Bien que le décret n° 2021-1849, entré en vigueur le 30 décembre 2021, soit venu modifier les valeurs maximales d’exposition au formaldéhyde, les professionnels funéraires bénéficient d’une période transitoire jusqu’en juillet 2024. Ceci étant, sur le terrain, beaucoup restent dans le flou quant aux mesures à prendre et, surtout, quant aux solutions qui s’offrent à eux, tant d’un point de vue équipement et aménagement d’infrastructures, que d’un point de vue financement. Didier Belluard, ingénieur d’État - Génie Chimique ENSCL et président directeur général de la société Isofroid, fait "l’état des lieux"… Explications !
Résonance : Monsieur Belluard, il semblerait que beaucoup d’interrogations subsistent au sujet de la nouvelle réglementation concernant les risques liés à l’exposition des thanatopracteurs au formaldéhyde dans les salles techniques et autres laboratoires d’établissements funéraires ?
Didier Belluard : Effectivement… mais il me semble avant tout pertinent de repréciser ce que dit le nouveau décret sur le contrôle de l’exposition au formaldéhyde. Jusqu’en décembre 2021, deux Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle (VLEP) indicatives françaises servaient de référence pour la prévention :
• Une VLEP indicative sur 8 heures de 0,5 ppm, ou 0,62 mg/m3;
• Une VLEP indicative sur 15 minutes de 1 ppm, ou 1,23 mg/m3.
Le décret n° 2021-1849 a modifié l’art. R. 4412-149 du Code du travail, en y fixant deux VLEP réglementaires contraignantes pour le formaldéhyde, en application de la directive (UE) 2019/983 :
• 0,3 ppm, soit 0,37 mg/m3 pour la VLEP 8 heures,
• 0,6 ppm, soit 0,74 mg/m3 pour la VLEP 15 min.
Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 30 décembre 2021. Pour autant, une période transitoire est prévue jusqu’au 11 juillet 2024, pendant laquelle la VLEP 8 heures de 0,5 ppm (soit 0,62 mg/m3) sera conservée spécifiquement dans les secteurs de la santé, des pompes funèbres et de la thanatopraxie.
R : Objectivement, quelles sont les mesures prioritaires à mettre en place, par le responsable d’établissement, au regard de ce décret, afin de protéger son personnel ?
R : Objectivement, quelles sont les mesures prioritaires à mettre en place, par le responsable d’établissement, au regard de ce décret, afin de protéger son personnel ?
DB : Les mesures de prévention à mettre en place sont décrites par l’INRS sur son site(1).
La démarche de prévention des risques chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) doit être mise en œuvre pour éviter l’exposition des salariés au formaldéhyde. La priorité doit être donnée à la suppression ou à la substitution d’une procédure à risque ou de l’usage d’un produit dangereux. En cas d’impossibilité, le travail en système clos doit être privilégié, ou, à défaut, les procédures impliquant l’usage du formaldéhyde doivent bénéficier d’un dispositif de captage à la source efficace.
En clair, on doit privilégier l’utilisation en système clos avec le captage à la source des émissions. En effet, en cas d’impossibilité technique de suppression du risque ou de substitution de produit, des moyens de protection collective doivent être mis en œuvre pour réduire le risque au niveau le plus bas possible. Ainsi, l’installation d’un système de ventilation adapté doit permettre le captage localisé des gaz et aérosols émis lors de la procédure. Ces mesures doivent être planifiées et mises en œuvre en cohérence avec des mesures d’ordre organisationnel.
Il va de soi que, en complément des mesures de protection collective, les Équipements de Protection Individuelle (EPI) cutanée doivent être portés par les opérateurs si un risque de projection ou de contact a été mis en évidence. Les EPI sont définis en fonction des risques d’exposition identifiés. Pour la protection des mains, les gants épais en caoutchouc nitrile, en polymère fluoré ou en matériaux multicouches offrent une bonne résistance au formaldéhyde. Le port de gants fins à usage unique en caoutchouc nitrile peut être toléré pour les opérations demandant de la dextérité, à condition de les changer très régulièrement et dès qu’ils sont souillés.
Pour la protection du corps, le choix se porte sur des vêtements de type 3 ou 3PB, dès lors qu’il existe un risque de contact direct avec des solutions contenant du formaldéhyde; et sur des vêtements de type 4, s’il existe un risque d’exposition à des aérosols contenant du formaldéhyde. Dans tous les cas, il est essentiel de vérifier que la notice d’utilisation de ces vêtements confirme leur résistance à cette substance.
Ensuite, les chaussures de protection étanches ou les surchaussures de type 3PB à semelle antidérapante, dont la notice d’utilisation confirme la résistance aux solutions de formaldéhyde, sont préconisées pour la protection des pieds.
