Dans notre précédent article publié dans les colonnes de Résonance du mois d’octobre, nous avions mis l’accent sur la spécificité du droit applicable aux concessions dans les cimetières, qui est situé à la frontière du droit privé et du droit public, tout en mentionnant que ce constat était également valable pour le domaine des pompes funèbres.
Les associations, entreprises ou régies habilitées sont soumises à un régime de droit public en ce qui concerne leur statut de gestionnaire d’une mission de service public.
En effet, l’article 1er de la loi du 8 janvier 1993, codifi ée à l’article L.2223-19 du Code général des collectivités territoriales prescrit :
"Le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public…".
Les mécanismes institués postérieurement à la promulgation de la loi ont manifestement affirmé la tutelle de plus en plus prégnante de l’État sur le domaine funéraire.
Nous avions, dans un article publié dans Résonance, défini les contours de cette notion de mission de service public confi ée aux entreprises privées ou associations qui n’est pas nouvelle en droit public, dès lors qu’elle associe un organisme privé à la gestion d’un service public, même si celui-ci avait relevé durant près de quatre-vingt-dix ans d’un monopole communal.
Le développement de la gestion d’un service public par des personnes privées connaissait avant la loi du 28 décembre 1904 une application ancienne avec la concession du service public. Au fil du temps cette situation est devenue de plus en plus fréquente.
Actuellement, si la gestion d’un service public par une personne publique constitue toujours un principe de base, de nombreux cas se sont développés dans lesquels l’exécution du service est confiée à une personne privée. Lorsque l’administration confi e le soin de gérer un service public à une telle personne, cela se traduit par la naissance d’une mission de service public confi ée à un organisme privé.
Cette mission peut résulter de la loi : tel est le cas depuis le 8 janvier 1993 pour le secteur des pompes funèbres. Aujourd’hui, on ne voit dans le service public qu’une activité, celle des éléments constitutifs du service extérieur des pompes funèbres (article L. 2223-19 du CGCT), dont seul le sens matériel permet de rendre comparable la notion de service public appliquée aux personnes privées et publiques.
Les conséquences attachées à cette notion de service public, portent principalement sur le régime juridique applicable aux gestionnaires de la mission, dès lors qu’elle est confi ée à des organismes privés.
Si l’on se réfère aux principes traditionnels dégagés par la jurisprudence administrative, les services publics seraient assujettis à trois lois, qualifi ées de lois de Rolland, du nom du juriste contemporain qui les avait formulées : loi de continuité, loi d’égalité, loi d’adaptation.
La généralité d’application de ces principes a été proclamée par la jurisprudence et notamment dans le cas où le service est accompli par une personne privée : l’autorité administrative peut utiliser ses pouvoirs pour imposer leur respect dans les limites de l’activité de service public de l’entreprise privée.
Le principe de continuité du service public est attaché à la portée de la mission de service public qui répond à un besoin impérieux d’intérêt général pour la vie nationale ou locale. Il se traduit matériellement par une obligation d’agir pour les autorités administratives, lesquelles doivent prendre toutes mesures pour assurer le fonctionnement régulier et ponctuel du service ou édicter les mesures nécessaires pour l’exécution des lois et règlements, leur inertie étant susceptible d’être sanctionnée. Dans ce cas, c’est l’autorité de tutelle qui se doit d’intervenir : or, cette obligation est difficile à mettre en oeuvre dans la mesure où, actuellement, dans le domaine funéraire, entendu au sens des pompes funèbres, le législateur n’a pas expressément désigné l’autorité compétente pour exercer les prérogatives de "gendarme du service public".
En ce qui concerne l’adaptation du service, il appartient au législateur ou au gouvernement, titulaire du pouvoir réglementaire, de prendre les décisions afférentes à l’adaptation des règles applicables à l’exercice de la mission de service public en fonction de l’évolution des circonstances, notamment de fait, tels les besoins de la société. Pour les services industriels et commerciaux, en rapport direct avec le service des pompes funèbres, le critère de l’adaptabilité peut générer pour l’usager des contraintes, telle l’augmentation des tarifs.
La continuité du service public a aussi des effets au niveau du personnel, y compris celui des entreprises privées, des restrictions ayant été apportées par la loi du 31 juillet 1963 à l’exercice du droit de grève.
Mais c’est surtout par l’effet du deuxième principe, celui de l’égalité devant le service public et son corollaire, le principe de neutralité, que sont marquées également les différences qui existent aujourd’hui entre les services publics instaurés par les communes pour la gestion du service extérieur des pompes funèbres et les entreprises privées ou associations.
Le principe de l’égalité puise son essence dans l’idéal démocratique qui se lie au concept de liberté depuis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : il s’ensuit que les usagers des services funéraires ont le droit de bénéficier des prestations proposées par les organismes habilités, sans discrimination possible, car ils se trouvent, en tant que citoyens, dans une situation comparable, au sein d’un marché qualifié de "pertinent" par le conseil de la concurrence.
La neutralité, ensuite, conséquence de la non-discrimination entre les usagers, doit écarter les organismes se recommandant d’une religion : c’est aussi la traduction de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, confirmée par la loi du 3 mars 2004, interdisant à une association cultuelle de s’ingérer dans la création ou la gestion du service extérieur des pompes funèbres.
D’autres règles de droit public régissent les opérateurs funéraires.
Nous citerons les principales, étant précisé que leur étendue est très vaste et ne peut être relatée dans un article de synthèse.
- Le décret du 9 mai 1995, portant règlement national des pompes funèbres, texte essentiel en matière d’information des familles, d’établissement des devis et bons de commandes, de la formation des personnels (conseillers funéraires, responsables de succursales et d’établissements principaux, y compris les équipements funéraires dont chambres funéraires et crématoriums), des procédures applicables aux contrats de prévoyance funéraire (complétées par la loi du 9 décembre 2004, articles 11 et 12).
- Le règlement municipal des pompes funèbres, dans les communes où il a été instauré,
- Le régime de l’habilitation funéraire, décret du 21 mars 1995, étendu à tous les opérateurs, y compris les régies municipales qui en étaient jusqu’alors exemptées.
- Les prohibitions instaurées par la loi du 8 janvier 1993 pour l’exercice des fonctions de dirigeants d’associations, entreprises, et régies municipales de pompes funèbres.
- Le droit de la concurrence, anciennement édicté par l’ordonnance du 1er décembre 1986, modifiée, dont les principales dispositions sont codifiées désormais dans le Code du commerce.
- L’arrêté du 11 janvier 1999 sur les obligations commerciales et tarifaires des opérateurs de pompes funèbres.
- Les mesures de police municipale, les autorisations administratives consécutives au décès, et les sanctions administratives susceptibles d’être infligées par le préfet (suspension ou retrait de l’habilitation).
- L’interdiction de démarchage à domicile ou dans les lieux publics.
En revanche, et cela constitue une dépendance à l’égard du droit privé, l’usager des services industriels et commerciaux et des entreprises privées se trouve dans une situation contractuelle régie par le Code civil (articles 1102, 1106, 1134 et 1147) et le Code de la consommation (article 113-3), quel que soit le statut de l’opérateur auquel il s’adresse, car il est avant tout un client.
Les contentieux afférents aux contestations entre les familles clientes et l’entrepreneur, notion entendue au sens large du terme car englobant les régies communales, ressortent de la compétence des tribunaux judiciaires.
Il n’en demeure pas moins qu’il existe un profond décalage entre le régime juridique des services publics en gestion publique, comme les régies municipales ou intercommunales et les entreprises privées, au plan de leur statut, de leur organisation et de leur activité.
La régie est soumise à un régime de droit public, y compris pour ses personnels ayant conservé leur statut de fonctionnaires territoriaux qui bénéficient de garanties, telles la stabilité de leurs emplois et le processus de carrière, avancement en grades et en échelons qui renchérit le coût des masses salariales (rémunérations et charges patronales).
Toutefois, le droit privé n’est pas pour autant ignoré, depuis la fin des droits d’exclusivité les régies lui sont soumises, en tant que services industriels et commerciaux, les personnes recrutées après la fin effective du monopole, conformément à la circulaire du ministère de l’Intérieur du 12 décembre 1997, sont des contractuels, donc relevant du droit privé.
Quant aux entreprises privées, gestionnaires de la mission de service public, elles sont soumises, pour l’essentiel à un régime de droit privé, pour les relations avec le personnel, qui relève uniquement du Code du travail et de la Convention collective des personnels des métiers du funéraire, les usagers, dont les contrats de vente, les dommages subis par des tiers, ainsi que les relations du service avec ceux-ci.
Cependant, au niveau des sanctions pénales, tel que rédigé, en sa forme actuelle, l’article L. 2223-35 du Code général des collectivités territoriales, semble exclure les régies de son champ d’application.
En outre, nous relèverons que la transgression des deux règlements des pompes funèbres (national et communal) ne peut être sanctionnée que par le préfet, le maire ne disposant que de la faculté de dresser procès verbal des infractions, qu’il peut adresser au préfet ou au procureur de la République.
La prédominance du droit public semble néanmoins la plus forte, opinion confortée par l’adoption par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2008 de la loi qui a globalement renforcé la mainmise de l’État sur le secteur des pompes funèbres, en organisant, notamment, le régime de la crémation et en dotant les cendres d’un véritable statut juridique.
Jean-Pierre Tricon
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