Nous allons, dans ce petit article, faire le point sur les possibilités, voire les obligations, dont dispose le maire dans le contrôle des gravures et inscriptions que les particuliers souhaiteraient effectuer dans le cimetière.

 

Dupuis Philippe 2015
Philippe Dupuis.

Inscriptions et pouvoir de police du maire

L’art. R. 2223-8 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que : "Aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l’approbation du maire." Cet article vise dans ce cas précis à permettre explicitement au maire, dans le prolongement de ses pouvoirs de police spéciale relatifs au cimetière (L. 2213-9 du CGCT), à y faire respecter la décence et l’ordre public.
On doit ainsi comprendre cette disposition comme permettant au maire de s’opposer à des épitaphes qui pourraient perturber l’ordre public, ou être diffamatoires à l’égard de certaines personnes, à l’image du genre littéraire des épitaphes fictives du XVIIIe siècle. Il convient d’ailleurs de relever qu’une stèle commémorative obéira aux mêmes règles. En effet, la stèle envisagée peut être assimilée à un monument funéraire, en dépit du fait qu’elle n’est pas une sépulture ; il suffit que l’intention soit de commémorer le souvenir de morts (CE 4 juillet 1924, Abbé Guerle, Rec. CE, p. 640).
Or l’art. L. 2223-18 du CGCT dispose, lui, que : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe distinctif de sépulture." Afin de contrebalancer ce droit, il est prévu, sinon de contrôler les dépôts de plaques ou l’édification d’un monument, tout du moins d’en vérifier les inscriptions gravées à cette occasion. Par exemple, un maire peut légitimement interdire une inscription sur un monument funéraire de la mention "victime innocente", alors que la personne avait été jugée et exécutée à la Libération (CE, 4 février 1949, Dame Moulis c/maire de Sète, Rec. CE, p. 52).

Ainsi, derechef, le maire de Marignane aurait dû refuser des inscriptions, qui d’ailleurs lui avaient été soumises et dont il n’ignorait pas la teneur dans l’affaire suivante qui mérite d’être relatée. Le maire de Marignane avait accepté d’accorder une autorisation d’occupation sur le domaine public communal qu’est le cimetière, afin qu’une association dénommée Association amicale pour la Défense des Intérêts Moraux et matériels des Anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française (ADIMAS) y érige une stèle dédiée "aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française".

Cette autorisation était valable pour quinze ans. L’arrêt rendu par le Conseil d’État (Conseil d’État, 14 novembre 2011, n° 340753) est intéressant à plus d’un titre, mais nous nous focaliserons sur la police de l’inscription, c’est-à-dire la compatibilité de celle-ci d’avec ce qu’il est possible d’accepter dans un cimetière.

En effet, implicitement, dans cet arrêt, le juge donne sa vision de la "destination normale du cimetière", comme lieu de repos, de paix et de recueillement. Les autorisations privatives dans le cimetière, autres que celles qui d’ailleurs en sont la raison d’être, ne sont pas, par principe, prohibées. Néanmoins, dans le cas présent, cette autorisation nuit à la réalisation de l’affectation de ce bien à l’usage du public, le juge n’estime-t-il pas que la stèle n’est pas "un simple monument commémoratif", mais dénote une "prise de position politique", voire "l’apologie de faits criminels". Le cimetière ne peut donc pas être un lieu de polémique sur l’histoire et ses vicissitudes. Pour paraphraser un "attendu" cher au juge judiciaire, les divisions des vivants ne doivent pas troubler la paix des morts.

À cette occasion, il convient d’insister sur un point déjà soulevé par le professeur Pontier, dans sa note sous l’arrêt de la CAA relatif aux mêmes faits (AJDA 2010, p. 1882). En effet, l’ADIMAS avait contesté l’intérêt à agir du fils du commissaire qui n’était ni habitant ni contribuable communal. Il n’était donc possible d’accueillir son recours qu’en lui reconnaissant un intérêt moral à agir. La CAA rejette le moyen en expliquant que : "La circonstance que des témoins de cette période sont encore en vie et que les événements qui se sont déroulés sont toujours dans leurs mémoires, ne permet pas encore à cette période de garder sa seule dimension historique qui aurait dépassionné l’installation de cette stèle".

