Que signifie "regarder" ? Sans vouloir être exhaustive, "regarder" peut tout à la fois signifier : considérer, observer, examiner, fixer, contempler, toucher, viser, estimer, reconnaître, et tant d’autres choses. La réponse est complexe, car le regard reflète bien plus qu’une simple attitude, qu’un simple geste. C’est un acte, un mouvement silencieux, qui reçoit et qui donne. Il est révélateur de ce que nous sommes, de ce que nous vivons, de nos joies comme de nos peines. C’est un langage si vaste et si profond que nous ne pouvons pas totalement le maîtriser. En effet, il est très difficile de mentir par le regard, contrairement à la parole. C’est pourquoi il est vrai et profondément humain.
Le cadre dans lequel nous évoluons, ce milieu des pompes funèbres, est aussi appelé "services funéraires". Qu’ils soient "intérieurs" ou "extérieurs", ces services sont destinés aux familles et aux proches endeuillés. Le deuil impose à ceux qui le subissent, son lot de douleurs. L’absence de l’être aimé provoque cette blessure en nous, qui ne cicatrisera jamais parfaitement. Le temps ne parviendra qu’à la soulager.
Nous pouvons observer dans notre vie que toute souffrance, toute douleur, qu’elle soit ou non physique, lorsqu’elle est profonde, exacerbe nos sens. Notre attention est alors naturellement portée vers ce qu’il y a de plus simple et de plus doux : des gestes attentifs, voire tendres, des attentions délicates et des regards qui parlent d'eux-mêmes.
Nos métiers liés aux pompes funèbres sont d’une grande importance pour ces familles et ces proches en deuil, nous allons aussi tenter de soulager la douleur vécue par ces endeuillés en les touchant, en les invitant à porter leur regard sur ce qu’il y a de beau, malgré la souffrance. Que peut-il bien y avoir de beau dans cette souffrance, me demanderez-vous ? Pour ma part, je vous réponds ce qui suit. Ce qu’il y a de beau, dans ces circonstances, c’est la beauté de la vie qui a été vécue, avant de s’éteindre. C’est la beauté de ces mains tendues pour consoler et apaiser le deuil. C’est la beauté de ces regards simples et doux, remplis de compassion, plongés dans ceux de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants en souffrance. C’est la beauté du sourire et du regard satisfait d’une famille face au corps de son défunt, présenté "beau" et "digne". C’est aussi la beauté de ces multiples attentions qui font que les services funéraires sont et resteront indispensables dans l’accompagnement des familles et des proches en deuil. Le regard est donc d’une importance primordiale dans notre travail au sein des pompes funèbres.
À présent, je vous propose une pause, pour le plaisir de nous laisser toucher à notre tour par un regard extérieur, par des yeux qui regardent avec le cœur, avant de penser.
Il existe des "spécialistes" du regard
Simon Daval est un de ces professionnels qui se livre pour nous toucher. À 25 ans, Simon est photographe-journaliste indépendant. Il s’inscrit dans la lignée du photographe Robert Doisneau par le style de ses photos, pour la plupart en noir et blanc, qui capturent des "instants de vie". Les multiples émotions qui en émanent nous poussent à mieux apprécier ces choses simples, mais pourtant si importantes, qui forgent notre quotidien. Que ce soit chez nous, à côté, ou bien à des centaines, des milliers de kilomètres, Simon nous montre ou nous "remontre" la réalité de notre vie, la beauté et la simplicité qui nous entourent.
Outre ses photos propres au journaliste, Simon Daval est l’auteur de plusieurs reportages sur des hommes, des femmes, des enfants, qui ont vécu (ou vivent encore) des situations douloureuses. Il met aussi ses talents au service d’associations telles que, par exemple, Sésame Autisme et STIMdéveloppement-Stimubanque (participation au reportage "De la mort à la vie", dans ce magazine).
Sans aucun "misérabilisme", Simon a suivi le quotidien d’enfants handicapés au Togo. En France, il a réalisé un reportage sur l’autisme, puis sur les métiers du funéraire. Ce dernier reportage s’est traduit par une exposition, "Derniers hommages", en collaboration avec la Bibliothèque Universitaire de Belfort. Le sujet était risqué, mais en professionnel attentif et délicat, il a su prendre le recul nécessaire. Depuis plusieurs années déjà, Simon prend le temps de visiter des cimetières, en France comme à l’étranger. Le cimetière étant le reflet d’une société, il est aussi le reflet de la vie qui l’entoure. Mais pour aller plus loin dans son désir de découvrir, et de faire découvrir, la vie qui entoure nos défunts et leurs familles, il lui était nécessaire de se rapprocher de nos métiers.
La plupart d’entre nous préfèrent rester dans l’ "ombre", discrets. Il peut être difficile, pour un photographe-journaliste, de rentrer, dans le cadre de son travail, dans l’intimité de la "vie funéraire". Il n’est pas non plus aisé pour nous de nous ouvrir, de témoigner, de faire confiance à une personne dont on ne connaît rien. Simon Daval l’a bien compris. Par sa discrétion, son discours et son regard bienveillant et respectueux, il a su gagner la confiance de ses interlocuteurs, ce qui lui a permis de pénétrer dans l’intimité de nos métiers. En effet, Simon a partagé son temps entre un marbrier/fossoyeur, un gardien de cimetière, un porteur, un thanatopracteur, un conseiller funéraire, et un gérant d’une société de pompes funèbres.
Peu importe où son regard et son objectif le portent, Simon Daval est à l’affût des gestes, des attitudes, des regards, qui traduisent notre façon de travailler. Il souhaite ainsi présenter nos métiers à ceux qui ne les connaissent pas. Mais son but est aussi de nous "remontrer", à nous qui y sommes plongés, ces détails, ces instants empreints d’humanité, tout en ne laissant transparaître (dans la plupart de ses images) que l’"essence" de notre quotidien. Car, par respect et pudeur envers nos métiers, le corps des défunts, la douleur des familles endeuillées, et son public, Simon a cherché à "suggérer", plutôt qu’à "montrer".
Par son regard, il rend hommage à notre travail ainsi qu’aux défunts. La sobriété et le caractère profond de ses photos en font de véritables témoignages pouvant être exposés à un large public. C’est pourquoi, dans nos métiers, en plus du plaisir que nous prenons à recevoir ses images, Simon Daval pourrait sans nul doute nous permettre d’illustrer nos sites internet, nos plaquettes, nos affiches, nos stands lors des salons, etc. N’hésitons pas à l’accueillir au cœur de notre travail.
Pour en revenir à l’exposition "Derniers hommages", qui s’est tenue à Belfort durant un mois et demi, nombreux sont ceux qui l’ont visitée et ont été touchés par la beauté des images présentées et la simplicité des témoignages de professionnels du milieu funéraire. Ce public nous conforte dans l’utilité de ce type d’exposition :
- Micheline, 66 ans : "Je suis sortie, car l’exposition a fait remonter à la surface des souvenirs encore douloureux. J’ai été bouleversée, cela m’a rappelé l’enterrement de mon époux".
- Cécile, 37 ans, sa fille : "Je me suis réconciliée avec le métier de conseiller funéraire. […] Je m’en suis voulu que ma maman soit mal à l’aise. Finalement, […] on a échangé sur le décès de mon père, ses émotions, cela a permis de voir que son deuil n’était pas totalement réalisé. Et j’ai ressenti de l’apaisement et de la douceur. Cela rassure d’entendre des professionnels nous dire que finalement, discrètement, il y a de la vie qui entoure nos morts. […]. Je ne suis pas sortie triste de cette exposition, elle m’a fait du bien. Merci à tous ces professionnels, et à Simon, de nous avoir transmis ces émotions".
Robert Doisneau affirme que "la beauté échappe aux modes passagères", elle est intemporelle et universelle. Les photos de Simon Daval en sont une belle illustration. Par son regard sur le monde qui nous entoure, Simon nous permet de mieux prendre le temps de voir la réalité et de l’apprécier, tantôt brute, tantôt plus artistique, mais tellement humaine.
Nous travaillons dans l’"ombre", certes, mais la lumière de la vie nous illumine chaque jour. Parce qu’"on devrait tous se dire chaque matin que l’on n'a qu’une seule vie et que tout peut basculer d’un jour à l’autre" (Simon Daval), laissons-nous toucher par l’intensité, la simplicité et le réalisme de ses images. Qu’elles résonnent en nous comme un écho, nous professionnels des services funéraires. Ne nous "blindons" pas, gardons notre cœur ouvert à ce qui est beau, et donnons à d’autres le plaisir de pouvoir en profiter.
Marie Nouaille-Degorce
Thanatopracteur
Crédit photos : Simon Daval.
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