Ci-après retranscrite l’intégralité de la question qu’une association crématiste nous a soumise et sur laquelle elle souhaite que les spécialistes du droit funéraire se penchent concernant des lacunes réglementaires.

 
Question :

J’ai reçu dernièrement une lettre dans ces termes :
"Décès de M. H. Mercredi 12/04, Y et W découvrent le corps sans vie de leur frère et beau-frère, à son domicile de A…. La mort remonte à plusieurs semaines, trois peut-être quatre... et la décomposition déjà bien avancée.
Passée la stupeur, le choc, ils appellent le 18. Les pompiers préviennent la gendarmerie. On attend le médecin de garde qui doit constater le décès ; celui-ci, le docteur G, arrive vers 21 h et compte tenu de l’état du défunt, n’examine pas le corps et se limite à signer l’attestation de décès.
Le corps est transporté au funérarium des pompes funèbres où il est conservé en attendant le résultat de l’enquête de gendarmerie. Le vendredi suivant, la mort étant reconnue naturelle par le procureur, le corps est rendu à la famille qui prépare les obsèques. C’est au milieu de cette préparation que le problème survient.
H, le défunt, avait signifié oralement sa volonté d’être incinéré. Les obsèques sont préparées en conséquence : rendez-vous au crématorium de M…, choix de l’urne, d’un cercueil destiné à être brûlé. Mais il manque l’attestation que le mort ne porte pas de stimulateur cardiaque, que le médecin, faute d’examen n’a pas remplie. Les pompes funèbres téléphonent aux gendarmes qui appellent le médecin pour achever son travail, mais celui-ci refuse absolument d’aller s’assurer de l’absence de pile et les déclarations de la famille ou les témoignages d’amis du défunt le certifiant ne servent à rien. Il faut la signature d’un médecin.
Appel chez le praticien référent, le docteur J : refus. Appel chez le cardiologue : refus, n’ayant pas vu ce patient depuis deux ans. Déplacement des gendarmes au cabinet du premier médecin, le docteur G : explications tendues, refus net et catégorique.
L’affaire grossit, le service d’État civil et la préfecture de M… tentent des médiations, envisagent une réquisition : il semble qu’aucun texte règlementaire ne l’autorise.
Nous essayons et tentons plusieurs démarches, en particulier en contactant le médecin légiste pour lui demander d’intervenir en payant son déplacement ; mais le légiste ne peut intervenir que sur convocation du procureur, dans le cas d’expertise judiciaire. Or le procureur considère que l’affaire est close et qu’il n’a pas à intervenir.
Les obsèques prévues le mardi sont bousculées, et, sur proposition des pompes funèbres, se réduisent à une cérémonie devant un cercueil vide au funérarium de M… à la place du crématorium de M…
Comme la situation semble totalement bloquée, la famille se résout à faire procéder à une inhumation dans le caveau de famille. Ce qui sera fait, avec les demandes de dérogations indispensables (délai d’inhumation et défaut d’attestation d’absence de stimulateur cardiaque) quinze jours après la découverte du décès."
Vous serait-il possible de nous aider à y voir clair ?

Réponse :

1 - Constat des opérations réalisées


Après la découverte tardive d'un corps d'une personne décédée, le médecin constatant le décès ne peut remplir correctement le certificat médical de décès puisqu'il ignore la cause du décès, conformément à l'article L. 2223-42 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). Il a donc obligation de cocher la case "problème médico-légal" du certificat médical de décès, modèle imposé par l'arrêté du 24 déc. 1996.
Conformément à l'art. 81 du Code civil, la police est informée en cas de décès de cause inconnue. L'art. 426-4 de l'instruction générale relative à l'état civil du 29 mars 2002 impose alors de prévenir le Parquet.
En application de l'art. 81 du Code civil, un officier de police se rend sur les lieux afin d'établir un constat, lui aussi sans indiquer la cause de la mort, et en transmet copie à l'officier d'état civil, c'est-à-dire au maire de la commune du lieu de décès (art. 435 de l'instruction du 29 mars 2002). Ce constat indique certainement l'état de décomposition du corps empêchant tout constat sur la cause du décès et demande une expertise par un médecin légiste, afin de conclure sur les causes du décès.
Le corps reste alors à disposition du procureur de la République qui mandate un médecin légiste afin de déclarer la mort naturelle ou de poursuivre l'enquête en cas d'assassinat. Le corps est transporté à l'institut medico-légal ou en chambre funéraire et personne n'a accès au corps tant que l'enquête n'est pas terminée, afin de ne pas faire disparaître des preuves.
La question posée ne le précise pas, mais le paiement du séjour en chambre funéraire est à la charge du ministère de la Justice jusqu'au rendu du corps à la famille, ce séjour résultant de l'art. 74 du Code de procédure pénale, et ce paiement étant en conformité avec la jurisprudence cour d'appel de Dijon, requête n° 2000/865 en date du 20 déc. 2000, Pompes funèbres cresotines - Marbrerie.
Quand l'enquête medico-légale est terminée, le médecin légiste émet son rapport d'expertise, concluant dans ce cas à une mort naturelle, à destination du procureur. Ce dernier rend alors le corps à la famille afin qu'elle procède aux funérailles, conformément à l'article 230-29 du Code de procédure pénale.
C'est là que s'est produit le problème
En effet, le maire ne peut procéder à l'inhumation ou à la crémation qu'après fermeture du cercueil (et pose de scellés lorsque le cercueil quitte la commune), conformément aux articles L.2223-42 et R. 2213-15 du CGCT : cet article impose le retrait (par un médecin ou un thanatopracteur) des prothèses fonctionnant au moyen d'une pile avant la fermeture du cercueil. Or, pour effectuer ce retrait, il est nécessaire de savoir s'il y ou non présence d'une prothèse à pile, donc disposer d'un certificat médical de décès conforme à l'arrêté du 24 déc. 1996 et entièrement rempli. L'article L.2223-42 du CGCT interdit la fermeture du cercueil sans certificat médical de décès.

2 - Explications sur les causes du problème

Il faut savoir que le certificat médical de décès comporte en partie inférieure des données confidentielles sur la cause du décès. Ces données médicales confidentielles sont utilisées par l'État, conformément à l'art. L. 2223-42 du CGCT, d'une part pour lutter contre une éventuelle épidémie, et, d'autre part, pour établir la statistique nationale des causes de décès qui permet de financer des recherches sur les principales causes de décès.
Depuis longtemps, le ministère chargé de la santé se plaignait que les décès medico-légaux étaient exclus de ses statistiques puisque le rapport du médecin légiste était différent et non accompagné du certificat médical de décès. Un accord entre les ministères de la Santé et de la Justice aurait été passé afin que le certificat médical de décès soit rempli au moment de la clôture, par la justice, du jugement statuant sur la ou les causes de décès.
Est-ce que cet accord ne concernait que les affaires traitées par un tribunal et non celles traitées par le seul procureur ? Ou le médecin légiste a-t-il conservé une antique expertise au lieu de la compléter par le certificat médical de décès imposé par l'arrêté du 24 déc. 1996 ?
Ce problème provient de l'absence de concordance entre deux Codes, le procureur s'appuyant sue le seul code de procédure pénale qui ignore le certificat médical de décès imposé par le CGCT et le maire qui applique le CGCT imposant un certificat médical de décès.
Ce qui est certain, c'est que le maire ne pouvait autoriser la fermeture du cercueil sans l'information sur la présence d'une prothèse à pile et que cette prothèse devait être retirée seulement si elle était présente.
Le raisonnement appliqué ci-dessus s'appuie sur la logique et non sur la réglementation applicable à ce cas particulier. En conclusion, il est nécessaire de compléter le Code de procédure pénale pour imposer le certificat médical de décès lors de la remise du corps à la famille.

