La profession funéraire est-elle toujours productrice d’un égrégore ?
Encore un mot bien savant mais qui convient bien à l’exercice d’un éditorial. L’égrégore, que l’on pourrait définir par l’inconscient collectif ou encore la mémoire collective, ou d’archétypes selon les travaux du philosophe Jung, est un phénomène qui fait l’objet de nombreuses recherches et qui est le produit d’un courant de pensée collective, une énergie qui nous fait focaliser sur des évènements ou des actions au sein d’un microcosme, qu’il soit familial, civil ou professionnel. Lorsque nous partageons un moment fort, celui-ci déteint sur nous et se dilue dans un mode collectif de pensée. Nos émotions mutualisées trouvent une extériorisation dans un esprit de groupe.
Souvenons-nous des événements tragiques de la tuerie de Charlie Hebdo, cette énergie intense se manifesta, c’est le moins que l’on puisse dire, par plusieurs millions de personnes dans la rue exprimant leur refus de l’extrémisme. La France est devenue Charlie, l’égrégore fut de la plus belle ampleur. On parle alors d’égrégore fécond. Celui-ci n’est pas nécessairement identique à la pensée de chaque individu. Il est un produit, une résultante, mais non l’expression personnelle, intime d’un ego.
Cependant, tout est égrégore. L’enfant né au sein de la cellule familiale subit l’égrégore de celle-ci. Nous impactons tous celui du milieu dans lequel nous évoluons. Il en est de même pour notre vie professionnelle, réalité alternative de ce que nous sommes, finalement très perméables à ses sollicitations. Si nous posons la question : "Le funéraire est-il toujours porteur d’un égrégore ?", nous sommes quelque peu provocateurs, mais à dessein. Comme tout est égrégore, la réponse est forcément : "oui". Mais en allant au fond des choses, ne sommes-nous pas en train d’en créer un, artificiel, qui n’est plus le reflet et le produit d’une multitude d’individus, mais au contraire une posture standardisée, diluée au sein d’une pensée unique globalisée qui veut, à l’instar d’autres secteurs économiques, le réduire à sa plus simple expression, cherchant a annihiler justement son énergie.
L’égrégore n’a de réelle valeur que s’il est le produit de la différence. Sa richesse est là et faisait dire à Antoine de Saint-Exupéry : "Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis." Retrouver le sens profond de l’égrégore, c’est avant tout mener un combat avec soi-même. C’est aussi retrouver la vibration des jeunes années où tout était possible, où rien ne semblait faire obstacle. Ce constat est transposable au monde de l’entreprise. À la banalisation des comportements, aux réactions cousues de fil blanc, aux discours stéréotypés, il est grand temps d’opposer un réveil et une prise de conscience du monde que nous construisons. Il est temps pour chacun de quitter sa zone de confort, un égrégore trop largement partagé, érigé en dictat, et qui finalement nous conduit à l’échec, sinon à une impasse.
Retrouvons le sens de l’entreprise, de l’innovation, du partage des valeurs qui fondent notre humanité. Nous ne sommes pas des produits financiers, mais des âmes en possible errance qu’il faut rassembler sous un nouvel étendard afin de produire une éthique qui soit autre chose qu’un mot de plus dans le dictionnaire. L’espoir réside dans la multiplicité et non dans l’uniformisation. L’énergie universelle est l’indocilité volontaire, non la soumission ; l’énergie personnelle est l’affirmation de notre éthique, non celle d’arguments collectifs fallacieux destinés à endormir… la femme ou l’homme que nous sommes… ou souhaitant être… dotés de raison, de créativité, de volonté d’entreprendre, d’altruisme. Cet égrégore s’appelle l’humanité, et il est grand temps de s’en souvenir, et d’y revenir sans attendre.
Maud Batut
Rédactrice en chef
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