À l’époque, l’enterrement civil et la crémation, qui se développaient à l’étranger, étaient des moyens d’affirmer et d’afficher son hostilité envers l’Église. Une loi garantissant la liberté de déterminer le caractère civil ou religieux des obsèques devint alors nécessaire. Celle-ci fut promulguée le 15 novembre 1887 (JO, 19e année, n° 314, 18 novembre 1887).
Originellement conçue pour protéger le choix du caractère civil des funérailles, la loi des 15 et 18 novembre 1887 consacrait également la liberté pour chacun de décider du lieu et du mode de sa sépulture, ouvrant la voie à la reconnaissance de la crémation comme mode de sépulture légal.
La concrétisation de la volonté du défunt est malgré tout mise à mal, non seulement parce que l’exercice de la liberté des funérailles est délicat à rapporter (seul le formalisme du testament garantit le respect des dernières volontés) mais parce que cet exercice est encadré par le nécessaire respect de l’ordre public, limitant considérablement le choix du défunt sur le lieu, le mode et le caractère civil ou religieux des obsèques.
La loi des 15 et 18 novembre 1887 dispose dans son article 2 qu’"il ne pourra jamais être établi, même par voie d’arrêté, des prescriptions particulières applicables aux funérailles, en raison de leur caractère civil ou religieux", et dans son article 3 elle consacre la faculté pour chacun de donner un caractère civil ou religieux à ses obsèques.
Mais, il n’a pas toujours été aisé de préserver la liberté religieuse et de faire respecter le principe de laïcité de l’espace cemeteral et du service public funéraire. L’appartenance religieuse du défunt peut s’exprimer dans le déroulement des obsèques et il a d’ailleurs été jugé qu’en l’absence de volonté expresse manifestée par ce dernier, la famille pourra enterrer le défunt selon les rites de la religion à laquelle il appartenait sans pour autant que le maire puisse vérifier auprès de l’autorité religieuse que le défunt appartient bien à la confession revendiquée (TA Grenoble, 5 juillet 1993, n° 922676, Epx Darmon, JCP G 1994, n° 4, I, 22 198). Se pose alors le problème de la preuve de la volonté du défunt et de la survenance possible d'une contestation de la part des proches.
La circulaire NOR/INT/A/08/00038/C du 19 février 2008 rappelle ainsi que le maire, en cas de mésentente des membres de la famille sur le déroulement des funérailles, ne doit prendre aucune décision celle-ci relevant du juge civil.
Au début du XXème siècle, la reconnaissance d’un droit à organiser des funérailles civiles ou religieuses a été l’occasion de conflits entre des municipalités anticléricales et des familles exprimant, dans le déroulement des obsèques, l’attachement du défunt à sa religion.
Le juge est venu mettre un terme à ces situations et a rappelé les limites à l’exercice du pouvoir de police du maire. Ainsi, il ne peut prescrire l’enlèvement d’une croix, d’inscriptions ou d’emblèmes religieux placés sur une tombe (CE, 12 janvier 1910, Rec. p. 49) ou interdire d’une manière générale toute célébration du culte religieux sauf à démontrer une violation manifeste du respect de l’ordre public.
Aussi, au titre de la police du cimetière et des funérailles, lorsque l’expression du sentiment religieux risque de générer des troubles à l’ordre public, le maire peut prendre toutes les mesures qu’il juge utiles et opportunes afin d’assurer le bon ordre (CE, 12 mai 2004, n° 253341, Association du Vajra Triomphant).
Il faut également rappeler que les manifestations d’attachement à une religion doivent se conformer à la législation en vigueur et notamment celle touchant à la salubrité publique.
La loi des 15 et 18 novembre 1887 a consacré le droit pour toute personne de choisir son mode de sépulture. Cependant, il découle de la réglementation en vigueur que le défunt n’a en réalité le choix qu’entre l’inhumation et la crémation.
Tout autre mode de sépulture est en effet soit interdit, soit tombé en désuétude. L'étendue de ce choix fut confirmé par deux affaires dans lesquelles des familles souhaitaient conserver dans le froid les cadavres de leurs parents décédés.
Plusieurs difficultés font obstacle à la reconnaissance de la légalité de la cryogénisation comme mode de sépulture : L’incompatibilité de celui-ci avec la réglementation en vigueur, la question du nécessaire respect de la salubrité publique, les doutes quant au statut juridique du "cryonaute". Conserver un corps indéfiniment va à l’encontre des dispositions du CGCT qui réglementent notamment la durée de conservation du corps avant l’inhumation ou la crémation (CGCT Art. R. 2213-33).
De plus, la mise en bière est obligatoire avant toute inhumation ou crémation, et la conservation d’un corps dans un congélateur ne peut être qualifiée de mise en bière au sens de l’article R. 2213-15, al. 1er du même code.
Le Conseil d’État rappelle ainsi les conditions restrictives dans lesquelles l’inhumation en terrain privé peut être autorisée et pose le principe selon lequel "la conservation du corps d’une personne par un procédé de congélation n’est pas un mode d’inhumation prévu par les dispositions législatives ou réglementaire" (CE, 29 juillet 2002, n° 222180, Cts Leroy, Droit et Patrimoine, n° 110, décembre 2002, p. 85).
