Le cadavre est le corps d’un humain ou d’un animal qui étaient vivants et qui sont maintenant morts. Il est ce corps qui a été vivant et qui ne l’est plus. Le cadavre n’est plus une personne – elle est morte – mais une chose, une chose très particulière. Regardons le cadavre, ce qui n’est pas toujours si simple, et nous y discernons des caractères bien spécifiques : Il est nécessaire, incontournable, il est transitoire, il est un des représentants de la mort et il est une partie importante du mort. Le cadavre est enfin le siège de représentations et d’émotions très contrastées.
Le cadavre inspire à la fois de la piété et de la répulsion mais habituellement pas aux mêmes moments. C’est son évolution inéluctable et plus encore l’anticipation de cette évolution qui terrifient. Il ne peut échapper, à un rythme plus ou moins rapide à la thanatomorphose qui est un joli mot pour désigner le pourrissement, la pourriture ! La piété, sous différentes formes, se manifeste au début dans les premiers temps qui suivent la mort alors que le corps se refroidit et se rigidifie. Ce sentiment d’affection, d’affliction et de respect - car la mort et le mort inspirent le respect - intéresse le défunt qui n’est pas encore un cadavre. Ce défunt a presque encore l’aspect habituel de la personne lorsqu’elle dormait, parfois en mieux lorsque le visage est détendu, souriant parfois ou que les soins post-mortem lui ont donné un aspect paisible, parfois moins bien lorsque les traits sont crispés, laissant penser, avec peine, que le défunt (pas encore cadavre) a souffert physiquement ou moralement. Cette piété, ce sentiment presque religieux, se manifeste dans les heures qui suivent le décès par le désir de rester en présence du corps, de ne pas le quitter, de ne pas le voir partir. L’acceptation de la réalité de la mort ne se fait pas en quelques instants et même des moments d’incrédulité réapparaissent parfois transitoirement bien après. La tradition de veiller les morts est ancestrale, millénaire et n’a pas disparu, quoi qu’on puisse parfois en dire ; elle s’est modifiée. Il s’agissait d’abord de vérifier que la personne était bien constamment morte ; il s’agissait aussi de lui témoigner du respect, des égards, de signifier son importance – et cette veillée a, au-delà de son expression familiale et amicale une dimension sociale – mais aussi surtout de lui manifester encore son attachement et son affection lorsque le défunt est une personne très aimée : On le touche, on le caresse, on l’embrasse, on lui parle doucement, on le regarde aimablement. La personne qui vient de mourir n’est pas encore au royaume des morts ; elle est encore pour quelque temps tant que nous nous tenons près d’elle, au bord du royaume des vivants qu’elle est en train de quitter. Mais dans les manifestations mêmes de cette affection et de ce chagrin une certaine réserve est de mise, une réserve respectueuse qui signifie déjà une prise de distance.

Le temps passe : Les premiers signes de cadavérisation apparaissent : Des taches, des écoulements, des odeurs, des changements d’aspect et de couleur de la peau ; le défunt devient de plus en plus cadavre, de plus en plus étranger. L’entourage se tient à distance . Le respect s’accroît mais ce n’est pas le même : L’affection a fait place à la crainte, à l’appréhension, à la peur. Parfois déjà l’horreur arrive si les signes patents de la thanatomorphose se manifestent. Alors la personne morte, le défunt, son corps sont devenus cadavre dont justement la singularité, l’essence en quelque sorte, est d’être voué à ce devenir de dégradation par pourrissement. L’horreur devant cet état est une évidence universellement partagée. Mais peut-on s’interroger sur ses fondements ? Certes les odeurs, les images – celles de la charogne attaquée par les vers, mouches, les larves et autres insectes les bruits en sont en eux-mêmes plus que désagréables et pénibles. Certes il est douloureux de voir une personne aimée finir de cette manière. Mais le plus insoutenable n’est-il pas que la crainte de ce spectacle que nous ne voyons pratiquement jamais nous oblige à anticiper notre propre mort et à réaliser que nous, notre corps du moins, finirons de cette manière, cadavre et décomposition.

