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Au cimetière de Thiais, dans le Val-de-Marne, des bénévoles accompagnent les enterrements de sans domicile fixe, personnes âgées ou accidentés. Des défunts anonymes dont personne n’est jamais venu réclamer le corps. Article publié dans Le monde daté du 16 février 2010 et reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur : Catherine Rollot.

Les compagnons du dernier voyage


Deux fois par semaine, au cimetière parisien de Thiais (Val-de-Marne), se tiennent des enterrements où jamais personne ne pleure. Des inhumations où cependant la dignité est respectée grâce à un petit pot de fleurs et quelques mots. "Reposez en paix, Jean-Mary."

Dominique Guyot n’a jamais connu Jean-Mary. Mais en tant que bénévole du " collectif Les Morts de la rue ", il a tenu en ce lundi de janvier à lui rendre un ultime hommage. "Qui étiez-vous ? Que faisiez-vous à Paris ? De quoi êtes-vous décédé ?... Nous ne savons rien de vous, mais nous sommes là en simples témoins de votre fin de vie pour vous assurer de notre solidarité..." La voix de Dominique s’élève dans l’immensité des 103 hectares du cimetière de Thiais, le second par la taille en Europe.

L’histoire de Jean-Mary, comme celles de Dobrosan, Pascal et Georges, enterrés le même jour, restera mystérieuse. Tous font partie de ces morts "abandonnés" que personne n’est venu réclamer. Sans domicile fixe, personnes âgées, accidentés, étrangers en situation irrégulière, défunts dont les familles ou proches n’ont pas été retrouvés ou n’ont pu être présents... des hommes et des femmes aux trajectoires singulières mais unis dans la précarité ou l’isolement.

Depuis 2004, par convention avec la mairie de Paris, l’association accompagne les morts isolés dans leur dernière demeure. Là, ceux que l’on appelle encore "les indigents" sont enterrés gratuitement par la collectivité dans une des six divisions qui leur sont réservées. 3600 caveaux blancs anonymes avec pour seul signe distinctif un chiffre sur les côtés. Chaque année, entre 300 et 400 personnes sont ainsi inhumées.

Bonnet sur la tête, chaussures de montagne aux pieds, Dominique Guyot et Claire Michel se sont retrouvés à 8 h devant l’Institut médico-légal de Paris. Les deux bénévoles ne se connaissaient pas. Une brève présentation, et les voilà coéquipiers pour la matinée. Portes ouvertes devant l’entrée de service de la "morgue", un fourgon gris attend. La procédure est toujours la même. L’employé des services funéraires de la ville de Paris s’occupe des formalités. C’est aussi lui qui conduira le fourgon jusqu’au cimetière, les deux bénévoles à ses côtés.

Dans le petit matin glacé, Dominique Guyot et Claire Michel patientent. Comme tous les accompagnants du collectif, ils ont tenu à être présents, au départ du convoi, même si tout se fait à l’abri de leurs regards. "On ne voit même pas les personnes qui chargent les cercueils dans la camionnette. Une fois, nous nous sommes retrouvés avec un cercueil de trop", explique Claire Michel. Le lundi, l’association récupère les corps à l’Institut médico-légal, le mercredi, dans les chambres funéraires des hôpitaux parisiens.

Sur les 200 bénévoles que compte le collectif, une soixantaine font des accompagnements, jamais plus d’un par trimestre. "Les responsables font bien attention à ce que le tour de chacun ne revienne pas trop souvent. Ce serait morbide de se focaliser uniquement sur cet engagement. Il faut être bien dans sa tête", considère Dominique Guyot. Ce fonctionnaire à la retraite a connu le collectif en faisant des recherches généalogiques. "Je me suis aperçu que beaucoup de gens mouraient seuls, ça m’a révolté."

À 65 ans, il a toujours la fibre sociale. Ancien syndicaliste, il a été premier secrétaire national de la CFDT-ANPE. Se retrouver au cimetière pour accompagner un mort isolé est pour lui un "devoir de citoyen". "De leur vivant, les personnes ont droit à la présence d’un avocat. À leur mort, il est normal qu’il y ait quelqu’un qui puisse assurer que l’inhumation s’est faite dans la dignité et le respect de la personne." Il l’avoue, son engagement dérange souvent. Parfois, on lui dit : "Tu ne crois pas qu’il y a assez de vivants dans la misère pour t’occuper des morts ?"

À l’association, la laïcité est de règle. Dominique Guyot est athée. Claire Michel, jeune retraitée, ancienne décoratrice, est, elle, croyante. Militante d’un parti politique, elle s’occupe aussi bénévolement d’une bibliothèque dans un hôpital. Elle a connu le collectif "grâce à un couple d’amis". Elle aussi reste discrète. Seuls quelques proches connaissent son implication.

Avant de partir, tous deux ont préparé le petit texte qu’ils vont lire au cimetière. Seule contrainte, il ne doit contenir aucune allusion religieuse. Dominique Guyot a choisi pour le départ de Georges un poème d’Eugène Pottier, "Les morts ont besoin des vivants". "On oublie souvent que l’auteur de L’Internationale était aussi un poète", remarque-t-il. Pour Jean-Mary, il a laissé libre cours à son inspiration.

Claire Michel a préféré piocher dans un recueil préparé par le collectif, mais elle a pris soin de le personnaliser un peu : "C’est plus facile quand on a au moins un nom, une date ou un lieu de naissance, comme c’est le cas aujourd’hui."

Au cimetière, l’un après l’autre, chaque cercueil placé sur l’épaule des fossoyeurs est déposé dans un caveau individuel. Quelques rares tombes de l’ex-"carré des indigents", rebaptisé "espace de la fraternité", sont fleuries. Fermé aux visiteurs pour cause d’intempéries, le cimetière est vide. Dans un silence feutré, Dominique Guyot et Claire Michel se succèdent devant chaque tombe. Ils déposent soigneusement sur chaque caveau refermé un petit pot de cyclamen rose fuchsia.

Né en 2002, le combat du collectif a trouvé un écho inattendu en 2003 avec la canicule. "Les pouvoirs publics ont brutalement été obligés d’admettre que chaque mois des dizaines de morts n’étaient pas réclamés et qu’ils avaient pour obligation de leur accorder une sépulture", se rappelle Christophe Louis, président du collectif. Une douzaine d’associations du même type existent aujourd’hui en France.

Dans son petit bureau des hauteurs de Belleville, à Paris, Cécile Rocca, seule permanente, ne veut pas que l’on réduise la mission du collectif à l’accompagnement des morts isolés. "Nous ne sommes pas une association d’anciens combattants", insiste la coordinatrice, et de rappeler la devise du collectif : "En honorant ces morts, nous agissons aussi pour les vivants."

Lieu d’information pour les proches des personnes à la rue, le collectif s’attache aussi, à travers un travail de recensement, à pourfendre les idées reçues sur les conditions de vie et de décès des exclus. Chaque année, il organise deux cérémonies laïques où les noms des morts sont rendus publics. Un hommage de plus à ces défunts qui dérangent. Alors, quand on lui demande de parler de l’accompagnement, Cécile Rocca la joue modeste. "La ville de Paris s’engage à nous prévenir des décès, et nous nous engageons à accompagner les défunts." En réalité, lorsqu’elle dispose d’un minimum d’éléments d’identification, Cécile Rocca contacte une quarantaine d’associations de solidarité.

"Nous essayons de trouver des proches ou des amis qui s’occuperont alors des funérailles. Nous ne prenons en principe en charge que ceux qui n’ont personne ou qui n’ont pas eu le temps de tisser des liens avec des associations." Cette recherche explique qu’assez peu de SDF se retrouvent dans ces convois. "Ils sont souvent connus et suivis par une soupe populaire, une maraude, un centre d’hébergement...", poursuit Cécile Rocca. En aucun cas le collectif ne se substitue à la police, responsable des recherches des familles. Les circonstances du décès ne lui sont d’ailleurs pas communiquées.


"On a parfois des défunts jeunes, nés dans un petit village. Je ne suis pas sûr que les autorités aient mis tous les moyens pour retrouver leurs familles", déplore Dominique Guyot. Pour lutter contre cet oubli, les noms des décédés sont publiés soit sur le site de l’association, soit sur celui de la ville de Paris. Ces listes permettent parfois aux familles de retrouver, des années plus tard, un proche disparu. Et Cécile Rocca de citer le cas de ce jeune toxicomane mis à la porte de chez lui et retrouvé par son frère jumeau par le biais du site Internet. Ou de cette jeune fille dont la famille vivait à l’étranger et qui n’était pas au courant de son décès. Toutes ces histoires justifient le soin avec lequel les accompagnateurs retranscrivent les circonstances de l’enterrement.

Avant de rentrer chez eux, juste après la cérémonie, Dominique Guyot et Claire Michel s’arrêtent dans un café. Pour perpétuer la tradition ancienne des rites funéraires, mais aussi pour garder une trace, au cas où... Devant une boisson chaude, ils rédigent soigneusement leur compte-rendu. On y retrouvera leurs noms, celui du chauffeur, la date et l’heure de l’inhumation... Mais aussi, ce lundi-là, ils ont parlé de la neige qui faisait ressembler le cimetière de Thiais à une plaine sibérienne, des traces des pattes d’un oiseau sur le manteau blanc des tombes, du petit pot de cyclamen, de notre présence... "Des détails qui apaiseront les familles si un jour elles se manifestent. Elles pourront se dire que leurs morts n’auront pas été enterrés comme des chiens", explique Claire Michel.

Dans cinq ans, les tombes "à décomposition rapide" de Thiais où reposent Jean-Mary, Dobrosan, Pascal et Georges seront vidées. Prêtes à accueillir d’autres morts isolés. Les restes seront incinérés puis dispersés dans un jardin du souvenir. Au fond d’un tiroir, une petite fiche blanche attestera qu’ils ne sont pas partis seuls.

Le Collectif Les Morts de la rue s’inscrit comme un service public citoyen. Trois cent cinquante-huit personnes sans domicile fixe (SDF) sont mortes en France en 2009. Aucune personne de la rue ne doit être oubliée une deuxième fois dans sa mort.

Catherine Rollot

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations