Ce thème était celui d’un colloque organisé conjointement par l’Université de Nancy et l’ Crématiste Européenne (UCE), et qui s’est déroulé, le 29 octobre dernier, dans les locaux de la Faculté de Droit.

 
Pendant les travaux, de nombreux points concernant la loi française de déc. 2008 ont été traités. Ce qui a permis de constater que "la traçabilité des cendres" n’était en réalité qu’une "traçabilité administrative", donnant un sentiment de très relative liberté.

Ce colloque a confirmé que l’UCE est bien porteuse "d’un idéal", pour la défense des droits de l’homme dans l’espace européen, en ce qui concerne le libre choix du mode d’obsèques et de la sépulture. Mais comment faire porter et adopter cela par le Parlement européen ? Sans doute en avançant pas à pas, en partant de revendications techniques et en nouant des contacts avec des députés européens.

La loi française du 19 déc. 2008 et la notion de restes humains

Pour le professeur Py, organisateur de cette journée, la loi du 19 déc. 2008 est une initiative parlementaire qui résulte de conflits émotifs ayant heurté la population (partage ou déshérence des cendres, pressions commerciales,…). Il s’agit d’une loi réactionnaire qui aborde bien la notion de dignité (concept flou), de respect et de décence pour en définitive apporter une forme de sacralité laïque, car elle adopte d’anciennes postures appliquées aux restes humains. Et pourtant l’inhumation n’est pas la crémation.

On va appliquer à la crémation une approche qui s’appliquait à l’inhumation et on sent bien que la volonté affichée est de redonner au cimetière son rôle de conservation des restes humains. Cette loi limite la liberté. Elle est utilisée pour interdire l’exposition de corps et notamment l’exposition culturelle de corps humains.On doit pourtant se demander quel est l’enjeu.
II n’est pas de santé publique car les cendres sont moins dangereuses (pollution) que le corps en décomposition. Il n’est pas non plus d’ordre public. L’enjeu est symbolique.
1 - Il résulte de conflits privés : marchandisation, désignation de lieux de culte comme destination possible des urnes cinéraires.
2 - Il met en avant l’idée qu’il faut protéger l’individu contre lui-même et qu’on peut ainsi brider le champ de sa liberté (conception paternaliste du droit qui s’applique aussi à l’homme vivant, aujourd’hui).

La libre circulation des cendres

Mme Blairon, juriste spécialisée en droit européen, nous rappelle que la loi nous permet de choisir entre l’inhumation et la crémation, qu’elle offre un statut juridique aux cendres et qu’elle vise à la traçabilité de ce voyage éternel puisque le lieu et les modalités de dispersion éventuelle doivent être signalés tant à la municipalité qui a enregistré le décès qu’à celle qui a vu naître un jour le défunt.

À quel titre, les cendres peuvent-elles voyager ? C’est une marchandise qui tombe sous le principe de la libre circulation même si elles ne sont pas commercialisables. On pourrait les envoyer par colis postal même si ce n’est pas recommandé et sans doute peu respectueux du défunt. On sait que l’Italie impose l’autorisation du maire pour transporter une urne et que les sociétés aériennes se montrent fort réticentes à considérer qu’il s’agit d’un bagage à main… L’urne ne pourra être transportée que si elle est hermétiquement fermée et accompagnée d’un certificat de décès.

En cas de rapatriement (cas de la France), il est demandé un certificat de crémation, une lettre émanant du crématorium spécifiant le contenu de l’urne, le paiement du droit de chancellerie, une demande de transport et un acte de décès. Il est demandé aussi de faire preuve de rationalité.

Les États-Unis ont des contrôles supplémentaires

En cas d’exportation (de la France vers l’étranger), il faut toujours qu’un représentant de l’État autorise le transport. Pour l’Inde, il sera demandé un certificat épidémiologique. Il apparaît que la notion de territorialité du droit rende souvent difficile de faire respecter la volonté du défunt (cas aussi pour les personnes obèses). Il est donc parfois nécessaire de transporter le corps pour trouver une réponse adéquate à la demande.

Le transport à l’étranger ou de l’étranger demande l’application de conventions internationales mais nécessite toujours l’obtention d’autorisations émanant des autorités publiques (maire, fonctionnaire de police délégué, préfet de département lorsqu’il s’agit d’agir en dehors de la Métropole) et aussi l’application de normes techniques : bois de 22 mm d’épaisseur maximum, condition d’étanchéité (parfois hublot pour vérifier le contenu). L’urne sera néanmoins toujours moins chère à transporter que le cercueil, même si le système de taxation peut se révéler complexe.