Ainsi, M. Gavoury peut agir contre la décision d’occupation du domaine public, qui, le relève le professeur Pontier, "a pour effet de donner un caractère public à un hommage aux responsables de la mort de son père". En quelque sorte, c’est parce que le nom de son père était indissociablement lié, par l’inscription de la date de son meurtre, à ceux de ses auteurs, que son fils possède un intérêt à agir. L’atteinte à l’ordre public est donc constituée, mais il est important de constater que le juge lie intimement, tant dans son raisonnement que dans la rédaction de l’arrêt, l’atteinte à l’ordre public avec l’affectation du cimetière, quand il affirme que : "Cette stèle ne constituait pas un simple monument commémoratif à la mémoire de personnes défuntes, mais manifestait une prise de position politique et procédait à l’apologie de faits criminels ; qu’ainsi, en délivrant par l’arrêté attaqué l’autorisation d’occuper pendant quinze ans un emplacement dans le cimetière en vue d’y installer cette stèle, le maire a autorisé l’occupation du domaine public communal pour un usage qui, d’une part, n’était pas compatible avec la destination normale d’un cimetière et, d’autre part, était de nature à entraîner des troubles à l’ordre public".
Il importe enfin de bien comprendre que ces problématiques sont toujours d’actualité, quelle que soit la modalité choisie pour ces inscriptions. Ainsi, le gouvernement, par une récente réponse ministérielle, a été saisi des problématiques induites par les "codes QR". Il s’agit d’idéogrammes pouvant être lus par un téléphone mobile et donnant accès à des "contenus" relatifs au défunt. Il n’y aurait pas lieu de distinguer la nature du support de ces inscriptions. Relevons néanmoins que le gouvernement entend se saisir de cette problématique : "L’art. R. 2223-8 du CGCT prévoit qu’aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l’approbation du maire". Ce pouvoir de contrôler, a priori, les inscriptions l’autorise légalement à refuser ou à ordonner la suppression de toute inscription injurieuse ou irrespectueuse de nature à troubler l’ordre public (CE, 4 février 1949, Moulis c/ Maire de Sète). Sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, les dispositions de l’art. R. 2223-8 du CGCT ont vocation à s’appliquer dès lors que l’apposition d’une plaque munie d’un "code QR" paraît assimilable à une inscription sur un monument funéraire ou une pierre tumulaire.
Cependant, compte tenu des difficultés d’application que soulève ce régime juridique, notamment au regard des moyens de contrôle dont peut disposer le maire, le gouvernement souhaite engager une concertation avec les associations d’élus concernées, et soumettre la question au Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF) (Réponse ministérielle n° 11151, JO S du 12 mars 2015).

Attention au traitement des demandes de gravure : le silence vaut acceptation !
 
La loi du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’Administration et les citoyens pose le principe selon lequel le silence gardé par l’Administration sur une demande vaut accord. Ce principe est désormais codifié à l’art. L. 231-1 du Code des relations entre le public et l’Administration. Il s’applique depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux administrations de l’État et de ses établissements publics et, depuis le 12 novembre 2015, aux demandes adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés d’un service public administratif. Or, désormais, le silence gardé par la commune sur une demande de gravure emportera acceptation de celle-ci par le maire, là où, avant le 12 novembre 2015, elle emportait décision implicite de refus. Il est donc important pour les communes d’être vigilantes dans le traitement de ces demandes.

Inscriptions et gestion des sépultures

Si ce point est sans nul doute moins sujet à contentieux que le précédent, nous pouvons l’illustrer à travers un intéressant arrêt du juge judiciaire. Dans un arrêt (Cour de cassation 12 janvier 2011, n° 09-17373), la Cour de cassation a eu l’occasion de venir préciser le régime juridique d’inscriptions de noms de famille différents de celui du fondateur, alors même qu’aucune personne portant ce nom de famille n’est inhumé dans cette concession. En l’espèce, il ne s’agit aucunement d’une application de la disposition prévue par le CGCT.
En effet, l’inscription litigieuse ne porte que sur un nom de famille, et non sur un texte. Le juge retient dans cet arrêt qu’il n’est pas certain que ceux qui ont apposé leur nom de famille soient inhumés dans cette sépulture au vu de la place disponible et, donc, qu’ils ne pourront effectuer cette gravure qu’à l’occasion du décès d’une personne portant ce nom de famille. Ainsi, la Cour de cassation pose un principe qui n’avait jamais été dégagé par la jurisprudence : que peuvent faire graver les héritiers sur un monument funéraire ?
Ainsi, dans une concession indivise, les héritiers ne portant pas le nom de famille du fondateur pourront se voir refuser le droit de graver leur nom de famille tant qu’une inhumation d’une personne portant ce nom ne se sera pas produite : "Vu l’art. 1128 du Code civil ;
Attendu que, pour débouter M. Georges Y. de sa demande à voir supprimer le patronyme A. sur la stèle, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que si aucune personne portant le nom de A. n’est actuellement inhumée dans le caveau familial, M. et Mme A., qui ont procédé à la réfection du caveau, ont vocation à y être inhumés, ainsi que leurs enfants ;
Qu’en statuant ainsi, sans constater que le nombre de places disponibles dans le caveau permettrait d’y inhumer les époux A., lesquels en ce cas ne pourraient exiger l’inscription de leur patronyme avant le décès de l’un d’eux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision."

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n° 135 - Novembre 2017

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