Les thanatopracteurs français - mais peut-on parler de "thanatopracteurs français", alors que ce néologisme officialisé en 1986 n’a cours que dans notre pays - se partagent entre plusieurs courants. Paul Clerc, grand théoricien et fondateur de deux écoles qui comptent parmi les plus importantes de l’histoire de la thanatopraxie : l’IFSSM (reprise ensuite par le regretté Jean-Pierre Comtet et qui ne lui a malheureusement pas survécu) et le CEPENT (aujourd’hui Accent Formation), défendait la vision du thanatopracteur artisan. Il a même été le seul maître artisan de la profession.
Claire Sarazin.
Avant de voir si nous sommes oui ou non des artisans, j’aimerais d’abord soulever une question qui me paraît essentielle : sommes-nous vraiment des thanatopracteurs ? Il se trouve que, partout ailleurs dans le monde, nos confrères, nos semblables, sont nommés "embaumeurs", et ceci à juste titre. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un rapide coup d’œil sur la définition que donne le Larousse de ce terme. Embaumer : traiter un cadavre par des substances destinées à le conserver. Il s’agit bien là de notre travail.
Voyons à présent si nous sommes des thanatopracteurs. Thanatopracteur, de Thanatos, le dieu grec de la mort, et de praxis, la pratique, ou de praxein, opérer dans le sens de pratiquer. La pratique de la mort, donc. De mon point de vue, ce terme désigne une personne qui donne la mort et non une personne qui prend soin des morts, et n’est donc pas correct du point de vue étymologique.
Depuis ses débuts en France, la thanatopraxie peine à trouver sa place. Une partie des réponses à nos questionnements existentiels se trouve peut-être tout simplement dans notre dénomination. Non, notre travail ne consiste pas à maquiller les morts, non, nous ne pratiquons pas des "soins d’hygiène et de présentation", non, nous ne sommes pas non plus des chirurgiens post-mortem, non, bien sûr que non… Des embaumeurs, voilà ce que nous sommes et ce que nous faisons ; énoncé de cette manière, tout est clair.
Leur parler d’embaumement épouvanterait-il réellement les familles ? Il me semble qu’il serait bien plus simple de les rassurer en quelques mots sur le fait que la méthodologie employée de nos jours n’a aucun rapport avec celle des momificateurs de l’Égypte antique (dont il faudrait également cesser une fois pour toutes de se réclamer), que nous utilisons des fluides de conservation et que l’intégrité du corps est préservée, voire restituée le cas échéant ; plutôt que de se perdre dans des explications fumeuses en tentant à tout prix de minimiser l’acte, en allant parfois jusqu’à la tromperie.
Ce point étant éclairci, nous, embaumeurs, sommes-nous des artisans ? Il est très compliqué de trouver une définition claire du mot "artisan", j’ai donc fait une synthèse de tout ce que j’ai pu trouver. L’artisan maîtrise une technique et un savoir-faire, jusque-là, nous pouvons nous y retrouver… C’est ensuite que ça se gâte : "La technique est l’ensemble des outils et des moyens qu’il faut maîtriser pour travailler un matériau."
Certes, nous ne sommes pas des soignants, nous ne pouvons pas assimiler les défunts dont nous nous occupons à des "patients", mais il s’agit tout de même de corps humains, et non de matériaux. Et nous utilisons des instruments, et non des outils. En plus du régime des artisans, auquel les thanatopracteurs indépendants sont assujettis et qui les oblige à créer et gérer des sociétés avec toutes les complications et les désavantages que cela implique, en comparaison avec une profession libérale, je pense que les embaumeurs ne peuvent pas être classés parmi les artisans.
L’embaumement n’est pas de l’artisanat, mais pourrait-il être considéré comme un art ? Si l’on se réfère encore une fois au Larousse : "L’art est l’ensemble des procédés, des connaissances et des règles intéressant l’exercice d’une activité ou d’une action quelconque." Donc, dans cette acception, oui. L’embaumement est un art, mais l’embaumeur est-il un artiste ? Pas vraiment, puisque nous ne créons pas d’œuvre, mais il existe cependant indéniablement une dimension artistique dans la reconstitution faciale, d’ailleurs parfois appelée "art restauratif".
Enfin, l’embaumement est-il une science ? Là, le dictionnaire est parfaitement clair : "Une science est un ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d’objets ou de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales."
La thanatopraxie, puisque c’est ainsi qu’il faut l’appeler bien qu’il s’agisse sans aucun doute possible d’embaumement, est donc à la fois un art et une science. À ce titre, elle mérite d’être enfin reconnue et de trouver sa juste place.
Claire Sarazin
Thanatopracteur et formatrice en thanatopraxie
Résonance n°126 - Janvier 2017
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