La commune et la crémation

M. Dutrieux nous rappelle que la commune intervient dans les opérations funéraires depuis que l’Église a perdu le monopole de la gestion des cimetières et que les questions d’hygiène allaient occuper le devant de la scène pour des raisons de santé publique. Mais, il n’y a plus de problèmes sanitaires avec les cendres et pourtant les pouvoirs publics ont même obtenu (loi 1993) le monopole de contrôle de l’équipement des crématoriums et peuvent seuls en décider de la création comme du mode de leur gestion (régie directe, délégation ou société publique locale).
L’Église, depuis Vatican II impose le retour des cendres au cimetière mais le préfet peut donner une autorisation d’inhumer l’urne dans un terrain privé. C’est la question de la traçabilité qui est posée en termes de devoir de mémoire. L’État ne veut plus que les familles confisquent le corps d’un défunt mais, elles sont nombreuses à ne pas se conformer à l’obligation de remettre une déclaration à la mairie du lieu de naissance.

On doit aussi constater une disparité entre les communes : les politiques d’équipement varient et il est moins onéreux de se faire "crématiser" dans le nord de la France qu’ailleurs ; les lignes de filtration sont très coûteuses et mettent en difficulté les petits crématoriums ; l’ouverture des fours (80cm/80cm) limite le poids du défunt,… On opte parfois pour la crémation de manière imposée : le maire doit prévoir un lieu de sépulture pour tous les habitants de sa commune et l’hôpital doit gérer des corps non déclarés (l’ossuaire revient souvent cher au mètre carré, dans les grandes villes). On choisira la crémation si aucune opposition n’a été marquée du temps du vivant du défunt (famille, religion,…).

L’évolution des pratiques de la crémation en Europe

M. Arnaud Esquerré de l’École des hautes études en sciences sociales classe l’Europe en 4 groupes de pays.
- Plus de 70% de crémations : en tête la Suisse avec 82%, suivie de la République tchèque, le pays le plus déchristianisé du vieux continent, puis deux pays scandinaves, le Danemark et la Suède, enfin le Royaume-Uni.
- De 30% à 70% de crémations : les Pays-Bas, l’Allemagne, la Norvège, la Belgique, la Hongrie et depuis cette année, la France.
- De 15 à 30% : l’Autriche et la Finlande.
- Moins de 15% : l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et la Pologne, celle-ci à la fois comme les autres pour des raisons religieuses, mais aussi pour des raisons historiques liées aux camps d’extermination.

C’est pourtant l’Italie qui est le premier État à organiser la crémation (1880) et c’est après la seconde guerre mondiale que le taux de crémation va augmenter au Royaume-Uni.

Comment expliquer ces évolutions ?

- Rapport nature-environnement
- Justification hygiéniste (fin XXVIIIème siècle) ;
- Combustion des corps allait pourtant sacrifier des forêts entières avant l’évolution technoscientifique que nous avons connue au XXe siècle.
- Le facteur religieux ne suffit plus pour marquer les options prises par les familles.
- On parle de mobilité des familles (éloignement des caveaux).
- Multiplication de l’offre de crématoriums (offre-demande).
- Révolution des mœurs (familles recomposées, mobilité entre les personnes, modification du rapport au corps qui est devenu un "moyen" utile ou non). Le corps devient un support de notre volonté (avortement, euthanasie,…).
- Possibilité nouvelle de garder des traces du défunt (développement de la photographie, voire des films vidéo,…) autrement qu’en allant au cimetière.

Médecine légale et crémation

Le docteur Peton, médecin légiste, nous rappelle que la sublimation du corps dépend de sa position dans le cercueil et de l’apport d’oxygène. La crémation d’un corps qui contient plus ou moins 65% d’eau se fait à 850/900°C durant un temps variable. Les os sont pulvérisés après tamisage et l’oxygène, l’hydrogène, l’azote et le phosphore sont transformés en gaz. Le fœtus et le jeune enfant dont les os ne sont pas encore calcifiés ne laissent pas de cendres.

