Certaines mairies n’hésitent pas à utiliser Internet pour vendre des pierres tombales de sépultures reprises. Cette pratique est-elle légale ?

 

"Mairie vend pierre tombale" ; il s’agit du titre d’un article de presse locale (Ouest France - Vendée Ouest - La Roche-sur-Yon – Littoral, 2 août 2009) - dont la trêve estivale favorise la lecture - dans lequel Christèle Bourdeau rapporte la mise en vente sur Internet (www.webencheres.com) par la commune de Challans en Vendée de monuments provenant de son cimetière.
L’analyse de cet article nous apprend qu’il ne s’agit pas de monuments neufs, mais de monuments présents sur des tombes abandonnées. Ce qui paraît logique puisque s’il s’agissait de monuments neufs, l’activité commerciale ne pourrait se justifier que comme complément de l’activité d’une régie municipale de pompes funèbres, ce qui n’est pas, à notre connaissance, le cas de la commune de Challans.
La journaliste prend soin de préciser en effet que ces monuments proviennent de tombes abandonnées et nous présumons évidemment qu’a bien été respectée la procédure applicable en matière de reprise pour état d’abandon. Cette précision est importante puisque seul le respect de cette procédure permet d’assurer une pleine propriété à la commune des monuments présents et donc le droit de les vendre.
Il convient alors de considérer que ces monuments ont été récupérés sur des concessions reprises (1) et sont aujourd’hui aliénés (2).

1 : Les objets présents sur les concessions reprises

Outre les corps qui doivent rejoindre, après dépôt dans une boîte à ossements, l’ossuaire, ou, après dépôt dans un cercueil faire l’objet d’une crémation (pour laquelle s’impose au maire la vérification de l’absence de volonté contraire présumée du défunt depuis la loi du 19 décembre 2008 !), les objets présents dans et sur la concession sont des déchets. Pour ces déchets, il convient d’observer la particularité des monuments par rapport aux autres objets dont l’élimination est parfois plus problématique.

a) Obligation d’éliminer les déchets produits lors de l’exhumation
En application des principes de la loi du 15 juillet 1975 aujourd’hui codifiée dans le Code de l’environnement, l’opérateur chargé de l’exhumation sera tenu d’éliminer les déchets (principalement débris de monuments et surtout débris de cercueil) provenant de son activité. Cet opérateur est en effet au sens du Code de l’environnement le producteur du déchet (art. L. 1541-2). Lorsqu’elle a recours à un opérateur funéraire pour des reprises administratives, la commune prend soin de rappeler expressément ces obligations dans le cahier des charges, le prix de l’opération devant prendre en compte le coût de l’élimination des déchets. Il faut toutefois noter que les exhumations administratives n’imposant pas l’habilitation funéraire, il arrive que les communes y fassent procéder par leurs anciens fossoyeurs réorientés dans d’autres services lorsque est tombé le monopole avec la loi de 1993.
Les nomenclatures applicables aux déchets dangereux (annexe II du décret n° 97-517 du 15 mai 1997, JO du 23  mai 1997 ; décision du 3 mai 2000 de la Commission de l’Union européenne) n’ont pas répertorié les déchets de cimetière. Pour leur élimination, ils peuvent donc en théorie suivre le circuit des déchets qui, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, peuvent être collectés et traités sans sujétions techniques particulières (au sens de l’article L. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales).
En raison des difficultés psychologiques que pose le dépôt en décharge publique de bois de cercueil, les réglementations locales imposent le plus souvent des obligations d’élimination par incinération des bois de cercueils (cette incinération aura lieu dans un incinérateur de déchets). Les opérateurs prendront soin de se renseigner auprès des services de la préfecture (Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement DRIRE, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ADEME) des dispositions particulières applicables, notamment celles figurant au règlement sanitaire départemental.
En revanche, aucune difficulté n’existe pour les déchets résultant des monuments et caveaux funéraires.

b) Monuments présents sur les concessions
À l’exception du principe du respect dû au mort, la commune connaît une totale liberté pour détruire, utiliser ou vendre les monuments, signes funéraires et caveaux présents sur les concessions reprises (CAA Marseille, 13 déc. 2004, n° 02MA00840 : Collectivités territoriales - Intercommunalité 2005, comm. 28, note D. Dutrieux). Cet arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé la position prise par le Conseil d’État dans son avis reproduit dans la circulaire n° 93-28 du 28 janvier 1993 (annexe). En outre, les recettes générées ne sont nullement affectées au cimetière (Circ. n° 97-211, 12 déc. 1997).
En revanche, il importe de préciser que, s’il n’appartient qu’au maire de désigner l’emplacement des concessions (CE, 28 janvier 1925, Sieur Valès : Rec. CE, p. 79 ; CE, 15 novembre 1993, n° 123151, Denis), l’acquéreur de la concession funéraire qui a fait l’objet d’une procédure de reprise doit pouvoir obtenir un terrain libre de toute construction (TA Pau, 14 décembre 1960, Sieur Loste : Rec. CE, p. 838).

2 : La liberté d’aliéner

Les communes sont aujourd’hui totalement libres d’aliéner les biens faisant partie de leur domaine privé, comme le rappelle d’ailleurs le Code de la propriété des personnes publiques qui ne contient aucune réserve (sauf l’interdiction de céder les biens mobiliers à titre gratuit à l’exception des outils informatiques ; article L. 3212-3 Code général de la propriété des personnes publiques) à l’exception d’un renvoi au Code général des collectivités territoriales si un recours à l’échange est envisagé (art. L. 3211-23 du Code général de la propriété des personnes publiques).
Deux hypothèses sont envisageables : soit les monuments sont des immeubles puisque toujours présents sur les concessions reprises et seront vendus en même temps que sera concédée la sépulture ; soit le monument aura été démonté et constituera un meuble (ce qui semble être le cas en l’espèce).
Il n’y a pas de règle de procédure imposée, sauf à ce que la décision et les conditions de l’aliénation soient décidées en conseil municipal en application de l’article L. 2241-1 du Code général des collectivités territoriales. Rien n’interdit donc le recours à des enchères sur Internet à supposer que ce support se trouve bien adapté à la nature du bien vendu. L’avis des domaines (aujourd’hui France domaine) ne s’impose que pour la vente d’immeubles et de droits réels immobiliers lorsque la commune connaît une population supérieure à 2 000 habitants.

Doivent toutefois être relevées deux réserves à cette pratique qui, comme l’observe la journaliste précitée, connaît un certain succès (elle évoque le cas de la ville de Quimper qui, chaque année, vend une dizaine de monuments). Tout d’abord il importe que ne puisse être reconnu
l’ancien propriétaire du monument et le monument est censé être utilisé pour une sépulture ou un monument à la mémoire des morts ; selon la circulaire n° 93-28 en effet [voir en annexe], "le principe du respect dû aux morts et aux sépultures, […] interdit à la commune toute aliénation de monuments ou emblèmes permettant l’identification des personnes ou de la sépulture et toute utilisation contraire à ce principe". Ensuite, les monuments vendus ne permettront pas à leurs acquéreurs de jouir des garanties et assurances d’un marbrier posant un monument par lui vendu. Or, il est possible de rappeler que le propriétaire d’un monument est toujours responsable des dégâts que ce dernier pourrait provoquer aux autres tombes ou aux visiteurs et employés du cimetière, jusqu’à son éventuelle reprise par la commune pour non-renouvellement ou abandon…

Damien Dutrieux

Circ. min. Intérieur n° 93-28, 28 janvier 1993
[NDLR : les références au Code des communes ont été remplacées par celles au Code général des collectivités territoriales]

Nature et destination des monuments, signes funéraires et caveaux se trouvant sur des sépultures abandonnées.

