Le refus de pratiquer des soins de conservation met le plus souvent en exergue des raisons fragiles, comme des particularismes géographiques ou des coutumes locales très strictes et très obscurantistes. Or, quelles peuvent bien être les traditions qui bannissent la thanatopraxie, puisque s'il existe une activité qui ne prend pas racine dans la tradition, c'est justement la thanatopraxie.
Paraîtrait-il alors plus convenable d'admettre qu'il n'est pas dans les habitudes de faire des soins de conservation du fait qu'ils ne sont reliés à aucune tradition, cette fameuse tradition qui cristallise la profession funéraire ? Aucun de ces prétextes ne tient vraiment. Ces cinquante dernières années, la société française rurale a opéré sa grande migration vers la cité urbaine, consommant ainsi la rupture avec le cadre si traditionnel de la famille patriarcale. En même temps qu'elle a réduit sa dimension à la cellule de base parents - enfants, elle a coupé le cordon ombilical qui la rattachait à une panoplie d'usages formels entretenus par la promiscuité des générations.
Le recul très net de la mortalité infantile a en outre prononcé le divorce entre la société contemporaine et cette forme de fatalité, assumée parce qu'irréductible. Ce qui était il y a quelques générations objet de résignation est à présent vécu comme une injustice. En somme, la famille d'aujourd’hui, à de rares exceptions près, n'a plus pour référence au deuil que ce que lui propose l'entreprise des pompes funèbres. Ceci ne signifie nullement qu'en soit atténuée la douleur face à la perte d'un parent, bien au contraire, dans la mesure où ne subsiste de la mécanique du rituel ancestral que la solitude ou le désespoir du survivant.
Dans cette situation, le service funéraire se trouve mandaté d'office pour restructurer le temps des funérailles, le cheminement du deuil avant que celui-ci ne revienne à la famille. Tel est son pouvoir, telle est, surtout, sa haute responsabilité. La thanatopraxie a toute latitude dans cette relation pour occuper une place dominante. D'abord parce qu'elle a fonction de salubrité et que l’hygiène est une notion indissociable de notre environnement. La forte concentration urbaine nécessite des mesures de sauvegarde pour tous les moments de la vie sociale. Un décès en fait partie.
Le problème doit être également abordé par rapport à la psychologie collective. La mort, ce n'est pas nouveau, hante l'humanité, depuis toujours. Suivant les calamités qu'il a traversées, le monde a réussi à s’accommoder de ce déterminisme grâce à une certaine conscience de la fragilité de l'être, en tant que matière. Le degré de civilisation auquel sont parvenues les sociétés industrialisées n'obéit plus aux critères, à l’instar de ces petits enfants armés d'un pistolet pour qui "être mort" appartient au jeu dans sa continuité. L'univers aseptisé dans lequel nous avons le sentiment d'évoluer n'a trouvé d’exorcisme qu'à travers la médiatisation de la mort. La mort des siens par malheur n'a pas grand-chose de commun avec cette scénographie. Nous le savons, tout au moins un professionnel le sait.
Il n'y a alors pas de façon type de réagir lorsqu’on est confronté brutalement à un événement qui sort de son contrôle. Un décès vient toujours frapper une famille dans son intimité qu'il lui faut de plus partager avec des étrangers dont la mission est justement de la déposséder d'une partie d'elle-même c’est à ce moment de déchirement que la thanatopraxie apporte une solution de transition acceptable. La famille d'un défunt n'a pas comme le milieu funéraire une approche concrète, ordonnée, des funérailles. Elle a davantage une vision émotionnelle, cérébrale, mitigée d’angoisse et d'irrationnel.
La thanatopraxie rassure en ce qu’elle prend en charge le corps inanimé du défunt sans pour autant l'enlever à ses proches. Au contraire, elle le restitue dans son intégrité en lui imprimant une physionomie sereine et apaisée. Que cette image soit superficielle, peu importe, ce n'est pas un problème pour la famille. D’ailleurs, les questions de méthode ne l'intéressent pas en général. Seuls comptent l'effet et la résonance psychique induite. En quoi un professionnel averti s'arrogerait-il le droit de sanctionner une famille en lui infligeant, comme une marque au fer rouge, la dernière vision d'un être que l'action implacable de la nature a rendu méconnaissable, alors qu'il a à sa disposition tous les moyens de l'empêcher ? N'oublions pas que c'est plus que toute autre, la dernière image du défunt qui va s'incruster dans notre mémoire, par-delà tous les décors de circonstance.
Notre métier : un acte simple, mais pas un miracle
La thanatopraxie est un acte simple, positif, adapté. C'est ainsi qu'elle est perçue du côté de la famille. La phase critique dure environ d'une heure trente à deux heures, temps au cours duquelle le thanatopracteur prépare le corps, enfermé dans la chambre mortuaire. Cette violation de l'intimité par une personne inconnue est vécue avec appréhension, mais dès l’intervention terminée, les proches qui viennent se recueillir auprès du défunt expriment le même soulagement devant les traits détendus et cette apparence de repos.
Côté pompes funèbres, la thanatopraxie est encore appréciée avec circonspection pour ne pas dire jugée avec méfiance, comme si le résultat n'était jamais à la hauteur des engagements. La méprise est généralement de taille car elles ont attribué à l'acte de thanatopraxie des vertus miraculeuses qu'il n'offre pas. La thanatopraxie ne peut encore rien pour réparer les outrages d'une dégradation précoce et importante. On procède dans ce cas à une sanitation, qui se limite à stopper la thanatomorphose, alors quelle déception quand les choses ont été présentées comme une opération esthétique ! Ce malentendu fréquent où il est souvent difficile de distinguer la bonne de la mauvaise foi, montre bien l’extrême fragilité du métier de thanatopracteur. Un considérable effort de sensibilisation devrait être fait pour démontrer que la thanatopraxie peut servir à autre chose, qu'à quelques cas d'obligation.
Nous évoquions plus haut le problème des traditions funéraires. N'était-il pas autrefois courant de pratiquer des veillées funèbres où chacun pouvait venir rendre hommage au disparu ? On préfère désormais gagner du temps par peur que le corps ne se dégrade prématurément. Le défunt n'est plus exposé, son enterrement est fait à la hâte, dans la nervosité, alors que des soins de conservation auraient permis un départ dans une atmosphère apaisée. Tout simplement parce que la présentation du corps aurait par exemple autorisé une famille lointaine à venir lui accorder un dernier regard.
Les arguments qui plaident en faveur de la thanatopraxie sont nombreux, quelques-uns sont mal exploités. Le thanatopracteur ne doit jamais perdre de vue que sa première démarche est commerciale et qu'il lui faut convaincre. Rien ne sert d'attendre d'une personne qu'elle fasse le travail à votre place. Que tout le monde parle à présent de la thanatopraxie, c'est un fait, mais il y a une marge entre le discours et l'acte. Alors, après réflexion, si vous avez vraiment décidé de changer vos habitudes, soyez au départ un excellent technicien et apprenez à devenir un bon vendeur.
Patricia Rame,
thanatopracteur.
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