Enfin, pour les yeux et le visage, le choix peut se porter sur un écran facial ou des lunettes-masques de protection associées à un masque chirurgical antiprojection, ces choix doivent bien entendu être fait en cohérence avec les résultats de l’évaluation des risques. Et pour cause, car toute démarche de prévention associée à l›usage de formaldéhyde débute par une évaluation des risques.
Celle-ci doit notamment s’intéresser :
• Aux volumes et concentrations des solutions de formaldéhyde présentes dans les différents locaux de l’entreprise;
• Aux sources d’émission de formaldéhyde (résines en cours de polymérisation, tissus organiques traités, déchets d’activité, etc.);
• Aux conditions d’utilisation et de stockage des solutions de formaldéhyde et des sources d’émission de formaldéhyde;
• Aux conditions et à la fréquence d’exposition.
R : Comment peut-on contrôler et s’assurer de l’efficacité des mesures de prévention mises en œuvre sur site ?
DB : Le formaldéhyde étant gazeux à température ambiante, la mesure de l’exposition atmosphérique constitue un moyen adapté pour contrôler l’efficacité des mesures de prévention mises en œuvre. L’élaboration d’une stratégie de prélèvement basée sur l’observation des différents postes de travail, de même que la sélection des méthodes de prélèvement et d’analyse appropriées, concourent à l’obtention de résultats fiables et représentatifs de l’exposition des salariés ou intervenants.
À titre indicatif, de nombreuses mesures ont été réalisées entre 1987 et 2022 quant à l’exposition du personnel au formaldéhyde dans les métiers du secteur funéraire (cf rapport INRS(1)).
Il en ressort que, sur 72 analyses, au total :
• 21 % du personnel sont exposés au formol plus de 6 heures par jour,
• 72 % de 2 à 6 heures/jour,
• 7 % de 30 à 120 min/jour.
Pour les 6 résultats en thanatopraxie stricto sensu :
• 5 étaient exposées au formol de 2 à 6 heures/jour,
• 1 à plus de 6 heures par jour.
Le centile 95 des résultats indique que 5 % des valeurs trouvées sont supérieures à 0,65 mg/m3, ce qui est bien au-dessus de la VLEP 8 heures de 0,37 mg/m3. La moyenne arithmétique quelle que soit la durée de prélèvement est de 0,31 mg/m3, soit juste en dessous de la VLEP 8 heures, le maxi étant de 0,65 et le mini inférieur à 0,01.
R : Inévitablement, les responsables d’établissements de pompes funèbres exploitant une chambre funéraire souhaiteront réaliser leur propre évaluation. Comment doivent-ils s’y prendre ?
DB : Pour ce faire, ils peuvent se rapprocher soit de leur Caisse Régionale d’Assurance Maladie (CRAM), soit de leur Inspection du travail… ces deux organismes leur donneront tous les renseignements nécessaires concernant les méthodes de prélèvement et d’analyse appropriées concourant à l’obtention de résultats représentatifs de l’exposition. Ils pourront également procéder à une première évaluation, par leurs propres moyens, en utilisant un badge de "Dosage formaldéhyde" proposé par Isofroid. Cela leur donnera une première tendance.
Ce badge de "Dosage formaldéhyde" permet de déterminer le niveau d’exposition au formaldéhyde des thanatopracteurs durant une journée de travail. Cette mesure permettra ensuite de vérifier que les normes d’exposition au formaldéhyde, fixées par la réglementation, sont bien respectées. Elle permet également de s’assurer que les bonnes pratiques sont appliquées, et pourra faire l’objet, pour information, d’une transmission à la médecine du travail en amont ou lors de la visite du salarié concerné.
À titre informatif, ce badge est basé sur la technologie des matériaux nanoporeux. Après commande, vous recevez, par voie postale, un ou plusieurs badges de mesure et un badge témoin. Le badge de mesure doit être fixé, en début de journée de travail, au col de la tenue, au maximum à 30 cm des voies respiratoires. Il devra être replacé dans son emballage durant la pause du midi et en fin de journée de travail.
Après utilisation, le ou les badges de mesure ainsi que le badge témoin seront à nous retourner par voie postale pour analyse. Il sera également nécessaire de nous retourner la fiche de renseignements complétée afin de permettre la bonne interprétation des résultats. L’analyse des mesures est effectuée dans nos locaux par spectrophotométrie, et les résultats et conclusions seront ensuite retournés au client, éventuellement accompagnés de la "Fiche de prévention" si nécessaire.
R : Vous avez parlé d’une captation à la source des émanations et autres vapeurs nocives… comment cela se traduit-il en matière d’équipement dans les laboratoires et autres salles techniques ?