3 - Ce qu’il aurait fallu faire

Le maire devait demander un certificat médical de décès, conforme à l'arrêté du 24 déc. 1996, au procureur qui lui avait donné l'autorisation de procéder aux funérailles, le procureur donnant ses ordres au médecin légiste. Pour cela, le maire pouvait se baser sur son pouvoir de police générale (art. L. 2212-2 du CGCT) qui lui impose d'assurer le bon ordre, la sécurité et la salubrité publique. Il pouvait également faire jouer l'art. L. 2213-7 du CGCT qui impose au maire, ou au préfet par défaut, d'inhumer décemment toute personne.
Donc le maire et le préfet pouvaient exiger du procureur (et non du médecin légiste ou d'un médecin référent ou du cardiologue) l'établissement d'un certificat médical de décès conforme.
La jurisprudence de cet art. L. 2212-2 du CGCT (cf. Code Dalloz) montre bien toutes les possibilités qui sont offertes au maire pour agir. C'est justement sur la base de cet art. L. 2212-2 qu'il aurait pu réquisitionner un médecin pour établir ce certificat médical de décès :
"La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :
5°) le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ; .."
Ce pouvoir de réquisition a été reconnu au maire, par la jurisprudence, sur la base de ce 5e alinéa de l’art. L 2212-2 du CGCT qui permet d’obtenir le concours de personnes ou d’entreprises en vue d’assurer ou de rétablir le bon ordre ou la sécurité ou la salubrité publiques :
- enlever de la voie publique le corps d’une personne décédée souscrit au principe du bon ordre ;
- collecter les corps des personnes décédées, entiers ou non, lors d’une catastrophe répond également au critère du bon ordre ;
- si la personne est décédée depuis plusieurs jours, le critère du bon ordre est complété par celui de la salubrité publique.
Sur ces mêmes motifs, la grève des personnels des entreprises de pompes funèbres justifierait une réquisition de police administrative pour procéder aux inhumations et aux crémations.
Ce droit de réquisition est ouvert en permanence, sans besoin d’un arrêté ou d’un décret en Conseil des ministres pour le faire entrer en vigueur. Il peut porter sur une personne ou une entreprise à raison de leur activité professionnelle, ou même sur l’emploi d’une personne qui sera requise à toutes fins utiles (c’est-à-dire pour donner un coup de main, pour aider, sans considération de sa profession). Il peut être individuel ou collectif, c’est-à-dire couvrir les équipements indispensables et les personnes chargées de l’exécution de la prestation dans le cadre d’une réquisition de services d’une entreprise.
Ce pouvoir de réquisition de police appartient au maire. Toutefois, l’art. L 2215-1 du CGCT permet au préfet d’exercer ce pouvoir par substitution lorsque plusieurs communes sont touchées. Il est même précisé que le préfet est seul compétent lorsque le problème touchant l’ordre, la sûreté, la sécurité ou la salubrité publiques s’étend en dehors du territoire d’une seule commune. Le préfet peut exercer ce droit sur le territoire d’une commune unique, à condition qu’une mise en demeure du maire soit restée sans résultat.
Cependant l’autorité du maire ne s’étend pas au-delà de sa commune, et celle du préfet reste limitée à son département. En conséquence, le procureur réquisitionné doit avoir son siège dans la circonscription administrative de l’autorité requérante.
Le refus du requis d’obéir à un ordre de réquisition, établi par une autorité compétente dans le cadre juridique légal, est puni par l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe : 150 € pour les personnes physiques (articles R 642-1 et 131-13 du Code pénal). Aucune sanction précise n’est définie pour l’autorité requérante qui aurait commis un abus de pouvoir. Cependant, le refus d’obéir à une réquisition arrêtée par le préfet en cas d’atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques (art. L. 2215-1 du CGCT) constitue un délit, car ce sont des opérations de secours, puni par 6 mois d’emprisonnement et 10 000 € d’amende.
Ce pouvoir de réquisition de police administrative ne peut être exercé qu’en cas d’urgence et à titre exceptionnel (Conseil d’État - 18 oct. 1989 - commune de Pugnac). La jurisprudence a précisé que les réquisitions ne peuvent être prises qu’en cas d’urgence, et à titre exceptionnel, et à la condition que la situation en cause soit de nature à apporter un trouble grave à l’ordre public. Ces décisions de police ne sont en effet légales que dans la mesure où elles sont "indispensables pour assurer le maintien ou le rétablissement de l’ordre public" (Tribunal des Conflits - 8 avr. 1935 - Action Française).
Or la famille du défunt aurait pu alerter la presse et il existait donc un risque grave de trouble à l'ordre public.
De plus, le médecin réquisitionné aurait pu répondre sur la présence du stimulateur cardiaque, mais non sur la présence de maladies contagieuses imposant la mise en bière immédiate dans un cercueil hermétique, tel qu'indiqué sur le certificat médical de décès. Il ne restait donc à réquisitionner que le procureur de la République puisque le médecin légiste, qui dépend du procureur, avait recherché les causes du décès. Le procureur, qui s'était basé uniquement sur le Code de procédure pénale, ne pouvait considérer l'affaire close dans la mesure où le corps ne pouvait ni être inhumé, ni être crématisé, s'il avait la réglementation du CGCT sous les yeux.
Dans la mesure où la préfecture est intervenue sans pouvoir régler le problème, elle a certainement dû demander l'avis du ministère de l'Intérieur et ne pas l'obtenir, pour raison de congé ou autre. De même, le maire aurait pu solliciter le service juridique de l'Association des maires de France. De son côté, l'entreprise de pompes funèbres aurait pu contacter son syndicat professionnel qui aurait contacté un expert.

4 - Conclusions

Il faut retenir de cette erreur impardonnable pour la famille que les ministères conviennent de la nécessité d'une bonne information des procureurs et que le certificat médical de décès réglementaire soit joint à toute autorisation d'inhumation ou de crémation délivrée par le procureur.
Par ailleurs, depuis le décret n° 2011-121 du 28 janv. 2011 relatif aux opérations funéraires, les articles R. 2213-33 et R. 2213-35 du CGCT relatifs aux délais d'inhumation et de crémation sont de six jours, non compris les dimanches et jours fériés, à partir de la délivrance par le procureur de l'autorisation d'inhumer ou de crématiser en cas de problème medico-légal. Il n'y a donc plus besoin de dérogation aux délais d'inhumation.

Pour respecter les volontés du défunt, la famille peut demander une exhumation à une entreprise de pompes funèbres, mais seulement au-delà d'un délai de cinq ans à compter du décès (art. R. 2213-42 du CGCT) afin de pouvoir ouvrir le cercueil. L'entreprise procédant à l'exhumation pourra alors établir un certificat d'absence de prothèse à pile en vue d'une crémation, ce qu'elle effectue pour tous les corps exhumés destinés à la crémation et qui ont été inhumés avant l'obligation de retrait des prothèses à pile.

Claude Bouriot,
coauteur du Code pratique des opérations funéraires.

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations