Chaque formateur, chaque maître de stage n’a de cesse de répéter à ses étudiants : "Tout corps doit être considéré comme potentiellement pathogène". Et souvent, celui ou celle qui entend cette maxime demande pourquoi ? Si en effet, pour cette personne, certains défunts sont porteurs de maladies, de virus, de bactéries, surtout que dorénavant, en plus des BMR (Bactéries Multirésistantes aux antibiotiques), arrivent les BHRe (Bactéries Hautement Résistantes aux antibiotiques émergentes), elle comprend, mais les autres ? Quid du défunt décédé de son grand âge, par exemple ?
Si dans certains cas le thanatopracteur connaît l’agent causal du décès – accident, infarctus, peu importe –, il ne sait pas forcément s’il était porteur d’une autre pathologie, alors, dans le doute, protégez-vous. Et pas seulement des cadavres… Car souvent, pour beaucoup d’intervenants, les Équipements de Protection Individuelle (EPI) ne sont là que pour protéger des agents pathogènes, alors qu’ils doivent être aussi portés pour le risque chimique.
Chaque EPI est là pour protéger d’un maximum de risques, afin d’éviter, certes les maladies, mais aussi les intoxications chroniques ou aiguës. De plus, porter des EPI, c’est se protéger soi, mais aussi protéger les autres…
En 1848, dans le service du docteur Klein, œuvrait un médecin hongrois du nom de Semmelweis. Ce bon docteur se demandait pourquoi, dans son service, beaucoup de femmes étaient atteintes de fièvres puerpérales lors de l’accouchement, le taux de mortalité était alors de 40 %. Alors que, dans le service voisin, celui du docteur Bracht, ce n’étaient que 3 % des femmes qui décédaient de ce mal… les locaux étaient pratiquement les mêmes, la seule différence, c’était que, chez Klein, on enseignait aux internes, chez Bracht, aux sages-femmes. La clé de l’énigme était là. Les internes, chaque matin, autopsiaient les femmes décédées dans la nuit précédente. À l’époque, point d’EPI, même pas de gants. On disséquait à mains nues, et il était connu de tout le monde que les médecins avaient toujours les mains propres, donc nul besoin de les laver.
Les étudiants contaminaient eux-mêmes les patientes et il fut bien difficile pour ce pauvre docteur Semmelweis de faire passer le mot. Le pauvre homme fut même renvoyé par Klein qui trouvait que sa folie de demander de se laver les mains était un manque de respect. Semmelweis termina sa vie dans un asile. Si son histoire est connue, c’est grâce à un jeune étudiant qui lui consacra sa thèse, il se nommait Louis Destouches, passé à la postérité sous le nom de Louis-Ferdinand Céline.
Pas besoin de remonter plus loin dans l’histoire pour prouver que porter ses EPI, c’est aussi prendre soin des autres. Avant d’entrer plus dans les EPI du thanatopracteur, prenons en compte que la pandémie de la Covid-19 nous a aussi prouvé l’efficacité de ces équipements – et d’une bonne hygiène – lorsque le simple masque FFP2 était obligatoire et que chacun avait pris l’habitude du gel hydroalcoolique, ce furent les périodes où il n’y a pas eu d’épidémie de gastro-entérite par exemple. Pour se protéger, le thanatopracteur doit porter plusieurs types d’EPI.
Le masque
Le rôle du masque comme EPI dans notre profession est avant tout de prévenir des risques chimiques. Le formol est un toxique qui coche les 10 classes de dangers pour la santé dans le CLP (Classification Labelling Packaging) :
• Toxicité aiguë ;
• Corrosion cutanée/irritation cutanée ;
• Lésions oculaires graves/irritation oculaire ;
• Sensibilisation respiratoire ou cutanée ;
• Mutagénicité sur les cellules germinales ;
• Cancérogénicité ;
• Toxicité pour la reproduction ;
• Toxicité spécifique pour certains organes cibles-exposition unique ;
• Toxicité spécifique pour certains organes cibles-exposition répétée ;
• Danger par aspiration.
Il a aussi un côté confortable nous permettant de ne pas sentir certaines odeurs peu agréables…
S’il est vrai que, dans une salle de soins de conservation répondant à toutes les normes, un simple masque FFP2 – qui offre une protection filtrante contre les virus, les allergènes, la pollution, les poussières de béton, ciment et plâtre – peut suffire, il est préférable d’investir dans une véritable protection utile en tout temps et en tous lieux, un masque à cartouches. Il faut, en ce cas, utiliser des cartouches de la catégorie B, couleur d’identification grise : elle apporte une protection contre les gaz et les vapeurs inorganiques (acides [cyanhydrique, nitrique, sulfhydrique], aminopropane, brome, bromure d’hydrogène, chlore, cyanures, dioxyde de chlore, fluor, formol, hydrogène arsénié, isocyanates, nitroglycérine, sulfure de carbone). Le mieux est un filtre combiné, anti-gaz et antiparticules, tel le ABEKP3 (filtres combiné avec filtration anti-gaz types A, B, E et K et filtration particule P, tous de niveau 3).
Il existe deux types de normes pour ces masques : EN 136 - appareils de protection respiratoire - masque complet, et EN 140 - appareils de protection respiratoire - demi-masque et quart de masque.
Le problème avec les masques à cartouches en usage à long terme, c’est la respiration qui peut être compliquée, en effet, ils "forcent " sur le cœur et les poumons. Pour pallier cela, il existe des masques à ventilation assistée de faible encombrement, comme le Cleanspace© ; à chaque respiration, un petit moteur s’enclenche, l’utilisateur n’a pas besoin d’inspirer et d’expirer fortement, et leur batterie est de longue durée. De plus, si dans le masque classique à cartouches tout le poids est sur le devant, et pèse à la fin de la journée, pour le Cleanspace©, celui-ci est réparti à l’arrière, sur la nuque, ce qui est d’un confort appréciable.
Les gants
La première chose à retenir, car on a souvent tendance à l’oublier, c’est qu’avant d’enfiler une paire de gants, on doit se laver précautionneusement les mains. En effet, avoir touché n’importe quel objet laisse des traces bactériennes, mettre les gants sans ce passage au savon, c’est créer un bouillon de culture.
Le latex, pour cause d’une moindre résistance et étant un allergène, est de plus en plus délaissé pour le nitrile, plus robuste. Mais là aussi, il faut faire attention, avant de prendre le moins cher, dans une même matière de gants, il existe des normes. Il faut prendre au minimum :
• EN 455 - gants médicaux à usage unique : classe I : gants d’examen et de soins non stériles ;
• EN 374-1 - gants de protection contre les produits chimiques dangereux et les micro-organismes - type B : soude caustique 40 %, peroxyde d’hydrogène 30 %, formaldéhyde 37 % ;
• EN 374-2 - test de pénétration - le gant est étanche ;
• EN 16523-1 - test de perméation chimique (qui définit le temps de passage) ;
• EN 374-4 - test de dégradation chimique ;
• EN 374-5 - gant de protection contre les micro-organismes et les virus : protection contre les micro-organismes (champignons et bactéries), protection contre les virus (selon le test ISO 16604 – méthode B).
Il est recommandé de changer de paires de gants toutes les heures, le port de bijoux et d’ongles longs est proscrit, il risque de rompre la barrière de nitrile.
La visière ou les lunettes de protection
La projection de liquides physiologiques ou de fluide d’injection peut être source de risques pathogènes ou de brûlures chimiques, le thanatopracteur doit donc protéger ses yeux par des lunettes ou une visière. Elles doivent répondre au minimum à la norme EN 166-2001 : protection de l’œil – spécificités. On préférera des lunettes, ou une visière, avec un bon retour sur les côtés, afin d’éviter les projections latérales. Certains fabricants les proposent même à la vue de l’utilisateur, avec des traitements antibuée…
La charlotte
Elle est prévue pour éviter les projections, mais il faut savoir aussi que les cheveux ont tendance à retenir les odeurs, surtout lorsque la chevelure est abondante, le port d’une charlotte permet que les effluves se fixent moins.
La blouse, surblouse ou combinaison :
Longtemps, le thanatopracteur a officié avec une simple blouse de coton. Il faut oublier ce temps révolu, car ce type de vêtements professionnels n’offre aucune protection. Non étanche, à la moindre projection, la tenue portée en dessous sera souillée. Et comme ce genre d’équipement n’est pas nettoyé après chaque usage, au fil de la journée, de la semaine, on porte une blouse contaminée. À quoi bon avoir une hygiène parfaite, porter ses autres EPI, si un seul n’offre pas la protection attendue ?
Pour les adeptes de la blouse en coton, du sarrau – la célèbre tenue de bloc –, il est possible de porter par-dessus un tablier jetable. Celui-ci doit en ce cas répondre à la norme EN 14126 – Vêtement de protection contre les agents infectieux (indiqués par la lettre "B").