À la suite de plusieurs demandes de renseignements effectuées auprès de mes services sur la nature et la destination des monuments, signes funéraires et caveaux se trouvant sur des sépultures abandonnées, j’ai saisi, conjointement avec le ministre chargé du Budget, le Conseil d’État d’une demande d’avis portant sur les questions suivantes :

1°) Quelle est la nature juridique - biens immeubles incorporés au domaine public communal, biens vacants appartenant à l’État et rétrocédés aux communes qui en disposent librement ou biens revenant en pleine propriété aux communes qui en disposent librement - des monuments et signes funéraires sur les sépultures dont les emplacements ont fait régulièrement retour aux communes ?

2°) Compte tenu de la nature particulière des monuments et signes funéraires et dans la mesure où les communes à qui ils reviendraient en pleine propriété les revendraient, le produit qui en découlerait devrait-il être affecté à l’entretien du cimetière communal, ou bien les communes pourraient-elles en disposer librement conformément au principe, d’une part, de la libre administration communale et, d’autre part, du principe de droit budgétaire de non-affectation des recettes aux dépenses ?

3°) Les solutions qui pourraient être retenues pour les monuments et signes funéraires installés sur des sépultures abandonnées sont-elles transposables aux caveaux mis en place par les familles dans les terrains de sépultures, lorsque celles-ci sont abandonnées ?

À ces questions, le Conseil d’État (section de l’intérieur) a rendu l’avis ci-après :
1°) Lorsque le maire prononce en application de l’article [L 2223-17 du CGCT], la reprise d’une concession perpétuelle, il peut, en vertu de l’article [R. 2223-20 du même code], faire enlever ces matériaux des monuments et emblèmes funéraires restés sur la tombe. Il peut également, dans l’exercice de ses pouvoirs généraux de gestion du domaine public, faire enlever ces matériaux lorsqu’une concession temporaire, trentenaire ou cinquantenaire n’est pas renouvelée dans les conditions prévues à l’article [L. 2223-16] et lorsque, en l’absence de concession il est procédé à l’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures, en application de [l’article R 2223 5].
Les monuments et emblèmes funéraires que le maire fait enlever ne sont pas incorporés au domaine public et ne peuvent faire partie de ce domaine, faute d’être affectés à l’usage du public.
Ils ne peuvent non plus être regardés comme entrant dans les catégories de biens vacants et sans maîtres dont les articles 539 et 713 du Code civil attribuent la propriété à l’État.
Ils font, en conséquence, partie du domaine privé de la commune.
La liberté pour la commune de disposer de ces biens a toutefois pour limite le principe du respect dû aux morts et aux sépultures, qui interdit à la commune toute aliénation de monuments ou emblèmes permettant l’identification des personnes ou de la sépulture et toute utilisation contraire à ce principe.

2°) Au cas où la commune vend, dans le respect du principe susmentionné, lesdits monuments et emblèmes, elle peut disposer librement du produit de cette vente, conformément au principe constitutionnel de la libre administration des collectivités.

3°) Les mêmes solutions s’appliquent aux caveaux édifiés par les familles dans les terrains de sépultures.

Commentaires

Il ressort de l’avis précité notamment que :
1°) Les monuments, signes funéraires et caveaux installés sur des terrains de sépulture, dans un cimetière, qui ont fait régulièrement retour à la commune appartiennent au domaine privé de celle-ci.

2°) Dans la mesure où les familles n’ont pas récupéré les monuments, signes funéraires et caveaux installés sur ces sépultures, la commune en dispose librement, dans la limite de respect dû aux morts et aux sépultures.

3°) Lorsque ces monuments, signes funéraires et caveaux sont vendus, le produit qui revient à la commune n’a pas à être nécessairement affecté à l’entretien du cimetière.

4°) Les communes ont toujours la faculté d’entretenir à leurs frais les monuments, signes funéraires et caveaux installés sur des sépultures abandonnées en raison, notamment, de l’intérêt historique ou artistique qu’elles présentent.

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations