Les services funéraires vivent une transformation résultant de la technologie qui caractérise la société de l’information et de la communication.
Danielle Da Palma, avocat à la cour.
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Le commerce électronique – E-commerce – s’empare du secteur funéraire pour le modifier dans sa structure et dans son fonctionnement. Son développement transforme l’approche et l’accompagnement des personnes, que ce soit au plan de l’offre de services, de l’information sur la préparation des obsèques, de la question de leur financement ou du suivi en ligne des personnes.
L’innovation concerne aussi les cimetières, dont la gestion est impactée. Les outils permettent le développement de nouveaux produits, tels que la retransmission en direct ou en différé des cérémonies, la visite virtuelle des cimetières offrant d’accéder à de nombreuses informations sur les tombes et les personnalités inhumées, les QR Codes des cimetières, la création de mémoriaux virtuels.
Les QR Codes installés dans les cimetières, qui donnent accès à un site Internet regroupant les informations, les cartographies, les images ou les vidéos sur un produit ou un mémorial, permettent de mettre en valeur le patrimoine communal, d’enrichir la connaissance de l’histoire des personnalités locales décédées ou des illustres personnages inhumés dans le cimetière.
L’utilisation de ces nouvelles techniques peut être faite simplement pour recueillir des informations sur les démarches à accomplir en cas d’obsèques ou pour l’organisation de la cérémonie ; elle peut aussi déboucher sur la création d’un véritable cimetière virtuel avec l’accès à des informations et des données personnelles, décidée par la personne avant son décès ou par ses proches et héritiers. L’interactivité permet non seulement d’accéder à ce lieu de mémoire virtuel, mais aussi de l’enrichir par des apports nouveaux, que ce soient des témoignages, des objets, des photographies ou des vidéos, des écrits, qui reconstituent et perpétuent la mémoire du défunt pour la communauté de ses proches.
Les cimetières virtuels offrent une socialisation de la mémoire du défunt et de la communauté de ses proches, avec un accès immédiat à distance permettant de réunir des personnes éloignées géographiquement en une communauté virtuelle.
Ils mettent aussi en jeu la régulation de la mort numérique
En raison de l’interactivité qui les caractérise, les questions portent sur la propriété, la gestion et la conservation des données, la protection des droits de la personne du défunt et des membres de son entourage, sur la structure d’accueil et de consultation des informations, l’accessibilité des données.
- Au plan moral, la mémoire du défunt subit une extension après la mort, qui peut s’approcher de la recherche d’immortalité ou d’éternité.
- Au plan juridique, les acteurs du funéraire vont devoir présenter leurs offres de services et les formaliser contractuellement de manière précise et rigoureuse afin d’intégrer les dispositions nécessaires pour veiller au respect de la volonté du défunt, de ses droits personnels ainsi que de ceux des personnes qui pourront être impliquées.
Les incidences de ces nouvelles technologies sur l’organisation et l’activité du secteur funéraire sont multiples. Elles ne sont pas encore appréhendées par une règlementation propre à ce secteur, mais doivent être évaluées selon les textes applicables en fonction des droits ou des personnes concernés. Ainsi faudra-t-il envisager une modification de la réglementation propre aux cimetières pour que les maires puissent continuer à exercer le contrôle qui leur est dévolu sur le contenu des données concernant les défunts afin de veiller au respect de l’ordre public et de la dignité des lieux, conformément aux pouvoirs que leur confère l’art. R. 2223-8 du Code général des collectivités publiques.
Les opérateurs en charge de la captation et de l’enregistrement des cérémonies devront prendre soin de la question du droit à l’image des personnes filmées dans un espace ouvert au public, et de la diffusion de ces images. Les acteurs du funéraire devront établir des conventions dont le contenu permettra de répondre aux nombreux aspects de la question des données, de leur accessibilité, de leur confidentialité, de leur protection et de leur conservation. Cet aspect comporte un véritable enjeu face au concept de "mort numérique" auquel la CNIL est confrontée.
La loi Informatique et Libertés ne prévoyant pas la transmission des droits personnels du défunt à ses héritiers, il importe de se préoccuper, dans la mesure du possible, des modalités d’expression de la volonté du défunt. Cette question est très sensible, et d’autant plus complexe que la personne ne peut plus, par hypothèse, s’exprimer si elle n’a pas anticipé le devenir de ses données après sa mort.
L’encadrement juridique de la mort numérique ne peut se limiter à des clauses insérées dans des conditions générales des sites Internet. Sur le réseau, le profil de la personne continue d’exister si aucune procédure d’effacement n’a été décidée. Or, le devenir des données personnelles du défunt et leur utilisation peuvent conduire à des conflits, voire à des impasses. La récupération des données par les héritiers, leur mise à jour ou leur suppression, les désaccords entre héritiers sont des questions qui vont être soulevées.
En outre, les opérateurs vont être confrontés à des risques liés au droit des successions ou aux conventions et contrats d’adhésion signés. Les personnes proches du défunt seront soucieuses de la pérennité des mesures de protection et de conservation des données personnelles, particulièrement en cas de cession, de dissolution et de cessation de l’activité de l’entreprise à laquelle celles-ci auront été confiées.
De nouvelles sociétés de service apparaissent aux côtés des acteurs historiques du funéraire avec une offre qui peut être séduisante et dynamique ; il faudra se prémunir contre d’éventuels écueils en cas de manque d’expérience et de rigueur.
La douleur éprouvée par les familles au moment de la mort d’un des leurs les rend plus vulnérables, et leur désarroi leur fait ressentir le besoin de conseils et d’assistance. Ces circonstances renforcent la nécessité de l’intervention d’un professionnel qui prendra en compte la prudence et l’exigence de conseils personnalisés.
Le désir humain est de transgresser la mort en créant une vie virtuelle qui, au-delà du simple recueil de souvenirs autour de témoignages sur le défunt, peut se poursuivre sous la forme d’un avatar octroyant une immortalité. Les progrès techniques permettent de virtualiser la mort et, même, une nouvelle vie post-mortem. Une réflexion des acteurs du funéraire autour de ces innovations est essentielle.
Danielle Da Palma
Avocat à la cour
Cabinet SEBAN & ASSOCIÉS
Résonance hors-série n°3 - Janvier 2017
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