Dans une décision du 6 janvier 2006, le juge précise cependant que les articles 8 et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales protègent le choix du mode de sépulture car il est "intimement lié à la vie privée" mais ce choix peut faire l’objet de restrictions "notamment dans l’intérêt de l’ordre et de la santé publics" (CE, 6 janvier 2006, n° 260307, Martinot et a., AJDA 2006, p. 757).
Plus récemment, la Cour européenne a précisé que l’ingérence des États dans la police des sépultures doit être sous-tendue par la protection de l’ordre, de la morale et des droits d’autrui. La Cour estime en effet que les autorités suédoises pouvaient refuser à la veuve le déplacement de l’urne funéraire de son époux pour protéger les droits d’autrui.
En l’occurrence, il s’agit du droit du défunt sur sa dépouille mortelle, c'est-à-dire "le droit des personnes en vie de se voir assurées qu’après leur décès, leur dépouille sera traitée avec respect". L’État doit ainsi mettre en balance le nécessaire respect de la paix des morts et l’intérêt de l’individu, l’urne ne pouvant être déplacée en l’absence de preuve que la volonté du défunt n’a pas été respectée (CEDH, 17 janvier 2006, n° 61564/00, Elli Poluhas Dödsbo c/ Suède, AJDA 2006, p. 470).
La Cour met alors en évidence la nécessité de respecter la liberté des funérailles, au sens de l’article 8, mais précise que la réglementation funéraire des États peut légitimement en limiter l’exercice pour des raisons tirées de la protection de l’ordre public.
D’un côté, la Cour consacre l’impérieux respect de la volonté du mort, de l’autre, elle précise que cette volonté peut être limitée par les États dans un but légitime : La protection de l’ordre public.
À l’endroit du cimetière, le maire tire ses pouvoirs de police de l'article L.2213-7 du CGCT. Aussi, l’omniprésence du maire dans la délivrance des diverses autorisations nécessaires à l’inhumation est justifiée par l’obligation de faire respecter l’ordre public, en dépit de la limitation qu’elle peut apporter à l’accomplissement de la volonté du défunt.
Par exemple, dans le respect de la volonté du défunt ou par désir de témoigner son attachement à ce dernier, la famille peut apposer une inscription sur la sépulture. Cependant, toute inscription sur le tombeau est soumise à l’approbation préalable du maire qui pourra interdire ou supprimer toute expression injurieuse, inconvenante ou de nature à troubler l’ordre public (CGCT Art. R.2223-8). Dès lors, en ce qui concerne les emblèmes, un svastika apposé sur une tombe, bien qu’étant un symbole religieux hindou, devra être refusé par le maire en raison des troubles évidents que sa présence sur une sépulture pourrait causer.
À l’endroit du tombeau, l’article L.2223-13 du CGCT reconnaît au concessionnaire le droit d’élever un monument funéraire sur son terrain et d’y construire des caveaux. Mais bien que le maire puisse arrêter un règlement intérieur qui rappellera les lois en vigueur et les mesures propres à assurer le bon ordre, la décence, la sûreté et la salubrité publiques, il ne peut définir les caractéristiques des monuments construits ou les soumettre à autorisation préalable (CE, 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute Garonne, AJDA 1972, p. 250).
Cependant, il n’est pas douteux que le maire puisse s’opposer à l’édification d’un monument à caractère injurieux, risquant de provoquer un trouble à l’ordre public ou en raison de circonstances locales.
La réglementation en vigueur, en ce qui concerne l’inhumation, encadre l’exercice de la liberté des funérailles. A contrario, la réglementation entourant la crémation semble bien plus permissive aussi bien du point de vue du statut des cendres que de leur destination. Longtemps pratique minoritaire en France, la crémation connaît une croissance exponentielle depuis ces vingt dernières années.
La situation juridique actuelle de la crémation est paradoxale, d’un côté, tant que le corps n’a pas été crématisé, il doit obéir aux mêmes interdits et aux mêmes délais qu’en vue d’une inhumation, de l’autre, le CGCT ne règle pas le statut légal des cendres mais seulement les destinations possibles de celles-ci de manière très libérale. L’urne peut ainsi être déposée dans l’espace cemeteral ou cinéraire, scellée sur un monument funéraire (CGCT Art. R. 2213-39 al. 2) ou déposée dans une propriété privée (CGCT Art. R. 2213-39 al. 3). Les cendres peuvent être dispersées en pleine nature (CGCT Art. R. 2213-39 al. 4), ou encore déposées dans la partie du cimetière ou du site cinéraire spécialement aménagé à cet effet (CGCT Art. R. 2213-39 al. 5). La personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles peut également emporter l’urne à son domicile. Mais il n’y a absolument aucun contrôle sur leur devenir après cette "privatisation" : Elles peuvent remplir un pendentif, servir à la composition d’une œuvre d’art, être vendues aux enchères publiques voire jetées au rebut.
