La directive communautaire sur l’intermédiation en assurance(1) (DIA) de 2002 avait un double objectif : offrir au consommateur un meilleur niveau de protection accrue et créer un marché unique européen de l’intermédiation en assurance, interpénétré avec le marché unique de l’assurance. Interrogeons-nous sur la réalité de ce marché unique après l’adoption et la transposition de cette directive.
1. La DIA, une avancée significative dans la création d’un marché unique
1.1. Les principes exposés dans la DIA
Le considérant 7 de la DIA précise que "l’incapacité des intermédiaires en assurance d’opérer librement partout dans la Communauté entrave le bon fonctionnement du marché unique de l’assurance". Ainsi, pour atteindre cet objectif, les dispositifs juridiques classiques du passeport européen ont été intégrés dans la directive.
En premier lieu, il convient de rappeler le périmètre géographique de ce marché unique européen. Aux 27 États membres de l’Union européenne (UE) s’ajoutent l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège, États parties à l’Espace économique européen (EEE). Il est précisé que les intermédiaires d’États ou territoires tiers à l’UE ne peuvent bénéficier du passeport européen.
L’article 6. 1. de la DIA précise que tout intermédiaire en assurance régulièrement inscrit sur le Registre de son pays d’origine a la faculté d’exercer dans un autre pays en régime de libre prestation de services (LPS) ou libre établissement (LE). La seule formalité à effectuer est une information de l’autorité de son pays d’origine tenant le Registre qui assume la notification à l’autorité du pays-cible : un mois après cette notification, l’intermédiaire est autorisé à exercer sur le territoire du pays-cible. L’intermédiaire n’a aucune formalité à effectuer auprès de l’autorité du pays-cible.
Ce principe du passeport européen, ou de reconnaissance mutuelle, se justifie par l’harmonisation des conditions d’immatriculation, établie par la DIA. L’article 4 de la directive détaille ses conditions communes :
- La possession de "connaissances et aptitudes appropriées".
- Une honorabilité avérée.
- Une assurance de responsabilité civile professionnelle "d’au moins 1 000 000 d’euros par sinistres et 1 500 000 € pour une année" ou un mandat d’une entreprise assumant l’entière responsabilité des actes de l’intermédiaire.
- Un dispositif de protection contre "l’incapacité financière de l’intermédiaire (mandat d’encaissement, capacité financière de 4% du montant des primes annuelles (15 000 € minimum), comptes clients distincts ou fonds de garantie).
1.2. La mise en œuvre dans le cadre du Protocole de Luxembourg
Le cadre des échanges de données entre les autorités tenant les Registres nationaux a été encadré et précisé par le Protocole de Luxembourg(2). Ce Protocole a été élaboré sous l’égide du Comité européen des contrôleurs d’assurances et de pensions professionnelles (Committee of European Insurance and Occupational Pensions Supervisors - CEIOPS(3)).
Est ainsi proposée à l’article 2.2.3, dudit Protocole une définition de la LPS : "Un intermédiaire en assurance opère en LPS dès lors qu’il envisage d’offrir ses services à un assuré établi dans un État membre différent de celui où il est lui-même établi et que le contrat d’assurance couvre un risque situé dans un État (membre) différent de l’État (membre) où l’intermédiaire en assurance est établi". Par ailleurs, des exemples circonstanciés sont proposés, notamment pour appréhender l’exercice en LPS au regard de la commercialisation via internet.
D’autre part, ce Protocole offre un cadre juridique à l’insertion des États membres de l’EEE dans le marché unique de l’intermédiation en assurance et établit des recommandations en matière d’échanges d’information, de lisibilité des sites internet. Outre des précisions méthodologiques, ce document détaille la liste des informations transmises d’une Autorité à l’autre. Ainsi, pour une notification d’exercice en LPS ou LE, sont mentionnées les informations suivantes :
- Dénomination des sociétés / nom des personnes physiques.
- Adresse ou numéro d’immatriculation.
- Site internet du Registre local.
- Nom de l’Autorité de contrôle compétente.
- Le cas échéant, branche d’assurance exercée (vie /non-vie).
Au surplus, pour une notification d’exercice en LE, les informations suivantes sont transmises :
- Le cas échéant, la catégorie d’inscription locale.
- Le cas échéant, le nom du mandant.
- Adresse de l’établissement dans le pays-cible.
- Nom du responsable local.
2. Mais des obstacles majeurs demeurent
2.1. La faculté offerte aux États de renforcer ou d’ajouter aux exigences de la DIA
Comme évoqué précédemment, les règles statutaires d’exercice de l’intermédiation en assurance sont, sinon conformes, tout du moins harmonisées et font l’objet, in fine, d’une reconnaissance via le passeport européen. Toutefois, au titre des conditions et modalités d’immatriculation, l’article 4.6. de la DIA autorise les États membres à "rendre plus strictes les exigences énoncées" ou "à prévoir des exigences supplémentaires". Ainsi, à titre d’exemple, la France a renforcé les montants minimaux requis au titre de l’assurance de responsabilité civile professionnelle : 1 500 000 € par sinistre et 2 000 000 € par année(4). De même, les catégories d’inscriptions sont des catégories juridiques issues du droit local(5). De ce fait, la concordance entre les statuts et catégories entre deux États membres est source de difficultés pour les entreprises qui doivent se conformer à des corpus de règles différentes ou, éventuellement, d’incompréhension pour un consommateur.
Concernant les règles de commercialisation, le travail d’harmonisation est plus faible. Le considérant 20 et les articles 12 et 13 de la DIA posent une série de principes généraux : informations précontractuelles, recueil des exigences et des besoins du client, motivation du conseil fourni, information transmise au client sur support durable, avec "clarté et exactitude"… Toutefois, le considérant 19 et l’article 12. 5. ajoutent que des règles plus strictes peuvent être établies, sous réserve d’intérêt général (cf. infra). Par ailleurs, ces règles plus strictes doivent être communiquées à la Commission européenne. Ainsi, pour une très large part, les règles de commercialisation, sous réserve de la transposition de certaines directives sectorielles, sont fixées par le droit national.
Par ailleurs, en l’absence de système de reconnaissance des qualifications professionnelles, un intermédiaire autorisé à exercer en LE ou en LPS dans un État-cible sur la base des qualifications requises par son État d’origine, pourra se voir refuser l’accès à l’immatriculation dans ce même État-cible au motif qu’il ne remplit pas les qualifications requises par celui-ci.
2.2. Le flou de la question des "mesures d’intérêt général"
Afin de prendre en compte cette situation, le paragraphe 3 de l’article 6 de la DIA établit le principe de la publication des règles applicables dans le pays d’accueil : "Les autorités compétentes des États membres d’accueil peuvent prendre les mesures nécessaires pour assurer la publication de façon appropriée des conditions dans lesquelles, pour des raisons d’intérêt général, les activités concernées doivent être exercées sur le territoire". La DIA reprend la notion classique mais complexe en droit communautaire de règles d’intérêt général. En cette matière, la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) s’efforce d’écarter les règles nationales, qui ne sont pas justifiées par un impératif d’intérêt général, et par là-même, sont reconnues comme attentatoires à la libre circulation des services(6).
Toutefois, il convient de relever que cette publication est facultative et que les États ayant procédé à cette publication ont "tendance à qualifier d’intérêt général les dispositions impératives de leur législation nationale", comme le précise le professeur Jean Bigot(7). Dans le cas particulier de la France, aucune publication de ces règles n’a été effectuée.
Cette situation crée une incertitude juridique et potentiellement de disparités de concurrence entre intermédiaires inscrits à l’ORIAS et intermédiaires européens ayant notifié leur exercice en France. À titre d’exemple, la question de l’application aux intermédiaires européens exerçant en France des conventions entre producteurs et distributeurs pour la distribution des contrats d’assurance-vie(8) demeure pendante.
La DIA de 2002 marque ainsi une étape décisive dans la construction d’un marché unique européen de l’assurance mais une simple étape, compte tenu des mécanismes juridiques autorisant les États à compléter les règles applicables. Au surplus, il convient aussi de relever que la distribution transfrontalière est freinée par la nécessité de disposer d’une connaissance du marché et du droit local (droit des assurances, droit social, fiscalité…). Un pas significatif serait effectué si, dans le cadre de la révision de la DIA, les États étaient tenus de publier les "mesures d’intérêt général".
Grégoire Dupont
Nota : (1) Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 déc. 2002. (2) Protocole de Luxembourg signé le 28 avril 2006 et amendé en octobre 2008 disponible sur www.ceiops.eu (3) Dans le cadre de la refonte des organes de supervision financière au niveau européen, le CEIOPS deviendrait l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (European Insurance and Occupational Pensions Authority –EIOPA). L’ACAM et la DGTPE sont membres du CEIOPS. L’ORIAS a adhéré au Protocole de Luxembourg. (4) Art. A. 512-4 c. ass. (5) À ce sujet, voir le rapport annuel 2007 de l’ORIAS (point 4.3.2. - p. 34) – www.orias.fr (6) Bigot J. et Lange D., Traité de droit des assurances, L’intermédiation en assurance, t. II, LGDJ, 2nde édition, 2009, 235-236. (7) Bigot J. et Lange D., Traité de droit des assurances, L’intermédiation en assurance, t. II, LGDJ, 2nde édition, 2009, 235-236. (8) Obligation introduite dans le Code monétaire et financier et dans le Code des assurances par l’ordonnance n°2008-1271 du 5 déc. 2008. |
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