DB : Côté matériel et autres équipements de laboratoire, Isofroid propose de nombreuses solutions répondant aussi bien aux contraintes réglementaires qu’aux attentes des praticiens, à l'image de notre chariot table Isocart®… un équipement sur mesure, à la fois fiable, efficace et performant, tout en restant raisonnable en matière de budget. Ce chariot table Isocart® permet d’éviter à l’opérateur d’inhaler les odeurs et autres vapeurs nocives issues du corps du défunt et lors du soin de conservation (fluides toxiques à base de formaldéhyde ou fluides irritants sans formaldéhyde).
De conception robuste en inox 304, il supporte des corps pouvant peser jusqu’à 300 kg. Facile d’entretien, il se manœuvre aisément et convient parfaitement aux gestes pratiqués par le thanatopracteur, tout en limitant son exposition aux vapeurs nocives. Autre point appréciable, son plan de travail est réglable en hauteur afin de prévenir les Troubles Musculosquelettiques (TMS).
En matière de prévention, l’objectif de ce type d’équipement est de réduire l’exposition au niveau le plus bas possible par le captage, à la source, des vapeurs nocives, et ce, en toute sécurité pour le thanatopracteur et en conformité avec la directive (UE) 2019/983.
R : Vous venez d’évoquer les TMS. Isofroid propose-t-elle d’autres solutions adaptées au regard de ces problématiques mécaniques ?
DB : Bien sûr, Isofroid propose, sur l’ensemble de sa gamme de chariots élévateurs, une option d’assistance électrique. Le principe consiste en l’ajout d’une cinquième roue motorisée, positionnée sur la base inférieure du chariot. Celle-ci est activée via une commande sur la poignée du chariot, et apporte une stabilité directionnelle parfaite ainsi qu’une aide à la poussée. Cette assistance facilite le déplacement du chariot tout en réduisant l’effort à fournir par l’opérateur funéraire ou le thanatopracteur. Tous les utilisateurs qui ont déjà fait le choix de cette option nous ont fait part de leur satisfaction, affirmant qu’en fin de journée, la fatigue, les courbatures et autres douleurs potentielles étaient bien moindres. Il s’agit là d’une vraie solution pour limiter les problèmes de TMS.
R : Il va de soi que toutes ces solutions ont un coût… aussi, existe-t-il des aides pour les professionnels funéraires souhaitant acquérir ces nouveaux équipements dédiés aux salles techniques et/ou à la manutention ?
DB : Oui, j’allais y venir. Il existe effectivement des aides pour permettre aux professionnels funéraires d’acquérir plus facilement ces divers équipements. Les entreprises du secteur privé ont la possibilité d’obtenir une subvention couvrant 50 % du montant de leur commande (mini 2 000 € et maxi 25 000 €) en déposant une demande auprès de leur CARSAT régionale. Attention, ne sont éligibles à cette subvention que les entreprises de 1 à 49 salariés.
La marche à suivre est la suivante :
Étape 1 : réservation sur devis via un formulaire disponible sur www.ameli.fr,
Étape 2 : confirmation sur bon de commande,
Étape 3 : versement de l’aide sur présentation de facture.
Pour les entreprises publiques, il y a aussi possibilité de financement jusqu’à 40 000 € avec un dossier FIPHPH. Demande d’aide à remplir sur le site dédié(2).
R : Merci, Didier, pour ce rappel. Je souhaiterais aborder à présent un autre sujet relativement important dont nous avions parlé lors d’un précédent entretien. Qu’en est-il de la possible évolution de la réglementation européenne F-gaz. Celle-ci concerne bien entendu, pour ce qui est de notre secteur d’activité, les gaz frigorigènes utilisés dans les installations de froid des établissements funéraires et dans les systèmes de climatisation ?
DB : Depuis 2007, l’utilisation des réfrigérants fluorés (HFC) dans les pays de l’Union européenne est encadrée par la réglementation F-gaz. Cette dernière a été renforcée en 2015, avec notamment la mise en place de quotas pour les fournisseurs de gaz et l’interdiction de mise sur le marché de certains équipements fonctionnant avec des réfrigérants à "Pouvoir de Réchauffement Planétaire", PRP (GWP en anglais), élevés.
Plus récemment, la Commission européenne a rendu public un projet de modification de cette règlementation F-gaz. Parmi les principales évolutions proposées, on notera cette volonté d’accélérer la réduction des quotas, avec une quasi-élimination des HFC à partir de 2027.