En effet, les cendres ne sont pas protégées, comme peut l’être le cadavre, contre toute forme d’atteinte. Certains militent pour que seuls les dépôts dans un espace cemeteral soient admis. Actuellement, l’article R.2213-34 du CGCT dispose que la crémation est autorisée par le maire mais elle ne peut être accordée qu’au vu de l’expression écrite des dernières volontés du défunt ou à défaut, à la demande de toute personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
La circulaire du 19 février 2008 vient d'ailleurs rappeler aux maires que la crémation est interdite dans les confessions juive et musulmane et demande ainsi aux élus chargés de délivrer l'autorisation de crémation d'être particulièrement vigilants si un désaccord survenait dans la famille du défunt sur ce mode de sépulture.
Si le maire a un doute quant à la réalité de la volonté du défunt, il doit saisir le procureur de la République qui décidera de la suite qu'il convient de donner. D'après les textes, c'est la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, par l’absence de volonté rapportée du défunt, qui va décider du mode de sépulture et du devenir de ses cendres.
Cependant, le décret n° 2007-328 du 12 mars 2007 relatif à la protection des cendres funéraires (JORF, n° 61, du 13 mars 2007) a tenté d'opérer une traçabilité des cendres. En effet, le texte est venu modifier l'article R. 2213-39 du CGCT et oblige aujourd'hui le dépositaire de l'urne funéraire à déclarer la destination des cendres auprès du maire de la commune du lieu de dépôt, d’inhumation de l’urne ou de la dispersion des cendres et requiert une autorisation de ce dernier pour toute inhumation, dépôt ou dispersion des cendres dans le cimetière.
De plus, la circulaire du 19 février 2008 rappelle aux maires que lorsqu'il est mis fin au dépôt de l'urne en terrain privé, effectué après déclaration désormais, le dépositaire de l'urne doit pourvoir à son inhumation ou à son dépôt dans un cimetière. Mais en pratique comment contrôler le respect de cette disposition fixée par l'article R. 2213-39 du code ?
La détermination du lieu de la sépulture connaît une double limite tenant à l’étendue du droit à la sépulture et au lieu lui-même. Les articles L. 2213-7 et L. 2223-3 du Code général des collectivités territoriales consacrent le droit à une sépulture. La sépulture est donc un droit, mais un droit qui concerne territorialement un nombre limité d’individus : Elle est due aux personnes décédées sur le territoire de la commune, aux personnes domiciliées dans celle-ci, aux personnes qui y ont "un droit à une sépulture de famille".
La définition est certainement trop restrictive car elle exclut les personnes qui, ne satisfaisant pas aux conditions du Code, ont pourtant des liens avec la commune. Aussi, le juge administratif a étendu ce droit aux défunts qui ne sauraient être considérés comme étrangers à la commune parce qu’ils y sont nés, y ont vécu une grande partie de leur vie ou que plusieurs membres de leur famille y sont inhumés (CE, 25 juin 1948, Dame Plisson, Rec. p. 294).
Dans le même sens, le Conseil d’État dépasse le caractère restreint du droit à concession, les seuls motifs de refus d’acquisition d’un tel terrain étant la nécessaire préservation de l’ordre public ou l’absence d’emplacement disponible dans le cimetière (CE, Sect., 5 décembre 1997, n° 112888, Cne de Bachy c/ Mme Saluden-Laniel, AJDA 1998, p. 258).
A l'endroit de l'espace cemeteral et aux termes du CGCT, aucune inhumation ne peut avoir lieu dans les lieux cultuels ou les hôpitaux, "dans aucun des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes" (CGCT Art. L.2223-10). Cette disposition, issue du décret du 23 prairial an XII, a été édictée dans un but de salubrité publique.
C’est encore aujourd’hui la préoccupation première et légitime de la législation funéraire, ce qui rend délicate la possibilité d’inhumer les personnes décédées dans d’autres lieux que le cimetière communal. En effet, seul ce dernier garantit le respect des normes sanitaires et le respect dû aux morts, ce qui est plus problématique à l’endroit des inhumations en terrains privés, moins contrôlés en pratique par l’autorité de police.
Malgré cela, l’inhumation sur une propriété privée est possible, mais l’obtention d’une telle autorisation administrative est très rare tant les conditions sont restrictives (CGCT Art. L.2223-9). Le risque réside notamment dans l’impossibilité de garantir la non atteinte au corps notamment à une époque où les propriétés privées changent fréquemment de titulaires.
La législation funéraire encadre ainsi limitativement la volonté du défunt quant à l’organisation de ses funérailles. L’étendue de la liberté de chacun de disposer de sa dépouille mortelle après sa mort apparaît très restreinte, au point qu’il est possible de se demander si les atteintes à la liberté des funérailles ne sont pas disproportionnées par rapport à l’atteinte qui est porté à l’ordre public. Une refonte du droit funéraire semble nécessaire pour pallier les paradoxes de la législation, très rigide sur le statut du cadavre et ses destinations possibles et inversement trop libérale sur la question des cendres.
Marion Perchey
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