La protection la plus efficace, dans les vêtements, est bien sûr la combinaison à usage unique, elle offre une protection des pieds jusqu’à la tête, puisque étant munie d’une capuche. Là aussi, certaines normes sont à respecter, la combinaison en tissu non tissé utilisée dans les travaux de bricolage est à proscrire, n’étant pas étanche et offrant peu de résistance.
Le choix le plus courant du thanatopracteur se porte sur les combinaisons de protection chimique, celles-ci étant conçues en non-tissé polypropylène enduit, ce qui les rend étanches, mais surtout, elles sont légères et respirantes, ce qui rend le travail moins contraignant, contrairement aux combinaisons jetables en polyéthylène, certes moins onéreuses, mais qui sont de véritables tenues de sudation…
Il n’est pas nécessaire d’avoir celles certifiées "tenue de laboratoire" ; si elles répondent à la norme EN 14126 - vêtement de protection contre les agents infectieux (indiqués par la lettre "B") -, c’est grandement suffisant.
Les chaussures
Pour l’instant, le législateur n’oblige pas le thanatopracteur à travailler avec des chaussures de sécurité. Seul le port de sur-chaussures est recommandé afin de ne pas souiller ses souliers et de ne pas contaminer chaque lieu où l’on va déposer ses pas. Mais ceux-ci sont de faibles résistances, et souvent, avant même la moitié de l’acte thanatopraxique, elles sont déchirées sous la semelle.
Sans vouloir être devin, je pense que l’obligation du port des chaussures de sécurité pour le praticien ne va pas tarder. De plus en plus, on œuvre du côté de la santé du salarié, ce qui n’est pas un mal. L’amiante, pour ne citer qu’elle, a servi de leçon, on le voit pour les EPI, mais aussi pour la prévention des Troubles Musculosquelettiques, les fameux TMS.
Plus un travailleur est malade, blessé, plus il coûte cher à la sécurité sociale, mais il cause aussi des troubles au sein de la société qui l’emploie, quand le thanatopracteur n’est pas tout simplement à son compte. Et dans une salle de préparation, on nettoie souvent à grandes eaux, il peut y avoir des liquides de renversés, les sols sont donc parfois glissants, les chaussures de sécurité sont prévues pour être antidérapantes.
On y trouve aussi des chariots sur roues qui peuvent être manipulés de mauvaise façon et venir écraser un gros orteil. Pas de souci de cet acabit avec une chaussure qui dispose d’une coque de protection. Nous sommes maintenant loin des chaussures de sécurité inconfortables, lourdes, qui faisaient transpirer ; dorénavant, il existe des modèles légers, avec coque de protection, anti-perforation, antiglisse, traités anti-bactéries et anti-odeurs, et avec une certaine esthétique.
Puis, souvent, lorsque le thanatopracteur a terminé sa journée de travail, ou lorsqu’il rentre déjeuner, que ce soit chez lui ou dans un restaurant, il a retiré tous ses EPI, s’est lavé consciencieusement les mains, mais il porte encore les chaussures avec lesquelles il a officié. Semant tout au long de son parcours les miasmes qui l’entouraient dans la salle de soins de conservation. Sur tout le sol de son appartement, là même où joue son enfant à quatre pattes, portant le moindre de ses jouets à la bouche…
Conclusion
Les EPI sont la carapace du thanatopracteur, ils sont là pour le protéger tout au long de sa carrière. Ils sont obligatoirement fournis par l’employeur et tous ceux qui sont à usage unique doivent être traités par la filière des Déchets d’Activités de Soins à Risques Infectieux (DASRI), les autres – les lunettes, le masque, les chaussures – doivent être nettoyés, puis désinfectés régulièrement.
Lorsque j’ai commencé à travailler, il y a maintenant plus de trente ans, nous ne portions que de simples blouses et des gants. Dorénavant, le thanatopracteur revêt un équipement qui nous a semblé fastidieux au début, mais qui nous maintient en meilleure santé. Ces EPI prennent soin de nous, mais aussi de toutes celles et tous ceux que nous côtoyons à longueur de journée. Être intransigeant avec soi-même, avec ses collègues, ses salariés sur le port des EPI, c’est faire acte de prophylaxie et de savoir-vivre.
Sébastien Mousse
Éditeur – Formateur AFITT
Résonance n° 183 - Septembre 2022
Résonance n° 183 - Septembre 2022
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