Le projet vise à atteindre une baisse d’environ 90 % des quotas à partir de 2027, et à cette date, la disponibilité de la plupart des HFC utilisés actuellement risque de devenir problématique : R410A, R134a, R432a, R32, etc. Les fabricants n’auront alors plus d’autre choix que d’utiliser les mélanges HFO/HFC à très faible PRP, faiblement consommateurs de quotas, ainsi que les fluides hors quotas : HFO purs (R-1234ze, R-1234yf, R-1233zd), propane, CO2, ammoniac… À noter que les réfrigérants récupérés dans les équipements existants ne sont pas comptabilisés dans les quotas, et pourraient couvrir les besoins de l’après-vente.
Aujourd’hui, nous savons d’ores et déjà qu’au 1er janvier 2024 les équipements de réfrigération fixes qui contiennent des HFC dont le PRP est supérieur ou égal à 2 500, ou qui en sont tributaires, seront interdits, à l’exception des équipements destinés à refroidir des produits à une température inférieure à – 50 °C.
Le projet prévoit également une interdiction de mise sur le marché, à partir de 2027, pour les systèmes de climatisation monosplit d’une puissance ≤ 12 kW fonctionnant avec un réfrigérant à PRP ≥ 150. Reste à savoir si cette interdiction concernera aussi les équipements de réfrigération, notamment ceux qui utilisent le R134a… Nous n’en savons rien pour le moment. Cette proposition est actuellement en discussion entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européens.
De fait, dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique, il est peu probable que les propositions de la Commission soient remises en cause (cf. réglementation sur les voitures à moteur thermique). Cependant, à la suite des propositions des industriels et des associations professionnelles, des aménagements sont envisageables… voire des reports de date. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle réglementation F-gaz devrait être adoptée courant 2023, et entrerait en vigueur sans délai, en France et dans les autres pays membres de l’Union européenne. Des décrets d’application devraient tomber très rapidement pour préciser tout cela.
Dès lors, on serait en droit de craindre de nouvelles interdictions, qui seraient mises en place progressivement. Concernant les PRP ≥ 1500 à horizon 2025, dans un premier temps, puis tous les autres gaz dont les PRP ≥ 150 à horizon 2030 dans un second temps, ne laissant comme "alternative" que les fluides : HFO purs (R-1234ze, R-1234yf, R-1233zd), propane, CO2, ammoniac…
R : Des produits adaptés sont-ils d’ores et déjà disponibles ?
DB : Oui, les fabricants se sont adaptés, au moins pour l’échéance 2025, en ne proposant pour l’Europe que des groupes frigorifiques utilisant des gaz à PRP < 1500.
Pour l’après, il existe déjà des solutions telles que le propane (R290). Pour autant, du fait de son inflammabilité, des équipements utilisant les gaz A2L (environ 10 000 fois moins inflammables que les A3 comme le R290) sont déjà à l’étude, et seront à privilégier. Leur disponibilité sur le marché devrait intervenir très rapidement.
En revanche, aucune solution technique n’existe, à l’heure actuelle, pour les monoblocs de congélation utilisant le R452a (PRP 2141), à l'exception, là encore, de groupes au propane (R290). Pour ces derniers, en matière de coûts, il faudrait prévoir une plus-value de + 15 à + 20 %, et ce, sans compter l’équipement supplémentaire à installer pour détecter les fuites liées à l’utilisation d’un gaz inflammable comme le propane (R290).
Enfin, la question du R134a semblait, de prime abord, réglée, puisque des gaz de substitution existent déjà. Des mélanges de gaz à PRP d’environ 600, sans modification des performances pour les machines. Mais la question en suspens est de savoir combien de temps ces gaz à PRP 600 seront encore autorisés ? Comme évoqué plus haut, la Commission européenne va accélérer la réduction des quotas avec une quasi-élimination des HFC à partir de 2027. Dans tous les cas, ce sont les fabricants de compresseurs et les fournisseurs de gaz qui, contraints de respecter ces quotas, donneront le tempo. Bien entendu, nous y reviendrons dès que des solutions probantes seront sur le marché.
R : Didier, avant de conclure… une dernière précision ?
DB : Une toute dernière… toute l’équipe d’Isofroid sera heureuse de vous retrouver sur le stand C91, à l’occasion du prochain salon FUNÉRAIRE PARIS. Nous espérons vous y voir nombreux, et pourrons vous présenter nos différentes innovations, dont nous venons de parler.
D’autre part, un atelier maquillage animé par un professionnel sera organisé, toujours sur notre stand, durant la journée du vendredi, alors venez y participer pour vous essayer au maquillage… un cadeau de bienvenue vous sera même offert pour l’occasion… aux plus assidus, bien entendu. Nous nous réjouissons d’avance pour ces moments privilégiés d’échange avec tous nos clients.
Steve La Richarderie
Nota :
Résonance n° 197 - Novembre 2023
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