Évolutions législatives, jurisprudentielles et doctrinales de mai 2025.

Juge compétent pour apprécier les fautes de la commune dans la gestion du cimetière : pourquoi faire simple ?
Le cas, comme souvent, est inédit.
Une commune procède à la reprise de terrains affectés à diverses concessions. À l’occasion des travaux de reprise, sont malencontreusement détruits par erreur deux monuments funéraires et des dalles de béton recouvrant les concessions perpétuelles appartenant à la famille "D", qui n’étaient pas concernées par les opérations de reprise. Il apparaît que les restes mortels, selon la commune, n’auraient pas été exhumés.
Madame "D ", ayant droit, demande alors à la commune de prendre en charge la réalisation de nouveaux monuments. La négociation achoppe sur la nature, l’importance et le montant des travaux.
La commune a fait établir un devis par un marbrier afin de prendre à sa charge la reconstruction d’une tombe regroupant les 2 détruites, pour un montant de 250 €. Mme "D" a refusé ce devis qui ne portait que sur une seule dalle au lieu de 2, en béton et non en pierre.
La commune a ensuite fait établir un second devis portant sur la fourniture et la pose d’une dalle en pierre, d’une plaque en granit et des gravures sur plaque pour un montant de 970 €.
Mme D s’est opposée également à la reconstruction sur la base de ce 2e devis sollicitant une reconstruction au plus proche des édifices détruits en présentant un devis d’un montant de 21 900 €.
Face au refus de la commune, Mme "D" se tourne vers la justice pour qu’il soit enjoint à la commune de procéder, à sa charge, à la fourniture et à la pose de la dalle détruite sur l’ouvrage funéraire, sur la base du 3e devis établi, et que la commune soit condamnée à lui verser la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral subi à raison des fautes commises tenant à l’inertie fautive de la commune dans la réparation des dommages et à la faute commise s’agissant de l’exhumation des restes des personnes inhumées. S’ensuit alors un débat sur le juge compétent.
Mme "D" a tout d’abord saisi le tribunal judiciaire. Toutefois, par ordonnance, qui n’était plus susceptible d’aucun recours, le tribunal judiciaire de Lyon s’est déclaré incompétent au profit du tribunal administratif de Lyon, au motif que "seuls les monuments funéraires ont fait l’objet d’une destruction par suite d’une erreur, mais il n’y a eu ni reprise des concessions perpétuelles, ni exhumation. Il n’y a donc pas eu d’atteinte au droit réel immobilier découlant de la concession perpétuelle, mais seulement des dommages causés par l’activité de l’autorité administrative aux constructions édifiées sur la concession".
Mme "D" saisit donc le tribunal administratif de Lyon. Las, celui-ci s’estime également incompétent. Dans cette situation, dès lors que la décision du juge judiciaire ne pouvait plus faire l’objet de recours, le tribunal administratif, saisi en dernier, est tenu de renvoyer l’affaire au tribunal des conflits (art. R.771-1 du Code de justice administrative et art. 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles).
La décision du 2e tribunal doit être motivée mais n’est susceptible d’aucun recours même en cassation. Pour motivation, le tribunal administratif de Lyon, après avoir rappelé le régime d’octroi et de reprise des concessions funéraires (art. L. 2223-13 et suivants du CGCT, revient sur les règles qui font la compétence du juge administratif.
Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à une commune en raison des dommages imputés à ses services publics administratifs, est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative.
Cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’art. 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l’autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle.
Dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété.
Au cas soumis, les monuments funéraires litigieux ont été enlevés par erreur, en exécution d’un arrêté municipal prononçant la reprise de terrains affectés à diverses concessions, parmi lesquelles ne figuraient pas les concessions concernées.
Mais, comme a priori la commune n’a pas fait procéder à l’exhumation des restes des personnes inhumées, le tribunal estime que ces concessions funéraires n’ont pas fait l’objet d’une reprise au sens du CGCT, et, comme son homologue judiciaire, que le droit réel immobilier que Mme "D" tire de ces concessions ne s’est pas trouvé éteint par la destruction des monuments funéraires.
En revanche, distinguant le droit réel immobilier qui porte sur les concessions, et le droit de propriété qui porte sur les monuments, le juge administratif estime que la destruction des monuments a nécessairement emporté l’extinction du droit de propriété détenu par Mme "D" sur ces monuments funéraires.
Cette extinction du droit de propriété sur les monuments, fonde, pour le tribunal administratif, la compétence du tribunal judiciaire. Et motive, par conséquent, le renvoi de la question au Tribunal des conflits. Le tribunal fait cependant un sort différent aux demandes indemnitaires de Mme "D". relatives à l’inertie fautive de la commune dans la réparation des dommages et à la faute commise s’agissant de l’exhumation des restes des personnes inhumées.
Ces fautes prétendues sont en lien avec l’exploitation du service public, et n’ont, faut-il comprendre, pas emporté extinction d’un droit de propriété. Le tribunal administratif s’estime donc compétent pour juger les demandes. Ici, le tribunal retient des échanges de devis entre Mme "D" et la commune sur l’ampleur des travaux à prendre en charge, que Mme "D" n’est pas fondée à reprocher à la commune une inertie fautive de nature à engager sa responsabilité.
Et en l’absence de preuve que la commune aurait procédé à l’exhumation des restes des personnes inhumées, aucune faute de nature à engager la responsabilité de la commune n’est établie sur ce point. Mme "D" n’est donc pas fondée à demander la réparation du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.
À retenir
Si, sur le plan intellectuel, les juristes peuvent se satisfaire (et encore) des subtilités qui font la répartition des compétences entre les 2 ordres de juridiction, on peut légitimement s’interroger sur l’utilité de règles qui emportent en pratique distribution devant 2 juges distincts des demandes de réparation de fautes commises au titre d’une seule et même activité de service public, et même ici au titre d’un seul et même acte fautif , et qui obligent la requérante, comme la commune, à devoir s’en remettre à 2 tribunaux différents pour obtenir que l’entier litige soit tranché.
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Me Philippe Nugue
Source : Tribunal administratif, Lyon, 4e chambre, 25 février 2025 – n° 2306007
Résonance n° 215 - Mai 2025
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