Chronique d’un thanatopracteur en visite à Moscou

Lorsque l’on reçoit une invitation pour être conférencier au salon funéraire de Moscou, on ne peut qu’accepter. En effet, pour certains, les momies égyptiennes sont les premières images qui représentent l’embaumement. Pour d’autres, ce sont les États-Unis, pionniers de l’embaumement moderne, qui évoquent les premières représentations.

Pour ma part, la Russie, et plus particulièrement Moscou, avec son somptueux Mausolée de Lénine est le symbole de l’embaumement et de toute la fascination que j’ai pour mon métier. Imaginez que la dépouille de l’ancien dirigeant communiste y est exposée depuis presque un siècle, chose rendue possible par les techniques d’embaumement.

De fait, la Russie possède une grande tradition de l’embaumement. Lénine n’est pas le seul dirigeant à avoir été embaumé. Ils l’ont presque tous été, exposés durant plusieurs années. L’histoire de la thanatopraxie en ex-Union Soviétique est passionnante. D’ailleurs, une de mes premières lectures durant mes études a été "À l’ombre du Mausolée", de Ilya Zbarsky. Ce livre décrit la folle aventure de l’embaumement de la dépouille de Lénine.

Cette escapade russe, en octobre de cette année, aura été une première expérience pour moi. Moscou en hiver semble assez rude mais les températures clémentes de ce début de saison ont permis un voyage très agréable.

Tout d’abord, j’ai découvert la "place Rouge" sous son meilleur jour, telle une carte postale, avec ses couleurs flamboyantes mises en beauté par les rayons du soleil. Cette place magistrale, d’une beauté à couper le souffle, amenant à ce qui, pour moi, figurait le "Graal" : le Mausolée de Lénine. Ce n’est pas peu dire, puisque j’attendais ce moment depuis près de vingt ans.

Le contrôle de sécurité, ainsi que le briefing à l’entrée, furent à la hauteur et j’entrai dans cette impressionnante bâtisse en marbre avec quelques préceptes clairs et précis à respecter : "pas de photo, pas de bavardage, pas d’arrêt devant la dépouille". Après ces brèves instructions, le flot de touristes et d’admirateurs du régime communiste m’emporta dans l’antre de Lénine, qui se fit de plus en plus sombre au fur et à mesure que j’atteignais mon but.

Sans doute la gratuité de la visite contribue-t-elle au succès impressionnant qu’elle suscite. L’importance et le respect donnés à ce grand homme transpirent en ces murs. Au détour d’un escalier, la pièce où repose le dirigeant se dévoila. Il est exposé dans sa chasse, tel un saint, impassible depuis près de 97 ans, similaire en tout point aux photos que l’on trouve sur le Web.

En tant que professionnel de la conservation, plusieurs questions m’effleurèrent l’esprit à ce moment : "Est-ce bien lui ou un masque de cire ? Voire un mannequin en silicone ?". Cela n’a, en réalité, que peu d’importance. Il s’agit avant tout d’une symbolique, au-delà de toute considération, propre à chacun. Ainsi, pour moi, il s’agit d’une incroyable histoire d’embaumement ; pour d’autres, du symbole du communisme d’un autre temps. 

Ensuite, cette escapade touristique effectuée, il fut temps pour moi de me rendre sur le lieu de ma venue officielle, à savoir le salon funéraire "Necropolis Expo". L’exposition est située dans le quartier des affaires de Moscou, entre de gigantesques tours en construction.

J’y retrouvai mes amis russes et ukrainiens, rencontrés aux détours de divers salons européens. En effet, il y a une réelle volonté des organisateurs russes de montrer au monde entier leur existence et leur savoir-faire, raison pour laquelle ils sillonnent l’Europe tout entière afin de motiver à la visite de leur salon.

Comme, je l’ai déjà dit plus haut, la Russie est riche d’une grande tradition funéraire qui vaut le détour. De même, le salon est de belle taille, regroupant deux cents exposants, deux mille visiteurs et englobant tous les domaines du milieu funéraire depuis la vente de couvertures, vêtements pour le défunt, véhicules funéraires modernes en passant par les monuments et le matériel pour tailler les pierres.

Le salon, initialement organisé durant trois jours, se vit amputé de son dernier jour pour cause de "lock down" (confinement). Avec grand professionnalisme, les organisateurs parvinrent à compresser le programme, bien rempli, en deux jours.

Ce programme fut remarquable, à bien des égards, notamment par la diversité des activités proposées. Tout au long du salon, se succédèrent de nombreuses conférences (thanatopraxie, restauration faciale par mes soins, techniques de ventes, etc.), épreuves professionnelles, remises de prix, projections de films funéraires, démonstrations de fleuristerie…

Le salon "Necropolis Expo" se fit un point d’honneur de proposer des choses que l’on ne voit pas ailleurs, telles des présentations de vêtements pour défunts portés par des mannequins ukrainiens reposants dans des cercueils en procession funèbre (unique en son genre) accompagnés par des pleureuses se donnant corps et âme à leur rôle.

Quel ne fut pas mon étonnement de voir le professionnalisme du portage à l’épaule par six, quatre ou deux porteurs, les DJ sets théâtraux et les divers concours (retouches photographiques, créations florales, etc.). Je retiendrai particulièrement l’impressionnant concours de préparation de défunts dont j’ai eu l’honneur d’être juge lors duquel les huit participants durent laver, habiller et maquiller des défunts figurés par des mannequins de silicone.

De plus, en marge du salon, l’embaumeur renommé Dimitri Evsikov dispensa, dans la morgue d’un grand hôpital moscovite, une considérable "master class" de trois jours, dédiée à la thanatopraxie et notamment des techniques de perfectionnement en airbrush.

 

En conclusion, ce salon condensé en deux jours est un salon funéraire "vivant" exceptionnel par la richesse du programme qu’il propose et qui vaut la peine de faire le détour si vous vous rendez à Moscou dans le courant du mois d’octobre.