Ce travail de décomposition est pourtant en action dès le début de la vie qu’il accompagne - la mort est toujours présente dans le vivant - au niveau de nos cellules (apoptose) comme au niveau de nos organes qui ne cessent de se renouveler. Mais elle n’est guère visible et surtout elle est au service de la construction de la vie. L’idée, la perspective de notre propre mort est, en elle-même, déjà pénible la plupart du temps pour la plupart des gens : Elle signifie notre fin, même si l’on croit qu’elle n’est ni totale ni définitive. L’idée de la décomposition de notre corps en rajoute.

Incontournable, le cadavre est cependant dérobé à la vue non seulement parce que sa vue n’est pas ragoûtante mais tout autant parce qu’il est ressenti dangereux. Il est vrai que la pestilence et l’infection, sa septicité peuvent rendre malade. Mais des fantasmes ancestraux, retrouvés sous des formes plus ou moins ritualisées et élaborées dans de multiples civilisations reposent sur la crainte du retour et de la vengeance des morts. C’est aussi une des raisons pour lesquelles des devoirs socialement codifiés doivent leur être rendus afin qu’ils laissent en paix les vivants. Dans un célèbre et classique article de 1907, Robert Hertz a établi un parallèle entre le temps du pourrissement du cadavre jusqu’à devenir squelette et celui des cérémonies funéraires comportant des doubles obsèques comme celui du deuil des survivants.

Le cadavre est nécessaire et indispensable psychologiquement pour le deuil de la famille et de l’entourage et socialement pour le raffermissement de la cohésion du groupe d’appartenance. Son absence est toujours grave ; elle est très mal vécue. Aussi les corps des défunts sont-ils soigneusement recherchés. Seul le cadavre des réprouvés est voué à l’abandon, ce qui était le cas des personnes victimes d’une mauvaise mort, comme chez nous jadis les suicidés. Le corps est nécessaire pour s’assurer qu’il est bien mort, le constater de ses propres yeux afin de ne plus pouvoir nier cette évidence ; tout évidente qu’elle soit, elle n’est pas facilement acceptée. Cette présence du cadavre est aussi nécessaire en raison des devoirs qu’il est indispensable de rendre au défunt ; ils sont les garants de la paix que doit trouver le mort et de la paix entre les vivants et les morts. L’aspect du corps du défunt est aussi d’une très grande importance comme je l’ai déjà évoqué. Il peut arriver que le corps soit abîmé, défiguré, amputé. Alors surgit un conflit entre le besoin de voir le mort et celui de ne pas être confronté à d’affreuses images. C’est souvent l’entourage, même professionnel, qui tente de décourager les endeuillés de venir voir le corps endommagé de leur défunt. Voir le défunt est une nécessité incontournable même pour les enfants. Aussi le corps doit-il être préparé et parfois une partie seulement peut en être montrée.

Le temps du cadavre se situe entre le défunt des premiers jours qui suivent la mort et le squelette ; c’est un temps des plus variables selon l’état du corps, les raisons médicales de sa mort, la nature du cercueil dans lequel il a été déposé et celle du terrain où repose ce cercueil, en particulier son degré d’humidité et d’acidité. Ce laps de temps est très habituellement considéré comme une période difficile ; c’est celle des rites et du deuil qui ont aussi pour but d’accompagner le défunt dans son voyage vers l’au-delà, le paradis des religions du livre, le pays des ancêtres dans les religions animistes. C’est une croyance presque universelle que le comportement des vivants influence le destin des morts. Tel est le fondement des devoirs à rendre au défunt : Faire ce qu’il faut pour lui assurer la paix afin qu’il nous laisse en paix. Une partie de la peur des morts provient des sentiments de culpabilité retrouvés dans pratiquement tous les deuils. C’est la conscience qui reproche et torture, qui fait craindre la vengeance des morts au prorata des défaillances voire des conflits qui ont existé avec eux de leur vivant. Ainsi le cadavre est un mort en transition vers un état plus stable alors que parallèlement le deuil des personnes de l’entourage s’est lui aussi stabilisé à sa manière : La présence intérieure du défunt a pris le pas sur sa dépouille et ses traces dans le coeur de l’endeuillé.

Le cadavre est aussi une représentation générale, essentielle et concrète de la mort. Cherchons dans nos souvenirs culturels, dans la peinture, la sculpture, la musique, la littérature, le cinéma, la mort, comme l’amour, est partout. Elle est souvent représentée par un squelette, mais elle l’est aussi assez souvent par un cadavre. Pour ce qui est des arts plastiques et de la musique, l’iconographie religieuse y était pour beaucoup : Cadavre du Christ, cadavre des saints, des martyrs. La religion a également promotionné les reliques, statut tout à fait particulier du cadavre : Idéalisé, morcelé, disputé, arraché à la destruction et, de ce fait, immortalisé dans son statut de cadavre mais de cadavre anobli, bénéfique et précieux.

Représentant de la mort dans son statut de destin inévitable et sous ses aspects les plus durs, le défunt corps cadavre est aussi celui de sa dimension de destruction. Aussi même vénéré au début, bientôt le cadavre gêne : Il doit être mis hors la vue, caché. Mais l’idée est également venue, il y a fort longtemps, de pouvoir s’en débarrasser : Supprimer le cadavre. C’est bien le but de la crémation.

Conclusions :

Il me semble que, en terminant, il est souhaitable que nous nous tournions davantage vers les familles car il est exceptionnel qu’un défunt cadavre soit complètement isolé, qu’il n’y ait personne autour de lui. Comme Jean-Yves Noël vient de le rappeler "la famille est le prolongement du défunt".

Le cadavre, le corps du défunt, a une très grande importance dans le deuil. Est-il nécessaire de rappeler une nouvelle fois qu’il est indispensable de voir le corps du défunt – son cadavre – et que c’est encore plus indispensable pour les enfants qui doivent être accompagnés pour ce faire. Il est même souhaitable de le toucher, de l’embrasser, de lui parler, mais là chacun fait comme il l’entend au mieux de ce qu’il sent pour lui-même. Et s’il est très important d’y accompagner les enfants, il n’est en aucune occasion question de les obliger à quoi que soit.

Ceci est le premier pas des devoirs à rendre au défunt, ensuite viendront les funérailles, l’inhumation et le souvenir. Ces devoirs à rendre au défunt, en son cadavre, sont essentiels pour le travail de deuil : Ils sont l’occasion de pouvoir exprimer ouvertement son chagrin, ils sont la possibilité de reconnaître concrètement son état de bien mort, ce qui aide à l’acceptation, rationnellement évidente, inconsciemment toujours problématique. Enfin tous ces devoirs rendus, plus simplement ces gestes d’affection, de piété soulagent les sentiments de culpabilité qui sont toujours présents dans chaque deuil car nous avons toujours des choses à nous reprocher vis-à-vis du défunt.

Et maintenant terminons par quelques propositions concrètes :

1 - Au niveau des chambres mortuaires et des funérariums :
  • Faire en sorte que les familles puissent aller retrouver leur défunt à toute heure du jour et de la nuit y compris les dimanches et jours fériés grâce, par exemple (Lausanne), à une carte magnétique qui leur ouvrirait l’accès ?
  • Ne serait-il pas souhaitable de mettre en place dans ces structures des équipes de bénévoles pour accueillir les familles, tout en veillant à ce qu’ils ne soient pas utilisés pour remplacer des professionnels ?
  • Dans les chambres mortuaires et funéraires et dans les crématoriums peut-on mettre en place un espace enfants où ils pourront être accueillis, trouver l’occasion de dessiner, regarder des vidéos sur le deuil adaptées à leur âge ?
2 - Maintenant au niveau des cadavres eux-mêmes :
  • Comme il semble, d’après certains témoignages autorisés, que tout ne se passe pas dans le respect dans certaines chambres anatomiques qui rassemblent les corps donnés à la science, il est proposé de prendre contact avec les responsables afin de les sensibiliser avec doigté à cette question.
  • N’est-il pas possible également, au moins certaines fois, de proposer à la famille de participer, dans la mesure où elle le souhaite, à la toilette, à la vêture et à la mise en bière ?
  • Reste la question des photos : Elles sont maintenant quasi systématiques pour les enfants et foetus morts en maternité, ne serait-il pas utile d’étendre cette pratique pour les adultes, photos qui seraient conservées à la disposition des familles dans la suite ?
    Dans ce cas, un appareil numérique est nécessaire dans chaque service.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations