plus proche parent", mais seulement un proche parent, alors que l’exhumation n’est en principe accordée qu’au plus proche parent. Nous pensons qu’il s’agit d’une maladresse rédactionnelle. In fine, s’il est le seul parent, c’est bien qu’il est le plus proche. Nous trouvons quand même regrettable qu’il n’y ait pas coïncidence des textes.

Deuxièmement, il convient de se poser la question de la preuve de l’inexistence d’un proche parent. Certes, lors des exhumations à la demande de la famille (cf. supra), une simple attestation sur l’honneur suffit (enfin, en principe…). Mais ici, l’intervention du responsable de la congrégation est conditionnée par le texte à l’absence de proche parent, et il nous semble qu’il conviendra de le démontrer, ou du moins d’être capable de prouver que l’on a essayé. Faudra-t-il alors organiser une publicité ? Faudra-t-il que le responsable démontre à la commune qu’en dépit de ses recherches, il n’a rien trouvé ?
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Lille

Résonance n° 212 - Février 2025

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations