Préservation et sauvegarde des anciens cimetières.
Question écrite n° 05682 posée par M. Alain Joyandet (de la Haute-Saône – Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 09/03/2023 – page 1662
M. Alain Joyandet attire l’attention de Mme la ministre de la Culture sur les mesures à mettre en œuvre pour sauvegarder les anciens cimetières et mettre un point d’arrêt à leur destruction. Autrefois, les cimetières faisaient partie intégrante du patrimoine des villages, implantés autour ou à proximité des édifices religieux. Les cimetières sont des lieux d’art, d’histoire et de mémoire : véritables musées à ciel ouvert, réserves d’archives inestimables sculptées ou gravées dans la pierre, le métal et le bois, ils sont aussi des conservatoires des mentalités, des modes architecturales et du goût. Un cimetière peut être un espace muséal au même titre que l’édifice religieux à condition de respecter les monuments funéraires qui sont en harmonie culturelle et historique.
Actuellement, dans un cadre administratif souvent mal interprété et sous la pression de plus en plus forte de sociétés lucratives privées, offrant aux communes des contrats dispendieux d’un diagnostic sur les concessions, la gestion des cimetières anciens relève d’une destruction pure et simple d’un patrimoine séculaire. L’ignorance, la crainte d’une pénurie de concessions, l’idée de réhabiliter un carré en détruisant les vieilles tombes sont, au quotidien, tout l’opposé d’une pratique respectueuse des défunts et au-delà d’une politique de protection du patrimoine. La plupart du temps, les monuments anciens sont démolis sur place pour être remplacés par des édifices uniformisés, dénués de toute originalité, défigurant de manière durable le patrimoine architectural de nos villes et de nos villages.
Abandons, dégradations naturelles ou volontaires, fin des concessions à durée limitée : chaque année, des centaines de milliers de tombes anciennes disparaissent des cimetières tandis que les ossements sont jetés pêle-mêle dans des poubelles enterrées qualifiées d’ossuaires par les entreprises qui les conçoivent. Ces destructions volontaires et systématiques représentent à la fois une perte patrimoniale inestimable et une disparition irrémédiable d’informations. En effaçant toute trace, la pierre tombale emporte avec elle une foule d’informations utiles aux généalogistes, aux chercheurs de racines. Un cimetière proche d’un édifice religieux ancien constitue cependant un ensemble architectural et patrimonial potentiel. C’est aussi un site archéologique et à ce titre bénéficiant d’une protection réglementaire, riche d’enseignement pour les générations futures.
Chez nos voisins européens, les cimetières anciens sont préservés, valorisés et prennent part à la patrimonialisation de l’espace urbain et au développement du tourisme. En France, en dehors de quelques rares tombes classées désormais noyées dans un agglomérat de monuments modernes, les cimetières anciens sont systématiquement détruits, rayés de la carte. Aussi, il lui demande de bien vouloir clarifier la législation en vigueur notamment lorsque les cimetières sont situés dans le périmètre de sites et/ou de monuments inscrits ou classés. Il lui demande également de clarifier la position du législateur par rapport au site lui-même, sachant qu’une nécropole constitue de fait un site archéologique à part entière.
De récentes opérations archéologiques démontrent, s’il en est, un tel aspect. Il lui demande enfin quelles sont les mesures qu’elle compte prendre pour stopper ces destructions massives et pour sauvegarder le patrimoine funéraire en dehors de rares prescriptions ciblées et fortement contraintes déjà existantes.
Réponse de Mme la ministre de la Culture publiée dans le JO Sénat du 25/05/2023 – page 3377
L’architecture funéraire représente 5 % des immeubles protégés au titre des monuments historiques, qu’il s’agisse des quelque 400 cimetières ou parties de cimetières, tels que la partie romantique du cimetière du Père-Lachaise ou l’intégralité du cimetière de Picpus, propriété privée, à Paris, ou des nombreuses tombes ou mausolées isolés, ou le plus souvent situés au sein de cimetières municipaux. La jurisprudence administrative a eu l’occasion de rappeler qu’un monument funéraire constitue un immeuble par nature (Conseil d’État, 2 juillet 2021). Les travaux menés sur les monuments funéraires protégés au titre des monuments historiques sont donc soumis aux mêmes autorisations administratives que sur n’importe quel immeuble protégé à ce titre (permis de construire après accord du préfet de région pour les monuments inscrits, autorisation du préfet de région pour les monuments classés).
Les travaux envisagés sur des monuments funéraires situés en abords de monuments protégés au titre des monuments historiques (autre monument funéraire, église) ou dans un site patrimonial remarquable (SPR) nécessitent une décision du préfet de département, après accord de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF). Par ailleurs, des aménagements au sein d’un cimetière peuvent occasionner exceptionnellement des opérations de recherche archéologiques en cas d’atteinte au patrimoine (présence de structures et mobilier de nécropoles, lieux de culte ou d’occupation notamment des périodes antique, médiévale ou moderne…).
À l’exception de ces cas de protection juridique au titre du Code du patrimoine, somme toute assez rares, les concessionnaires bénéficient d’une grande liberté. Ces travaux ne sont en effet pas soumis à permis de construire ou à une autre forme d’autorisation de travaux. Par ailleurs, si, aux termes des dispositions de l’art. L. 2223-12-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, le maire peut fixer des dimensions maximales pour les monuments érigés sur les fosses, la jurisprudence retient qu’il ne peut soumettre à autorisation un projet de construction de tombe ou de caveau à des fins esthétiques sans commettre un excès de pouvoir.
À l’expiration de la concession ou au constat de son abandon, non suivi de manifestation des ayants droit, les éléments funéraires deviennent la propriété de la commune, qui est donc libre d’en disposer, hormis les parties de cimetière ou les monuments funéraires protégés au titre des monuments historiques, des abords ou des SPR. La conservation et la mise en valeur des cimetières ou des tombes non protégées au titre des monuments historiques qui présentent un intérêt patrimonial doivent donc concilier les mesures prises par les communes, du fait de la limitation dans le temps des concessions funéraires, et la volonté des défunts et de leurs familles d’ériger les monuments funéraires de leur choix.
Seules des mesures incitatives peuvent alors être envisagées, comme le dispositif mis en place depuis de longues années par la Ville de Lyon, qui vend aux enchères des monuments funéraires de concessions arrivées à expiration dans ses trois cimetières "historiques". Certains de ces monuments font l’objet d’une obligation de conservation et de restauration définie par la Ville de Lyon. Certains d’entre eux sont en outre éligibles à une labellisation par la Fondation du patrimoine, attachant un avantage fiscal à leur restauration. Ainsi, si l’identification des précédents concessionnaires est supprimée et si leurs restes sont transférés dans l’ossuaire municipal, ce patrimoine funéraire n’est pas détruit, et peut continuer d’orner le cimetière.
Les communes peuvent aussi choisir de conserver et d’entretenir à leurs frais, ou avec l’aide d’associations, tel le Souvenir français, les tombes ou les seuls monuments funéraires de leurs citoyens illustres ou morts pour la France. L’adoption d’un plan de gestion du cimetière, en lien, le cas échéant, avec l’ABF, une association patrimoniale ou le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement du département, est aussi un moyen d’assurer, dans une certaine mesure, la préservation de son caractère patrimonial.
Source : Journal du Sénat
Résonance n° 193 - Juillet 2023
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