La crémation

- En Grande-Bretagne : Le professeur White allait nous rappeler qu’il y a des différences entre les différents pays qui composent la Grande-Bretagne et qu’aucune loi ne précise ce qu’on peut ou qu’on ne peut pas faire d’un cadavre. Cette approche nous montre que le droit anglo-saxon ne fonctionne pas comme le droit continental.
- En Serbie : Dragan Grcic parle d’une approche philosophique contrastée en Serbie : nous abordons la mort différemment dans un pays pauvre où le pragmatisme de l’Église orthodoxe est une réalité que rencontrent les associations de la Libre Pensée qui sont à la base des premiers crématoriums.
- Aspects de droit comparé : Jérôme Bernard, doctorant en droit, aborde la question du droit comparé en Europe en dressant un nouveau tableau :
a) La gestion directe de la crémation et des sites cinéraires par les pouvoirs publics en Belgique et au Luxembourg.
b) La gestion par voie déléguée pour la France dont la gestion des sites cinéraires est souple et gestion par délégation pour l’Italie qui n’impose aucune norme aux communes.
c) Une délégation implicite par les pouvoirs publics en Angleterre où l’influence de l’Église anglicane est grande quant à la création des sites cinéraires, du matériel et de la coutume (droit coutumier pour l’enterrement dans sa propre paroisse).

En France, la loi de 2008 est de plus en plus contraignante. Elle impose aux communes de plus de 2000 habitants d’avoir un site cinéraire.
En Belgique, la législation est stricte et la tendance à la régionalisation est marquée.
En Grande-Bretagne, il y a un problème avec la traçabilité des cendres.
En France, il y a interdiction de partager les cendres comme de les garder à domicile.

Quel est le statut juridique des cendres ?

En Belgique ou au Luxembourg, l’urne est considérée comme la sépulture et reçoit, à ce titre, protection juridique. En France, on intègre les notions de dignité dans le Code civil et le Code pénal. Le respect dû au corps humain doit se poursuivre même après la mort. En Italie, les tombes sont protégées face à tous les actes de mépris.

Un rôle citoyen

Jo Le Lamer, président de la Fédération Française de Crémation (FFC), parle du rôle citoyen des associations crématistes :
- L’aspect désintéressé et de bénévolat.
- La défense des intérêts des membres.
- La solidarité envers les plus faibles.
- Le contrôle citoyen de l’action publique.
- La Promotion des idées.
Il constate que le bénévolat est mis en avant avec l’Europe, dans le cadre le la définition de la citoyenneté active.

Le projet de directive européenne

Marc Mayer, au nom du président de l’UCE, Jean- Paul Petit, empêché, a présenté le projet de directive européenne proposée par l’UCE, dans le but d’harmoniser les différentes législations européennes, en matière de droit des citoyens à choisir la destination de leur propre corps après le décès.
Pour une directive européenne

Objectif : harmonisation des législations en matière de droit des citoyens à choisir leur mode d'obsèques et leur mode de sépulture.

Préambule

L'étude de droit comparé sur les différentes lois européennes en matière funéraire, réalisée par l'Université de Nancy sur commande de l'UCE a démontré que ces législations, si elles ont une philosophie générale commune, sont relativement contrastées et donc assez différentes d’un pays à l’autre dans l' européenne.

Proposition
Il est donc souhaitable de pouvoir harmoniser ces règles et d’arriver à les introduire dans une Directive européenne, afin de permettre à tous les citoyens européens - ou qui vivent en Europe - de bénéficier de la liberté de choisir la destination de leur propre corps ; ceci de leur vivant et de manière olographe.

- À ceux qui choisissent la crémation on doit également reconnaître le droit de choisir la destination de leurs propres cendres.

- À chacun de ces citoyens on doit en outre reconnaître le droit de pouvoir désigner une personne (même si elle n'appartient pas à sa cellule familiale) voire une Institution sans but lucratif qui soit garante des actions suivantes :
a) Effectuer la dispersion des cendres, dans les lieux et selon les modalités prévues par la loi, ou
b) Garder en viager, sauf renonciation anticipée, l'urne contenant les cendres, en garantissant l'inviolabilité et la traçabilité de celles-ci pour toute la période prévue. Au terme de cette période, l'urne renfermant les cendres doit être rendue, selon la loi, au cimetière qui relève de la compétence territoriale fixée par la législation.

- Ces libertés de choix doivent être garanties, selon les mêmes modalités, dans tous les États qui font partie de l' européenne, tout en veillant à respecter les traditions locales et les différentes conceptions de vie (religieuse ou laïque) de chaque citoyen.

- Le respect dû au corps humain implique que le défunt soit traité avec dignité. Il devrait donc être interdit de transformer ou de convertir les cendres en toute forme d’objet commercial.

- Durant la période transitoire prévue pour que chaque État adapte sa législation à ces principes (liberté de choix, liberté de disposer des cendres et traçabilité), il faudra veiller à ce que chaque législation nationale garantisse, pour chaque citoyen européen qui vient d'un autre État membre et qui serait malheureusement décédé, le respect absolu des modalités en vigueur dans son pays d'origine.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations