Par une décision du 31 octobre 2024, le Conseil constitutionnel est venu censurer des dispositions de l’art. L. 2223-4 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) relatives à la crémation des défunts inhumés en terrain commun en cas de reprise de sépulture.
Une décision qui trouve son origine dans un litige porté devant le tribunal administratif de Paris par le fils d’une défunte inhumée en terrain commun dans le cimetière de Thiais. Le 29 mars 2017, le corps de Mme A, inhumé 5 ans plus tôt en terrain commun au sein du cimetière, a été exhumé avant de faire l’objet d’une crémation et que ses cendres n’y soient dispersées.
Son fils, M. B, adresse 2 ans plus tard un recours préalable aux services municipaux tendant à la réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi du fait de la faute qu’aurait commise le maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police en procédant à cette crémation. Recours implicitement rejeté en raison du silence gardé par la mairie et qui donne donc lieu à un recours contentieux de la part de M. B.
Si la demande de M. B est accueillie en première instance par le tribunal administratif de Paris qui condamne la Ville à lui verser la somme de 5 000 €, la cour administrative d’appel de Paris (saisie d’un appel de la Ville de Paris) rejette dans son arrêt du 5 décembre 2023 ses prétentions en considérant qu’aucune responsabilité ne peut être retenue contre la Ville. En effet, en l’état du droit positif, aucune disposition du CGCT n’impose aux services municipaux de porter à la connaissance de la famille d’un défunt les conditions de prise en charge de son corps lorsqu’il est inhumé en terrain commun et que sa sépulture fait l’objet d’une reprise.
Cela ressort de la lettre de l’art. L. 2223-4 du CGCT, lequel dispose : “Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire". En vertu de cet article, l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt suffit à permettre aux services municipaux de procéder à la crémation des restes mortuaires exhumés.
Des dispositions qui trouvent à s’appliquer :
- À l’issue d’une reprise de sépulture consécutive à une procédure de reprise de concession funéraire : en effet, lorsqu’une concession est reprise par les services municipaux, les restes des personnes y étant inhumés sont, après mise en œuvre de la procédure de reprise idoine(1), exhumés pour être réinhumés ou crématisés selon les conditions de l’art. L. 2223-4 du CGCT (voir en ce sens art. R. 2223-21 du CGCT(2)).
Dans cette hypothèse, le titulaire de la concession est informé de la mise en œuvre de la procédure de reprise. Bien que cela ne soit pas précisé par les textes, cette information porte également en pratique sur le devenir des restes mortuaires qui se trouvaient dans la concession.
- Mais également à l’issue d’une reprise de sépulture située en terrain commun : les sépultures situées en terrain commun - c’est-à-dire dans le terrain consacré dans les cimetières à l’inhumation des corps en dehors de toute concession funéraire - peuvent quant à elles être reprises de façon pure et simple au bout de 5 ans à compter de l’inhumation par l’effet de l’art. R. 2223-5 du CGCT(3).
Le maire peut alors, selon les dispositions de l’art. L. 2223-4 du CGCT, réinhumer les restes mortuaires issus de telles sépultures en terrain commun ou procéder à leur crémation "en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt".
Par l’effet de ces dispositions, aucune information préalable n’est donc portée à la connaissance de la famille du défunt sur la reprise de la sépulture en terrain commun ou la possibilité de procéder à la crémation de son corps.
C’est dans cette deuxième situation que se trouve M. B, qui va, à l’occasion du pourvoi introduit devant le Conseil d’État contre l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel (CAA) de Paris rendu à son encontre, contester la constitutionnalité des dispositions de l’art. L. 2223-4 du CGCT.
Considérant en effet que cette absence d’information sur l’expiration du délai de sépulture en terrain commun et la possibilité de procéder à la crémation des restes du défunt en cas de reprise de cette dernière est contraire au respect de la vie privée et à la liberté de conscience des personnes inhumées, le requérant demande au Conseil d’État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’art. L. 2223-4 précité. Le Conseil d’État procède au renvoi de cette Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) par une décision du 30 juillet 2024.
Le Conseil constitutionnel, à travers une décision aussi courte que pragmatique, considère que l’absence d’obligation pour le maire d’informer les tiers susceptibles de faire connaître l’opposition à la crémation du défunt inhumé en terrain commun à l’occasion de la reprise de sa sépulture méconnaît le principe de la dignité humaine constitutionnellement reconnu (qui ne cesse pas avec la mort).
Il décide ainsi de l’abrogation des mots “en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt", figurant au deuxième alinéa de l’art. L. 2223-4 du CGCT comme étant contraire à la Constitution. Une abrogation dont il vient moduler les effets dans le temps, l’abrogation immédiate de ce passage ayant eu pour conséquence manifestement excessive de permettre la crémation des restes exhumés lors de la reprise d’une sépulture malgré l’opposition connue ou attestée du défunt.
Afin de préserver les droits des défunts et de leurs proches, le Conseil constitutionnel décide de reporter la date de l’abrogation effective de ces dispositions au 31 décembre 2025 et pose d’ici là l’obligation pour les maires d’informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt du fait qu’il envisage de faire procéder à la crémation des restes exhumés à la suite de la reprise d’une sépulture en terrain commun.
À notre sens, cette information pourrait également inclure une notification en amont de la reprise de la sépulture en terrain commun permettant aux proches de manifester leur volonté éventuelle de procéder à l’inhumation du défunt dans une concession. En outre, il nous semble qu’une obligation explicite d’information sur la possibilité de procéder à la crémation des restes mortuaires issus d’une procédure de reprise de concession devrait également être intégrée à la loi.
Il reste à attendre ce que prévoiront les nouvelles dispositions législatives sur ce point, dont l’entrée en vigueur devrait donc intervenir avant le 31 décembre 2025.
Me Ana Nuytten
Avocate à la Cour - Cabinet Seban & Associés
Référence : Décision n° 2024-1110 QPC du 31 octobre 2024
Nota :
(1) Et ce, soit sur le fondement de l’art. L. 2223-15 du CGCT pour les concessions non-perpétuelles en défaut de paiement et arrivées à échéance depuis 2 ans, soit sur celui de la procédure de reprise des concessions en état d’abandon prévue par l’art. L. 2223-17 du CGCT.
(2) Lequel dispose : les terrains occupés par les concessions reprises peuvent faire l’objet d’un nouveau contrat de concession seulement lorsque les prescriptions des articles L. 2223-4, R. 2223-6, R. 2223-19 et R. 2223-20 ont été observées.
(3) L’art. R. 2223-5 du CGCT dispose : “L’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’a lieu que de cinq années en cinq années".
Résonance n° 209 - Novembre 2024
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